Jean Malaurie : L'Indien blanc
Société

Jean Malaurie : L’Indien blanc

Invité par le festival Présence autochtone, l’anthropogéographe français JEAN MALAURIE est l’un des plus importants défenseurs des Premières Nations. Pour ce frère spirituel de Grey Owl, l’Indien est au-dessus de tout  soupçon…

Les Français, on le sait, sont fascinés par les Amérindiens. Mais leur perception de la réalité autochtone dépasse rarement celle de Tintin: les tipis, les plumes, les flèches… Heureusement, il y a des exceptions, comme l’anthropogéographe et auteur français Jean Malaurie. Directeur et fondateur de la collection Terre Humaine aux éditions Plon, Malaurie a réalisé trente et une missions d’exploration chez les peuples inuits en près de cinquante ans, notamment dans le Nord du Québec. Membre de plusieurs centres d’études autochtones en Europe, cet homme de soixante-dix-sept ans défend les droits des autochtones sur toutes les tribunes.

Le festival Présence autochtone, qui vient de prendre fin, nous a beaucoup montré le visage ancestral des peuples premiers. Comme ils le font toujours lors de rencontres avec le gouvernement, les Amérindiens, affublés de plumes sur la tête et de peaux d’ours sur le dos, ont dansé et joué du tambour… comme si rien ne s’était passé depuis les trois cents dernières années. Pourquoi véhiculent-ils toujours cette image vieillotte et folklorique? «Un peuple caricature toujours sa culture lorsqu’il la sent menacée, croit Jean Malaurie. Les autochtones ont peur de perdre leurs racines, alors ils s’expriment d’une façon qui peut paraître exagérée. C’est vrai que ça peut sembler étrange. Mais les Écossais font la même chose en portant le kilt! Évidemment, les autochtones ne vivent pas au quotidien avec des plumes, mais ils veulent rappeler qu’ils sont toujours présents comme peuple. Ils veulent se faire remarquer pour être écoutés.»

Le mythe de l’Indien écolo
Pour Jean Malaurie, la culture autochtone ne se limite pas à des reliques pour les musées et à des statuettes pour les boutiques souvenirs. «Cette culture véhicule des valeurs essentielles, comme la solidarité. Ils prônent aussi l’art de vivre avec la nature. Ils nous donnent un exemple de protection de l’environnement inestimable.»

Pourtant, le mythe de l’Indien écolo en prend plein la gueule par les emps qui courent. Selon Shepard Krech III, auteur du livre The Ecologic Indian: Myth and History (W. W. Norton & Company), l’Indien écolo est un mythe. Les autochtones, dit-il, menacent eux aussi l’environnement, notamment par une chasse et une pêche abusives. «Cet auteur me fait sourire, répond Malaurie. Les autochtones sont les peuples les plus près de la nature de toute la planète. Ils prennent toujours la défense des forêts contre les coupes sans limites.»

Selon l’explorateur, l’environnement des autochtones a besoin d’être protégé plus que jamais. Dans le Nord du Québec, entre autres, la pollution gagne du terrain. «En raison de la contamination de l’eau et de l’air, les animaux mâles naissent hermaphrodites et les cétacés, nourriture de base de la population inuit, sont dangereusement intoxiqués. En raison de la pollution qui remonte du sud, les Inuits présentent aussi des niveaux alarmants de substances toxiques. Des études scientifiques ont démontré qu’ils ont des taux de BPC dans le corps sept fois plus élevés que les populations du Sud du Canada.»

Once Were Warriors
Suicide, alcoolisme, toxicomanie, criminalité, violence: les autochtones sont aux prises avec de graves problèmes sociaux. Selon Malaurie, cette tourmente provient d’une crise existentielle. «Ils vivent avec un double discours: celui des ancêtres et celui des Occidentaux. Ils ne savent plus quoi penser.»

Cette crise se double d’un complexe d’infériorité. «Les autochtones sentent que les Occidentaux les regardent comme des primitifs et des sous-développés. Pourtant, le développement, ce n’est pas seulement passer du harpon au fusil, du tipi à la maison de bois, du morse cru au boeuf en conserve, et de la littérature orale à la télévision. C’est aussi avancer sans renier ses racines, ce qui est cher aux Amérindiens.»

Cela dit, on accuse souvent les Amérindiens de s’adonner au commerce au noir (cigarettes et alcool) et de vouloir mettre la main sur la pêche aux homards afin de profiter d’une ressouce lucrative. D’après Malaurie, ces gestes sont explicables par ce qu’il appelle une «mésadaptation moderne». «Les Occidentaux ont introduit de force une économie de marché dans une société communaliste d’autosubsistance. Le résultat est catastrophique. Puisque les autochtones sont marginalisés culturellement, ils adoptent des comportements économiques délinquants. Ils se lancent dans la contrebande, et certains revendiquent des droits ancestraux afin de contrôler la pêche aux homards – non pas pour protéger l’espèce, mais pour s’enrichir. C’est désolant.»

Une culture pure?
Être amérindien n’a jamais été autant à la mode. Alléchés par les privilèges accordés aux autochtones, bien des Canadiens scrutent leur arbre généalogique et se cherchent du sang amérindien dans les veines. Rien de plus déplorable, s’indigne Malaurie. «On utilise souvent la culture autochtone quand on peut en retirer quelque chose de profitable. Mais il est nécessaire d’être vigilant. Il faut établir des lois précises pour éviter les débordements et s’assurer que ce sont bien les autochtones qui profitent des avantages qu’on leur accorde. Aussi, il ne faut pas que les lois favorisent le métissage. C’est une question de survie. Si les Amérindiens se métissent, ce sera l’assimilation d’un peuple et la disparition d’un patrimoine important.»

Pour éviter l’extinction de cette culture, Malaurie implore les gouvernements. «L’avenir des autochtones se joue sur l’échiquier politique», soutient-il. S’il salue la création du Nunavut, le nouveau territoire canadien dirigé par des autochtones, il croit qu’il faut accorder encore plus de pouvoirs aux premiers peuples. «La province de Québec doit devenir fédérale pour que le Nunavik devienne autonome et ait son propre gouvernement.» Un autre débat constitutionnel en vue…