Bibliothèques publiques : Bill Gates à la rescousse de Westmount!
Société

Bibliothèques publiques : Bill Gates à la rescousse de Westmount!

Par le biais de sa fondation, l’homme le plus riche au monde vole au secours des bibliothèques de Montréal situées en milieu défavorisé. Comme celles de… Westmount et de Ville Mont-Royal! Et celle de Saint-Léonard? Bof…

La fortune personnelle de Bill Gates a peut-être été réduite de l’équivalent du PIB d’un pays ou deux au cours des derniers mois, mais le monsieur a encore à coeur le bien-être des moins nantis. L’homme le plus riche au monde s’apprête à faire don de plus de huit millions de dollars en équipement informatique et logiciels aux bibliothèques québécoises en milieu défavorisé. Parmi les villes pauvres éligibles au programme: Westmount, Outremont, Ville Mont-Royal…

L’argent provient du Gates Library Program, un tout petit programme au sein de l’immense multinationale de la charité qu’est la Bill & Melinda Gates Foundation. Cette fondation gère quelque 21,8 milliards de dollars trouvés entre les coussins du sofa de Bill.

Selon le formulaire distribué aux bibliothèques par le ministère de la Culture et des Communications du Québec, qui gère le programme dans la province, «la subvention de la fondation Bill and Melinda Gates est destinée aux bibliothèques desservant des communautés à faible revenu, là où les besoins sont les plus importants et au sein desquelles le nombre de personnes possédant des ordinateurs et ayant accès à Internet à la maison est le moins élevé. Les besoins, tels que définis, désignent un groupe de personnes dont les revenus correspondent ou sont inférieurs au seuil de la pauvreté, et qui n’ont accès ni à l’informatique ni à Internet.»

Selon l’interprétation que fait la fondation de ces critères, les bibliothèques de Westmount, Outremont et Ville Mont-Royal sont éligibles à la subvention. Celles de Rivière-des-Prairies et de Saint-Léonard ne le sont pas. L’homme le plus riche au monde a-t-il de la difficulté avec le concept de seuil de la pauvreté?

Qui est riche? Qui est pauvre?
En fait, explique la coordonnatrice du programme pour le Québec, Jacqueline Labelle, la Fondation a tracé un cercle d’un rayon de 1,6 km autour de chaque bibliothèque et a calculé le revenu des résidants de cette zone. C’est ainsi que les résidants de Saint-Henrisont devenus des clients de la bibliothèque de Westmount, et ceux du Mile-End, des clients de la bibliothèque d’Outremont! Cette façon de procéder a été déterminée au siège social de la Fondation, à Seattle. Là-bas, on ne voulait pas savoir que les résidants de Saint-Henri ne peuvent pas devenir membres de la bibliothèque de Westmount.

«Il y a des bibliothèques qui n’auraient peut-être pas dû être éligibles, reconnaît Jacqueline Labelle; mais, dans l’ensemble, c’est assez bon. Le gouvernement du Québec ne pouvait pas leur tordre le bras, ce n’est pas une subvention, c’est un don! Les décisions ont été prises à Seattle et le Ministère n’a pas eu son mot à dire, d’aucune façon.»

En fait, ce n’est pas tant de Westmount que Bill Gates a eu pitié que de toute l’île de Montréal. À l’exception des municipalités du West Island, presque toutes les bibliothèques de l’île sont éligibles à ce programme. Dans le réseau de la Ville de Montréal, seule la bibliothèque de Rivière-des-Prairies n’a pas droit aux ordinateurs gratuits.

La directrice de la bibliothèque de Rivière-des-Prairies, Gloria Maistrelli, a été surprise d’apprendre que la Fondation Bill & Melinda Gates ait trouvé sa bibliothèque trop riche pour être éligible. «Est-ce qu’on est riche? Est-ce qu’on est si riche que ça?»

La bibliothèque de RDP n’a que quatre postes Internet, deux pour les adultes et deux pour les enfants. La bibliothèque de Pointe-aux-Trembles, qui possède aussi quatre postes Internet, a, elle, droit à la subvention. Idem pour la bibliothèque d’Ahuntsic, qui possède neuf postes.

«Tout ce qu’on m’a dit, c’est que ce sont des critères établis par Bill Gates. J’en reviens pas! J’ai dit: "Voyons donc!" Ils pourraient quand même nous donner quelques ordinateurs, pour le principe! Quand on m’a appris que je n’étais pas éligible, je pensais que c’était une erreur. Certaines bibliothèques qui le sont ont déjà plus d’ordinateurs que nous!»

Charité bien ordonnée…
La Fondation n’a pas encor fait de chèques, mais les bibliothèques invitées à faire une demande sont celles dont l’éligibilité avait déjà été déterminée par une étude commandée auprès de Statistique Canada. Les bibliothèques chanceuses recevront jusqu’à six ordinateurs, un serveur Internet, une imprimante laser et toute une série de logiciels – Microsoft, bien entendu. De son côté, le gouvernement du Québec aidera financièrement les bibliothèques à se brancher à Internet.

La fondation de Bill Gates impose peu de conditions aux bibliothèques, assure Jacqueline Labelle. Il n’y aura pas de Bibliothèque Windows 2000 du Plateau ou de Grande Bibliothèque Bill Gates de Montréal. Les postes Internet devront seulement être accessibles à tous, même s’ils ne sont pas membres de la bibliothèque. Ainsi, les résidants de Saint-Henri auront théoriquement le droit de grimper l’avenue Greene pour aller utiliser les ordinateurs de «leur» bibliothèque.

Le président de l’Association des bibliothèques publiques de l’île de Montréal, Florian Dubois, est conscient que les gens vont sursauter quand ils vont apprendre que Bill Gates considère Westmount comme une «communauté à faible revenu». Mais comme c’est un cadeau qui tombe du ciel (ou de Seattle), il n’était pas question de se plaindre. «Les anomalies qu’on pouvait détecter, on ne pouvait pas les contester. Mais c’est quand même mille six cents postes Internet au Québec, plus une imprimante, plus les logiciels. C’est quasiment un cadeau de onze, douze millions de dollars.»

Le hic est que le cadeau risque de coûter cher. En effet, les bibliothèques chanceuses devront payer les taxes sur les ordinateurs, former du personnel, acheter du mobilier et assurer l’entretien de l’équipement. Si les vingt-quatre bibliothèques de la Ville de Montréal acceptent chacune les six ordinateurs auxquels elles ont droit, les taxes à elles seules vont coûter près de… soixante-dix mille dollars! Comme l’affirme Claire Rocher, du Service de la Culture de la Ville de Montréal: «On est en train dévaluer l’offre de la Fondation. Je ne crois pas que les bibliothèques pourront commander le maximum d’ordinateurs.»