Gay Disney : Les souris dansent
Société

Gay Disney : Les souris dansent

Près de quatre-vingt mille homosexuels se sont rassemblés dans l’antre du Château de Mickey, à Walt Disney World, le 3 juin dernier. Du même coup, le bonheur selon Disney est devenu l’enfer de la droite américaine. Un sacré défi de relations publiques pour cette compagnie américaine qui a bâti sa fortune sur le divertissement familial…

«Disney est un digest de l’American way of life, un panégyrique des valeurs américaines, une transposition idéalisée d’une réalité contradictoire.»
– Jean Baudrillard, Simulacres et simulations

Un cortège d’hommes en kilt de cuir arborant sur leur tête des oreilles de Mickey; quelques travelos faisant paraître Blanche-Neige comme une vieille poupée rétrograde; une poignée de lesbiennes costumées en Winnie l’Ourson… Mais, surtout, une immense marée de femmes et d’hommes en t-shirt rouge, la couleur officielle des «Non Official Gay Days at Walt Disney World». Ils étaient près de quatre-vingt mille homosexuels à être venus écorner l’ambiance de carte postale qui caractérise le quotidien du Monde Merveilleux de Disney.

Cette année, le dixième rassemblement de la communauté gaie et lesbienne dans le parc d’attractions du Magic Kingdom d’Orlando, en Floride, aura attiré une foule record: près du double de l’an dernier. L’espace utopique rêvé par l’oncle Walt ressemblait à un gros rave. Un genre de Black & Blue plus vrai que nature.
«Lorsqu’on a imaginé les Gay Days, en 1991, on voulait offrir à la communauté gaie et lesbienne un lieu de rassemblement différent des clubs, explique Doug Swallow, initiateur des journées gaies sur la terre de Mickey. On était également un peu curieux de voir comment Disney réagirait en nous voyant prendre notre place dans son royaume. On a imprimé quelques flyers, puis on les a distribués à nos amis à Orlando. La première année, cinq cents personnes ont répondu à notre invitation. On croyait avoir atteint un sommet. Aujourd’hui, les journées gaies de Disney représentent une importante victoire sur deux fronts: d’abord pour l’économie locale, mais aussi pour la reconnaissance des droits de la communauté homosexuelle.»

Il est vrai que les répercussions sur l’économie locale sont considérables. Plus de soixante-dix activités, incluant des barbecues, concerts et foires commerciales, sont oranisées tout au long de la première semaine de juin. Plusieurs hôtels affichent complet des semaines avant les festivités, des grossistes réservant des chambres en bloc pour leur clientèle gaie. Pleasure Island, House of Blues and Hard Rock sont les hôtes des soirées gaies. Un party privé au complexe aquatique Typhoon Lagoon de Disney a vendu cette année plus de six mille billets à soixante dollars US. D’autres soirées, incluant un bal aux Studios MGM de Disney, ont attiré des foules aussi importantes avec un coût d’entrée similaire. Même «notre» D.J. Mark Anthony était invité à spinner en ville! Le bureau du tourisme d’Orlando croit que les festivités entourant les Gay Days rassemblent plus de vacanciers annuellement que tout autre événement dans l’État de la Floride. Et, chaque année, la fête ne cesse de gagner en popularité.

«Mais au-delà du simple divertissement et de toute considération économique, poursuit Swallow, nos activités sur les sites de Disney offrent au monde entier une leçon de civisme et de tolérance. Chaque année, le message lancé par la communauté gaie au reste du monde est clair: c’est celui de la nécessité de cohabiter en harmonie.»

Jésus versus Mickey
Bible en main, Jamie Ammerman a passé la journée de son dix-huitième anniversaire devant le célébrissime Château de Mickey. C’était en juin 1998. Il faisait plus de trente degrés Celsius. Toute la journée, elle a tenté d’évangéliser les gais et les lesbiennes venus participer aux festivités. Puisque des milliers d’homosexuels avaient répondu au rendez-vous, ce n’étaient pas les cibles qui lui manquaient. «Ce fut presque magique. Je ne pouvais imaginer avoir une meilleure journée d’anniversaire que de travailler à la gloire de Jésus», se souvient-elle. Elle avoue toutefois que peu de festivaliers ont semblé intéressés par son message: «Jésus aime les homosexuels, mais les pratiques homosexuelles sont péché.»
Voilà maintenant plus de deux ans qu’Ammerman lutte au sein de l’organisation chrétienne Operation Rescu, un regroupement d’activistes pro-vie militant également contre les activités des Gay Days. Le ralliement est bien connu des dirigeants de Disney. Il s’agit en fait d’une aile des baptistes du Sud de l’Église protestante américaine, qui compte pas moins de quinze millions d’adeptes. Ils ont été les premiers à amorcer d’importants boycotts contre le groupe Walt Disney, accusé de «promouvoir des idéologies immorales: tels le christian-bashing, le family-bashing, et l’homosexualité».

Au lendemain du vote de boycott baptiste, Wall Street leur avait payé un véritable pied de nez: les actions de Disney avaient fait un bond de près 10 %. Mais cela n’a pas suffi à ébranler la croisade de David Caton, président d’Operation Rescue. Cette année, en conférence de presse, il a qualifié les rassemblements homosexuels de Disney de «Journées Sodome et Gomorrhe» et «d’abomination tentant d’arracher les coeurs de nos enfants».

«Disney tente de nous faire croire qu’ils ne sont pas les organisateurs des Gay Days, ajoute Caton, mais c’est faux. Nous avons dépêché nos représentants sur les lieux, ils ont pris des photos, ils ont parlé aux participants. Notre groupe a envoyé des espions vêtus en homosexuels: ils ont vu des travelos chantant: "Si vous êtes gai et vous le savez, frappez des mains!" Ils ont même reçu des dépliants de militants gais cherchant à recruter de nouveaux homosexuels!»

Par ici, la sortie
Cette année, les chrétiens d’Operation Rescue n’ont pas eu la vie facile à Disney. Jamie, par exemple, n’a passé que quelques minutes à interpeller les gais et les lesbiennes dans le Magic Kingdom avant que des responsables de la brigade Disney ne lui montrent poliment le chemin de la sortie. Elle distribuait des tracts sur lesquels on pouvait lire: «Seul Jésus peut faire en sorte que Mickey ne quitte pas Minnie pour aller vivre avec Donald.» Le hic, c’est qu’un règlement interdit toute distribution de propagande religieuse ou politique dans les parcs thématiques.
«Disney ne permettra jamas à personne de manifester avec du matériel haineux ou offensant sur sa propriété, a rappelé la relationniste de Disney, Rena Callahan, aux journalistes, à la sortie du Royaume. Et la propriété de Walt Disney World fait plus de cent kilomètres carrés. Les manifestants n’ont qu’à se faire entendre sur les abords de l’autoroute.»

Rappelons qu’à Disney, la situation n’a pas toujours été aussi rose. En 1991, alarmés et inquiets relativement au premier rassemblement gai au Magic Kingdom, les responsables de Disney avaient tout fait pour taire l’affaire. Les porte-parole de la machine aux grandes oreilles se contentaient de répondre aux journalistes que tout le monde a le droit d’acheter des billets et de visiter leurs parcs. On remboursait à la porte les billets des visiteurs offensés. On permettait même de petites manifestations.

En 1995, les canons de Disney ont eu l’idée d’afficher aux guichets que «les membres de la communauté gaie avaient choisi de visiter le Magic Kingdom pour célébrer le mois de la fierté gaie et lesbienne», et que Disney «ne faisait aucune discrimination, que tout le monde avait le droit d’entrer sur son territoire». Les affiches soulevèrent l’indignation d’un groupe d’employés homosexuels des parcs d’attractions. L’année suivante, le syndicat a fait enlever les affiches… et poussé l’administration à reconnaître les avantages sociaux des conjoints des employés gais et lesbiennes.

Depuis, l’expérience floridienne a fait des émules: plusieurs parcs d’attractions reconnaissent les bénéfices aux conjoints des employés de même sexe. Disneyland en Californie, Sea World et Canada Wonderland ont leurs journées gaies. Même La Ronde a tenté l’expérience d’un rassemblement aux couleurs de la fierté, sans trop de succès, il y a quelques années.

En fait, selon Swallow, «les Gay Days ont changé tout le paysage culturel et social de la compagnie Disney. Nous avons forcé l’une des plus grandes figures de représentation de la famille traditionnelle à s’ouvrir sur le monde.C’est toute une victoire. Il nous reste à comprendre pourquoi Mickey peut accepter tout le monde et que l’extrême droite ne le peut pas».