Notre-Dame de Paris à Londres : L'île noire
Société

Notre-Dame de Paris à Londres : L’île noire

Ainsi, les critiques londoniens ont démoli la comédie musicale de Luc Plamondon. So what?

La mort du Rocket, samedi soir, a enfin donné leur pain bénit aux médias. En attendant le décès du héros national, les salles de rédaction étaient désoeuvrées. Les «affectateurs» se préoccupaient de sujets «mineurs»: le retour en force des moustiques cet été («Horreur», titrait le sérieux Devoir); puis la descente en règle de Notre-Dame de Paris par la critique londonienne, qui a fait la une de tout ce qui grouille et scribouille au Québec.

Chaque fois, c’est pareil: si une personnalité québécoise éternue dans les Europes, la tribu québécoise attrape un rhume. Les Québécois veulent tellement être aimés à l’étranger qu’ils perdent tout sens critique quand un des leurs s’expatrient. Le comble de l’absurde étant la couverture des faits et gestes d’une animatrice de talk-shows depuis qu’elle a décidé de traverser l’Atlantique pour gagner sa vie – comme des dizaines de milliers de Québécois avant elle.

«Oui, mais ce n’est pas n’importe qui: c’est JULIE!»
Excusez-moi, je respecte beaucoup Julie Snyder, le Cirque du Soleil, Robert Lepage et tous les Québécois qui connaissent un succès hors-Québec. Sauf qu’il y a un fossé entre le respect et l’idolâtrie d’un peuple colonisé. Si Catherine Deneuve gagnait l’oscar de la meilleure actrice à Hollywood, cela ferait automatiquement les manchettes en France. Par contre, si une comédie musicale de Robert Hossein se faisait écorcher par la critique de New York, pensez-vous que la presse parisienne enverrait ses gros canons couvrir l’événement?

Mais revenons à Notre-Dame de Paris et au parallèle entre les moustiques et les critiques. Quand on se frotte à la critique, elle peut parfois piquer l’amour-propre de certains artistes. C’est ce qui s’est passé à Londres, la semaine dernière, après la première du musical signé par Luc Plamondon et Richard Cocciante (tiens, ces deux-là se sont-ils réconciliés devant la francophobie britannique?). La critique déteste, mais le public adore. Rien de nouveau sous le soleil du show-business. ais des egos gonflés par le succès de leur bébé en France et au Québec se sont sentis jugés par leurs ennemis séculaires.
De là à vouloir taper sur les moustiques… euh, pardon, les critiques, il y a une limite qui, à mon avis, ne devrait pas être franchie.

Deux poids, deux mesures
Le beau milieu du théâtre applique une règle du deux poids deux mesures envers les journalistes. Si la critique est bonne: elle est adulée, considérée et récupérée. Les compagnies s’en servent pour leur publicité, leur promotion, leurs dossiers de presse et leurs demandes de subventions. Mais si par malheur la critique est négative: les créateurs conspuent, méprisent, exècrent et envisagent l’immolation de son auteur. Certains peuvent même remettre en question les compétences du journaliste qui a osé dire publiquement du mal d’une représentation… publique (Been there…).

À Montréal, un chroniqueur artistique peut parler plusieurs fois d’une création dans différents articles couvrant une saison: à l’annonce des nouvelles programmations; lors de la rentrée culturelle; dans un pré-papier et dans une critique. Or, si le journaliste émet quelques réserves dans sa critique, tout ce qu’il a publié avant tombera dans le gouffre de l’oubli. Comprenez-moi bien, je ne me plains pas. Je pratique depuis plus de dix ans l’un des plus beaux métiers du monde. Je peux passer par-dessus l’ingratitude ou les préjugés entourant mes fonctions. Mais si l’on veut brimer ma «liberté de blâmer», attention, je pique!

Pas piqué des vers
À Londres, une douzaine de critiques anglais ont écrit ce qu’ils pensaient d’un produit culturel selon eux indigeste. Ils n’y sont pas allés avec le dos de la cuillère, c’est vrai. Mais les éloges de la critique d’ici lors de la création montréalaise ne faisaient pas non plus dans la nuance. Radio-Canada a même diffusé un making of du musical produit par… Motion, les producteurs de Notre-Dame de Paris! Bonjour le regard critique…

Je ne partge pas totalement l’avis des critiques londoniens, mais j’admire leur dissidence. Car la dissidence représente le sceau des libres penseurs. Et je leur dis bravo pour ne pas avoir sacrifié leur jugement sur l’autel du sacro-saint marketing culturel – un marketing qui évacue tout discours critique, et qui juge de la qualité d’un spectacle musical non par son livret ou sa mise en scène, mais par sa longévité… comme pour des voitures. Cats a tenu l’affiche pendant dix-huit ans? Donc, c’est aussi bon que Broue. Fin de la discussion.

Alors quand je lis à la une du Journal de Montréal que le chanteur Bruno Pelletier se plaint de «la mauvaise foi» des critiques du West-End, je lui renvoie poliment la balle. Quand j’entends Luc Plamondon affirmer au Point, avec l’indolence d’une star hollywodienne à l’heure du cocktail, qu’il est au-dessus de ces «vieux critiques blasés», je me demande qui vieillit le plus mal: un artiste devenu businessman et qui a peur de montrer ses émotions, ou un critique qui aurait voulu être un artiste…
Plamondon terminait cette entrevue avec Stéphan Bureau en citant, de mémoire, Anton Tchekhov: «Il faut savoir rester indifférent.»

À vrai dire, j’ignorais que Tchekhov avait rendu cette phrase célèbre. Enfin, l’auteur de La Cerisaie a bien pu dire ça. Comme Marcel Proust a écrit «Longtemps, je me suis couché de bonne heure.» Ce qui ne l’a pas empêché de fréquenter par la suite, très tard dans la nuit, des bordels sadomasos pour homosexuels!

Comme disait Lynda Lemay, la vie est pleine de contradictions. La saga de Notre Dame, the Musical, nous aura dévoilé ce paradoxe: un compositeur véritablement assoiffé de reconnaissance publique peut demeurer \«indifférent» à l’opinion des critiques de théâtre les plus réputés au monde!

Et le pire là-dedans, c’est que les Québécois ont avalé ça. Parce qu’ils refusent de toucher aux idoles. Après tout, il leur en reste si peu…