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La mort de Maurice Richard : Hors-jeu
Les médias ont-ils exagéré lorsqu’ils ont couvert la mort de Maurice Richard et d’André Fortin? Nous avons posé la question à FLORIAN SAUVAGEAU, journaliste et professeur en communication à l’Université Laval.
Nicolas Houle
Croyez-vous que, de façon générale, lors du décès d’une personnalité publique importante, comme Dédé Fortin ou Maurice Richard, les médias en font trop?
C’est différent d’un média à l’autre et d’un cas à l’autre, certains en font beaucoup plus que d’autres. La Presse par exemple, à la suite du décès de Maurice Richard, a fait des 8-10 pages par jour pendant plusieurs jours, c’était peut-être plus que ce que le client en demandait, mais vu d’ailleurs, ce qui peut paraître excessif ici ne l’est pas toujours: le critique de télévision du Globe and Mail a reproché à Newsworld de ne pas en avoir fait assez. […] Par ailleurs, durant les quelques jours qui ont précédé la mort de Maurice Richard, je trouvais effectivement que la télévision exagérait: les directs en face de l’hôpital, le point de presse du directeur de l’hôpital, etc.
Le direct continu, que l’on doit à RDI et LCN, ne fait-il pas mousser ces phénomènes entourant la mort de ces personnalités?
Oui, car quand LCN et surtout RDI se mettent en branle, ça dure des heures et des heures et on ne parle que de cela. C’est sûr que le phénomène de la télévision en direct joue de façon très importante, mais ce qui a entouré la mort de Maurice Richard, ce n’est pas comme ce qui a entouré celle Marie-Soleil Tougas, où la télévision avait certainement contribué à donner de l’ampleur au phénomène.
Est-ce à dire que les médias pourraient créer ce type de phénomène?
Les médias ne peuvent pas créer un phénomène de toute pièce si ça ne répond pas à un sentiment quelconque. Il y a une interrelation entre les médias et leur public. Si les médias font cela, c’est qu’ils considèrent qu’il y a une part importante du public qui s’y attend. D’un côté le public trouve que les médias exagèrent, mais, en même temps, le même public va aussi lire ce type de nouvelle-là. Les médias sont à l’image de notre société.
Est-ce que le Québec, du fait qu’il soit une petite société, en fait plus?
Probablement, parce que vu de l’extérieur, les gens ont l’air de s’étonner de la façon dont ça se fait. C’est sûr, c’est un petit milieu, alors quand des gens importants le quitte, les médias en font sans doute beaucoup. Or célébrer les héros d’une communauté est une de leurs fonctions, donc c’est normal qu’ils fassent cela. C’est toujours une question de mesure.
Quelle serait la juste mesure?
Les circonstances de la mort de Maurice Richard et de Dédé Fortin ne sont pas les mêmes. Dans le premier cas, la mort était attendue, dans l’autre, c’est un suicide. Sur le plan de la déontologie, les médias doivent traiter les suicides de façon bien différente d’un autre type de nouvelle. La circonstance de la mort est un facteur qui doit entrer en ligne de compte. Ensuite, ça dépend qui meurt… À partir du moment où quelqu’un meurt de façon inattendue et que les circonstances de la mort sont difficiles pour les proches, l’une des choses que les médias doivent respecter – et ce devrait être une des premières règles de la déontologie des médias – c’est la compassion.
Au Québec, les journalistes n’ont qu’un guide de déontologie, devrait-on les encadrer davantage?
Je ne suis pas tellement partisan d’un encadrement serré dans ce domaine. On corrigerait peut-être certains abus, mais on risquerait de se créer d’autres problèmes comme l’autocensure par exemple. La solution, c’est qu’il y ait des débats là-dessus. […] Je sais bien qu’il y a des abus de la part des médias, j’ai lu le très beau témoignage d’André "Dédé" Vanderbiest, le bassiste des Colocs, et je comprends le sentiment qu’il peut avoir envers des médias qui l’ont harcelé, mais est-ce que l’on peut faire une loi pour empêcher les journalistes d’appeler les gens? On peut espérer qu’ils aient assez de sens moral pour ne pas appeler les gens qui sont malheureux, mais en même temps on ne peut pas faire une loi pour cela. Il y a toujours eu des bavures, ça ne date pas d’hier.
Est-ce que la grande concurrencedans ce petit milieu éloigne les médias de leur rôle?
On juge souvent les médias du point de vue de leur responsabilité sociale, on a raison, mais en même temps il faut accepter l’idée qu’ils vivent dans un monde de marché. Il y a quelque chose de schizophrénique là-dedans: s’attendre à un comportement hautement moral et hautement éthique – au plan du contenu de l’information – de la part d’entreprises dont l’objectif central est la rentabilité.