Statistiques : Portraits de familles
Société

Statistiques : Portraits de familles

Certes, le taux de natalité est en chute libre au Québec depuis quelques décennies déjà. En fait, depuis le début des années 1960. Mais, évidemment, ça n’empêche pas les jeunes de vouloir des enfants. Sauf que ces rejetons naîtront dans un contexte bien distinct de celui que leurs parents a connu. Petit tableau des familles québécoises du XXIe siècle.

Socio logique

Chouchoutés par leurs parents baby-boomers, enfants du divorce et travailleurs malmenés dans un marché de l’emploi saturé, les jeunes cultivent un idéal familial fort différent de celui de leurs prédécesseurs.
Premier constat d’importance: ils attendent de plus en plus avant de goûter aux joies de l’enfantement. «Ça s’est repoussé dans le temps», lance d’emblée le professeur de sociologie de la jeunesse à l’Université de Montréal et membre de l’Observatoire jeunes et société de l’Institut national de recherche scientifique (INRS), Jacques Hamel.
Avant, la vingtaine marquait l’entrée dans la vie active et faisait jaillir les pulsions procréatrices. Aujourd’hui, tout est différent. «[Les jeunes] sont dans des conditions de précarité à un âge avancé… ils n’ont pas nécessairement les moyens de fonder une famille», expose M. Hamel. Et qui dit précarité, dit tracasseries à mille lieues de la maternité-paternité. Études prolongées et coûteuses tant pour les hommes que pour les femmes, départ du nid familial retardé, désir de stabilité du couple afin d’éviter une rupture, emplois éreintants, etc. Autant de variables qui ont le don de rendre terre à terre les plus \«têtes folles».
Ainsi, le taux de fécondité chez les 20-24 ans a atteint un seuil historique en 1998. Et il poursuit sa dégringolade. Est-ce que les jeunes se sont inconsciemment fixés un âge idéal, une limite? «C’est le cap de la trentaine!» s’exclame M. Hamel. Surtout pour les femmes. Messieurs, nos hormones seraient moins pressées. Les 30-35 ans prennent donc la relève.

Maman à 15-16 ans
Étrangement, malgré l’accès universel aux moyens de contraception, une toute nouvelle idéologie, totalement opposée au mouvement de masse, point à l’horizon. Un mystère sociologique. «À côté, il y a quand même des filles qui feront des enfants à 15-16 ans», note M. Hamel. Surtout dans les classes infortunées.
Mais qu’est-ce qui peut bien les motiver? «De toute manière, je n’atteindrai jamais cette stabilit. Alors, pourquoi me priver d’avoir des enfants?» Un billet vers la misère noire, au dire de l’expert. «La tendance est inverse… Dans les milieux défavorisés, on joue avec le feu très jeune et sans prendre les moyens de se protéger.»
Directrice de l’Observatoire et sociologue, Madeleine Gauthier a également remarqué «le retour en force du "défi adolescent"». Une façon de se valoriser pour ces mères à l’avenir moins rose. «L’enfant comble un besoin d’expression d’affectivité. Il apporte aussi une reconnaissance du milieu. C’est valorisant.»
Mais, on ne parle ici que d’une minorité. Les autres se laissent porter par la lame de fond décrite par M. Hamel. Attention toutefois. Lorsque l’on affirme que les jeunes rêvent de stabilité avant de peupler la planète, on est loin d’avancer qu’ils sont de petits capitalistes assoiffés ne pensant qu’à avoir les poches pleines. «Ce n’est pas juste l’argent qui influence le choix… Ce n’est pas uniquement à cause de l’aspect économique», assure Mme Gauthier.
«On est en face de jeunes adultes qui ont connu les effets [du divorce].» Quand on est partie des générations X-Y-Z et qu’on a vu plus du tiers des couples éclater, on y pense à deux fois avant de s’engager. «À notre époque, c’est difficile de dire oui pour la vie.»

Le règne de l’enfant unique
Autre élément qui distingue de plus en plus les nouvelles familles: le nombre d’enfants désirés. Pour les couples du monstre baby-boom, il était généralement établi qu’une famille «parfaite» était composée d’un papa, d’une maman et de deux ou trois enfants. Les jeunes n’ont plus le même idéal. «Ce n’est plus le nombre qui compte», indique Mme Gauthier. Attendez-vous donc à un «arrivage» impressionnant d’enfants uniques. La contrepartie? Bienvenue dans le monde des problèmes de socialisation. Il sera donc important que ces bambins découvrent très tôt qu’ils ne sont pas seuls au monde.
L’absence des parents qui travaillent sera un obstacle additionnel au développement de leur personnalité que renconteront ces marmots, fait valoir une autre sociologue de l’INRS-Culture et société, Denise Lemieux. Encore l’INRS? Que voulez-vous? C’est là que les meilleures études sur la question ont été réalisées. Mme Lemieux, qui a étudié en profondeur le désir d’enfants chez les 20-40 ans, a donc remarqué que les grands-parents auront un rôle primordial, indispensable à jouer. Il faut bien que les enfants soient gardés!
Au fait. On ne sait toujours pas pourquoi les jeunes font encore des bébés? La réponse va vous surprendre. Parce qu’ils en veulent! Les jeunes sont extrêmement traditionalistes à ce sujet. Selon Mme Lemieux, on est guidé par un désir un peu égoïste de se reproduire soi-même, de développer un lien affectif privilégié et de mener l’amour du couple vers la quintessence. La pression sociale n’est pas non plus à négliger. «On valorise encore beaucoup la vie familiale, les enfants.»
Autre découverte-surprise réalisée par Mme Lemieux: le libre arbitre dans la décision d’enfanter n’est pas nécessairement évident. Explications. À l’heure de la contraception accessible à tous, on serait tenté de se figurer que les jeunes choisissent le moment idéal pour avoir des enfants. «Il y a quand même des grossesses "imprévues"… Ce n’est pas toujours aussi rationnel qu’on le pense», remarque la chercheuse. On devient enceinte sans trop le vouloir et on décide de prendre cet «accident» comme une heureuse surprise. Plus ça change, plus c’est pareil.

Démographie représentative
«Il y a à peu près le quart des femmes [nées depuis 1960] qui n’auront aucun enfant au cours de leur vie. C’est très important.»
Démographe à l’Institut de la statistique du Québec, Louis Duchesne ne cesse de faire des découvertes surprenantes en nous scrutant à la loupe. Plus on avance, plus les probabilités qu’une femme procrée diminuent. C’est la contrepartie de la fécondité volontaire, semble-t-il.
Seconde statistique frappante dévoilée: 54 % des bébés naîtront dans des couples non mariés. Le Québec est championen la matière. «C’est un changement très important dans la forme de vie en couple… La majorité des jeunes qui sont en couple sont en union libre.» Le virage a été abrupt. En 1987, c’était 30 %. En 1991, 41 %. La religion a fait place à un individualisme contemporain, à un désir d’être authentique, d’aller chercher ses valeurs en soi.
En outre, les bébés québécois du XXIe siècle vivront dans une société largement dominée par les aînés. Vous le savez. Mais le concevez-vous vraiment? Imaginez la scène: d’ici 2026, le nombre d’enfants âgés de 0 à 14 ans s’effondrera de près de 22 %. Pendant la même période, les personnes âgées verront leur poids passer de 12 % à 25 %. Ainsi, dans 25 ans, il y aura 178 vieux pour 100 jeunes. C’est le taux de vieillissement de la population le plus rapide des pays industrialisés selon l’ONU.
«Ça va créer de la place pour les jeunes. Les jeunes vont être moins à l’étroit pour entrer dans le marché du travail», expose un autre démographe de l’Institut, Normand Thibault. Optimiste, il croit que tout sera plus facile pour les prochaines générations. «Faites-vous en pas, le marché du travail va être meilleur pour vous.» En fait, dès 2005, le mouvement prendra de l’ampleur. Depuis le temps qu’on le dit, ça y est. Les baby-boomers partiront pour leur retraite. «Ça va déferler d’une année à l’autre!»

Programmeurs analyse
Les gouvernements multiplient les programmes d’aide pécuniaire pour les familles. Est-ce que cela sert à quelque chose? Sûrement pas à influencer les couples à avoir des enfants.
«Il ne semble pas que les politiques natalistes de type économique aient beaucoup de succès, observe la sociologue de l’INRS, Madeleine Gauthier. Ça n’a pas joué sur une hausse [des naissances], ça c’est sûr et certain.»
Même constat pour ses confrères et pour le démographe de l’Institut de la statistique du Québec, Louis Duchesne. Ce dernier fait d’ailleurs remarquer qu’aux États-Unis, l’aide aux familles est quasi inexistante, mais que le taux de natalité y estnettement plus élevé. «Paradoxal.» Tous s’entendent néanmoins pour dire que les familles submergées par les dépenses ne crachent pas sur le support qui leur est offert.
La sous-ministre adjointe à la planification, à la recherche et aux politiques du ministère de la Famille et de l’Enfance, Annette Plante, a bien appris sa leçon. Le gouvernement québécois n’a pas de politiques natalistes. Il a une politique familiale qui vise le bien-être de la famille et des enfants. Nuance.
Ainsi, selon son revenu, une famille aura droit à des réductions d’impôt. Cela nous coûte environ 1,5 milliard de dollars par année. En plus, plusieurs programmes – prêts et bourses, CSST, aide sociale, etc. – soulagent quelque peu les ménages avec enfant(s).
Mais, encore faut-il que les familles concernées sachent qu’elles sont admissibles à une assistance ou une autre. On a beau investir en publicité, on estime encore à au moins 3 000 le nombre de familles qu’il est impossible de rejoindre. Facile de penser que toutes les autres ne connaissent pas tous les services qui leur sont destinés.
Notons qu’au fédéral, il existe également plusieurs programmes d’aide pour les familles tels la prestation fiscale pour enfant ainsi que de nombreux crédits d’impôt.