Société

Hélène Huard, psychologue : La famille Prozac

La globalisation de l’économie et ses conséquences sur le monde du travail (notamment en ce qui a trait à la précarisation des emplois) ont grandement ébranlé les bases de ce que nous appelons la famille traditionnelle. Une situation qui ne la menace cependant pas, selon HÉLÈNE HUARD, une psychologue spécialisée dans les questions relatives à l’enfance. Selon elle, la famille est tout simplement un besoin trop ancré chez l’être humain pour être menacée. Elle évolue  plutôt.

«C’est évident qu’aujourd’hui, décider de fonder une famille va à l’encontre de toutes les règles qui gèrent l’économie. Mais quand on met seulement l’accent sur cet aspect de la question, on oublie souvent la nature et la force de ce besoin. Je dirais que c’est paradoxal, mais à une époque de mondialisation, la famille est de plus en plus nécessaire, ne serait-ce que pour la santé psychologique des individus.» La famille, le nouveau Prozac amélioré? Au cours de son expérience de psychologue clinicienne et d’experte appelée devant les tribunaux de la jeunesse de la région de Québec, Hélène Huard a pu analyser les raisons qui poussent à fonder une famille sous plusieurs coutures. «Fonder une famille, d’un point de vue psychologique, c’est de recréer alentour de soi un environnement relationnel que la plupart des gens ont perdu au travail. Le concept de famille, avec tout ce qu’il implique de partage, ce n’est pas vraiment quelque chose que l’on peut faire cohabiter facilement avec la compétitivité et la polyvalence demandées maintenant aux employés.» La psychologue note cependant que, malgré tout, il y a un besoin de reconnaissance identitaire chez chacun de nous, et que des gens vont précisément combler ce besoin dans la famille. «On peut dire que, dans l’absolu, la famille est un moyen pour l’individu de recréer une reconnaissance au sein d’un groupe où les valeurs sont plus ou moins communes.» En plus des questions relatives à la famille et l’enfance, Hélène Huard a pu constater l’importance psychologique de la famille auprès de groupes d’employés qu’elle supervise dans le cadre de certains programmes d’aide. «Ce qui revient souvent lors de ces rencontres, c’est de voir comment les gens qui vivent un stress intense au travail ont besoin d’avoir une base, un port d’attache. Même si c’est une famille reconstituée, ce sont quand même généralement les mêmes valeurs qui motivent les gens à reconstituer autour d’eux le manque qu’ils vivent au travail.»

Une réponse à la mort
Mais en amot de tout ce processus, c’est tout ce que Malraux appelait la «condition humaine» qui est impliqué dans la décision de fonder une famille. «La famille est en quelque sorte une réponse à la mort. Elle sert à catalyser cette volonté inhérente aux espèces qui est celle de sa perpétuation.» Ce qu’il ne faut cependant pas oublier, précise la psychologue, c’est que la notion de famille est intimement liée à son époque et qu’il faut la voir comme une conjonction de facteurs tant biologiques, économiques et scientifiques. «La famille a elle aussi été influencée par la science. Les nouvelles techniques de procréation permettent d’avoir des enfants beaucoup plus tard, ce qui aide maintenant à mieux concilier, pour les femmes notamment, carrière et enfants.»
La psychologue reconnaît tout de même que tous ces changements n’ont pas nécessairement apporté que des effets positifs pour la famille. Son travail est là pour le prouver. «C’est évident que de graves disfonctionnements peuvent être aussi créés par les mêmes situations qui forcent les gens à fonder une famille. J’en vois tous les jours. La tendance est même à la hausse en ce qui concerne l’ouverture de dossiers à la Direction de protection de la jeunesse. Mais il faut être très prudent en ce qui concerne les chiffres. C’est évident qu’il y a des problèmes, mais il ne faut pas oublier que nous nous sommes affranchis, comme société, d’une définition plus traditionnelle de la famille qui comportait elle aussi des défaillances.» L’histoire politique du Québec n’est pas étrangère à ce revirement qui a touché la famille. «Avec la Révolution tranquille, nous avons fait des pas de géant du point de vue familial. Malgré tous les problèmes que peuvent rencontrer les familles modernes, je ne crois pas qu’il faudrait revenir à une notion plus autoritaire de celle-ci. Je crois quand même que la famille s’est améliorée depuis 30 ans.» Du même souffle, Hélène Huard reconnaît que certains ont pu jeter le bébé avec l’eau du bain. «Le défi pour la famille d’aujourd’hui est précisémen sa capacité à imposer un cadre. Souvent les parents ont peur d’être trop directifs parce qu’ils ont grandi à une époque où c’était la norme. Mais dans mon travail, je vois beaucoup de parents qui auraient voulu être davantage des tuteurs pour leurs enfants. C’est très difficile, car les parents ont souvent un sentiment de culpabilité lié à la pratique de leur autorité. Il faut que les parents réapprennent la notion d’éducateur, et c’est en même temps ce qu’il faut valoriser comme société.»