Si tout va comme sur des roulettes pour notre gouvernement, nous ne pourrons plus jamais avoir tous les détails sur les comptes de dépenses des personnages publics pas plus que sur les modes de gestion des compagnies créées par nos sociétés d’État avec notre argent. Inquiets?
Avocat traitant régulièrement des questions de droit de l’information et d’accès à l’information au sein de l’étude Lafleur, Brown, Marc-André Blanchard l’est certainement, inquiet. «La Loi sur l’accès, c’est pour assurer la transparence du gouvernement et des institutions publiques… [Avec 122], ce n’est plus une loi sur l’accès, c’est rendu une loi sur le non-accès. C’est une occasion complètement ratée de remettre les pendules à l’heure.»
Vous aurez compris que le projet de loi no 122, loi modifiant la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels…, ne l’enchante guère. Du moins, certaines de ses dispositions.
Premier écueil. La législation proposée indique que les comptes de dépenses des hauts fonctionnaires et des élus seront en partie publics. Ainsi, nous pourrons toujours savoir le montant, le nom de la personne remboursée, le type de dépense, la région, la date et le nombre de personnes présentes. Un exemple? Le maire Bourque s’est fait rembourser 500 $ dans la grande région métropolitaine de Montréal le 1er du mois pour de la restauration avec cinq convives. À vous de juger si c’est assez précis pour que nous jugions de la pertinence du déboursé.
«Je trouve ça tout à fait scandaleux.» Me Blanchard n’aime vraiment pas. «La bête sécrète son propre venin… Le gouvernement, c’est évident qu’il fait fausse route.»
Le non-assujettissement à la loi des compagnies satellites des sociétés d’État le trouble tout autant. «Ça trompe qui qu’Hydro-Québec International ne soit pas une société d’État?» demande-t-il. D’autant plus inquiétant, selon lui, que la mode est à la création de filiales. On ne pourra donc compter que sur les fuites
Associé au sein de l’étude légale Lavery de Billy, Raymond Doré prévoit un tollé. «Je m’attends à ce que ça soulève une controverse en commission parlementaire.» Mais lui ne participera pas au mouvement de protestation. Il est dans l’autre camp, il travaille pour certaines de ces sociétés parallèles.
D’aucuns pourraient dire que sa tâche sera ardue. La Loi sur l’accès aux documents des organismes publics… comporte déjà des restrictions. Ainsi, aux articles 21 à 24, on peut lire, en substance, que les sociétés d’État ne sont pas obligées de divulguer les informations qui peuvent mettre en péril leur compétitivité. En clair, elles sont déjà protégées. Alors, on est en droit de se questionner sur la nécessité de tout cacher. Si Hydro-Québec s’en accommode, pourquoi pas Hydro International?
Moins impliqué dans les dossiers de comptes de dépenses, Me Doré est un peu plus bavard. «On ne pourra pas savoir avec qui», remarque-t-il tout en précisant que les hauts fonctionnaires ne sont pas toujours surveillés. «\Ces personnes n’ont pas nécessairement de supérieurs qui les contrôlent.»
La critique bien entamée, Me Doré poursuit sur sa lancée. Autre point nébuleux du projet de loi que ses collègues n’ont pas tous relevé: la liberté conférée aux compagnies qui constituent des banques de données sur les citoyens. On pense immédiatement au Big Brother du ministère des Ressources humaines du Canada, mais en un peu plus petit et sous le contrôle du privé.
Le Québec, contrairement à presque toutes les autres provinces, n’imposera donc pas de limite dans le temps. Les Équifax de ce monde pourront donc conserver des données sur nous aussi longtemps qu’elles le voudront. «Le gouvernement s’est privé du pouvoir de réglementer cette question-là. C’est assez étonnant.»
Monter aux barricades
Vous aurez compris que les modifications législatives proposées ne font pas le bonheur de nombreux citoyens. Des journalistes en particulier. La Fédération professionnelle des journaliste du Québec promet d’ailleurs de se faire entendre en commission parlementaire. «Attention! L’accès, faut le défendre. L’accès est menacé… Le projet de loi 122 marque un recul très net sur certaines questions», lance le secrétaire général, Claude Robillard.
«Un organisme public peut créer des organismes privés qui ne sont pas soumis à la loi», insiste-t-il, médusé. Il s’interroge sur les conséquences. Jusqu’où iront les sociétés d’État afin d’éviter la surveillance du public?
Et les comptes de dépenses des individus publics? Comment savoir si un élu mange tout le temps avec le même richissime entrepreneur qui obtient toujours des contrats gouvernementaux si on ne dévoile pas son nom? avance M. Robillard. Pire. Invite-t-il sa famille au resto sur le dos des contribuables?
Avocate au contentieux de la Société Radio-Canada, Judith Harvie jure aussi de prendre part au débat. «Je suis totalement en désaccord avec ce qu’ils se proposent de faire… Toutes les filiales ne seront plus visées. C’est tellement facile de contourner le système.» La Société des casinos, par exemple, «brasse» énormément d’argent, mais ne devra pas rendre de comptes.
«La volonté politique va venir de la pression de la population… Il faut que les journalistes et le public soient alertés… Lorsque c’est de l’argent du public qui est impliqué, il devrait y avoir une forme d’accès beaucoup plus large», s’indigne-t-elle.
Le gouvernement savait
S’il advenait que le gouvernement affiche un air surpris lorsque les groupes de pression lui adresseront leurs doléances, prenez sa réplique avec des pincettes. Depuis 1997, la Commission de l’accès à l’information (CAI) l’a averti. La porte-parole, Mariette Dion, nous a envoyé une copie d’un mémoire remis au ministre des Relations avec les citoyens et de l’Immigration, Robert Perreault, ainsi qu’à son prédécesseur, André Boisclair.
On peut y lire que la Commission suggère de «corriger une situation qui faisait en sorte que des organimes, largement alimentés par des fonds publics, puissent échapper à des obligations de transparence… La Commission souhaite donc que cette décision puisse être réévaluée.»
L’attachée de presse du ministre Perreault, Dominique Olivier, affirme que la décision de soustraire les filiales des sociétés d’État au contrôle de la CAI lui a été imposée. «M. Perreault dit que c’est un peu à son corps défendant qu’il a fait ce choix-là… C’est une question d’affaires. Naturellement, sa tendance aurait été d’aller vers "on rend tout public".»
Quant aux comptes de dépenses, le secret entourant le nom des «bénéficiaires» et le lieu exact du déboursé serait un gage d’efficacité. Si un maire tente de convaincre une entreprise de s’établir sur son territoire, il ne faut pas que ses «rivaux» sachent qu’il a invité son dirigeant à souper. De toute façon, il y aurait des mécanismes de vérification efficaces. «Je ne pense pas que ce soit aux journalistes de juger de la pertinence de la dépense. C’est aux gens qui remboursent.»
Intéressé à déposer un mémoire? Il doit être acheminé avant le 25 août.
Les consultations débuteront le 12 septembre.