Pendant que les opposants à l’agrandissement du Métro Chèvrefils sur l’avenue Laurier lançaient leur appel au boycott de l’épicier, j’hésitais devant les douze nouvelles saveurs de l’Ultra’lait.
«Neuf cents clients du Métro Chèvrefils ont signifié par lettre qu’ils boycotteraient votre magasin», déclarait Yves Chartrand, un des organisateurs de l’opposition à l’expansion de l’épicerie, à Guy Chèvrefils, directeur général du marché établi dans le quartier depuis 1936.
Sapristi, que c’est rendu compliqué de s’acheter une pinte de lait! L’Ultra’lait ultra-crémeux, l’Ultra’lait à moitié moins crémeux, l’Ultra’lait slim fast, l’Ultra’lait pour enfants, l’Ultra’lait pour p’tits vieux en carence de calcium, offerts dans le 1% de gras, 1,5 %, 1,7 %, 2 %, 2,3 %, 2,5 %, 3,25 % et 3,28 %… «Pardon, madame, avez-vous juste du lait?»
Monsieur Chèvrefils veut m’offrir encore plus de marques de lait. C’est pour ça qu’il va doubler la superficie de son magasin du Plateau. Pour mieux faire son Métro, il ajoutera un étage résidentiel, un quatrième. Il doit déroger à plusieurs règles au zonage, dont la déviation d’une ruelle et la hauteur de l’immeuble.
Des résidants du coin soutiennent que les dérogations sont trop importantes pour la vocation «petits commerces» de cette section de l’avenue. Son allure supporte mal le considérable. (On le voit déjà avec l’édifice qui abrite dans son sous-sol le célèbre boulanger artisanal Le Fromentier: quatre étages de verre fumé miroitant. Ça jure dans le paysage, comme un pain Weston sur l’étal du Fromentier.)
Des dérogations que lui a accordées la Ville sans broncher, toujours par le même processus gâteux de la Commission de développement urbain. C’est bien simple, seuls les adeptes de l’autoflagellation croient encore aux vertus consultatives de cette Commission.
Aujourd’hui, les opposants au projet – à tort ou à raison, mais sûrement en toute bonne foi – s’attaquent au Métro Chèvrefils en le menaçant de s’en prendre à son chiffre d’affaires. «Il n’y a plus rien à faire avec la Ville, m’a répondu Nora Bednarski, une opposante. Elle a dit oui à tout. Alors, à ce stade, c’est entre nous et monsieur Chèvrefils.»
Pourtant, Métro Chèvrefils est une entreprise qui, en toute légitimité dans une société capitaliste, voulait s’agrandir. Elle a passé par toutes les étapes légales pour y parvenir. Elle n’a pas à se transformer en organisme de consultation publique. C’est à la Ville de le faire.
Mais la façon d’arriver à ce résultat est tellement peu crédible, et entachée par les partispris en faveur des promoteurs, que les citoyens suspectent toute demande de dérogation au règlement d’urbanisme.
Si vous vous demandez à quoi sert un vrai système de consultation publique, ça sert justement à éviter ce genre de situation fâcheuse où le gagne-pain de quelques malheureuses caissières est en jeu, parce que la Ville a failli dans son rôle d’arbitre dans les conflits de voisinage.
Du plutonium dans votre assiette
Le MOX. Ne pas confondre avec le moxa, une branche d’armoise employée en médecine traditionnelle chinoise. On en brûle le bout avant de le mettre en contact avec la peau. Une forme d’acupuncture, si vous voulez.
Non, le MOX, c’est tout, sauf santé. Un mélange d’uranium et de plutonium. Bref, évitez tout contact avec la peau et les yeux. Et en cas d’ingurgitation, appelez la Protection civile et l’équipe d’urgence d’Environnement Québec.
Après quelques semaines de cogitation, la Communauté urbaine de Montréal (CUM) vient de joindre sa voix à celle de plus de cinq cents municipalités québécoises, ontariennes et américaines qui demandent l’arrêt complet du furieux projet de convoyer sur le Saint-Laurent du MOX contenu dans les bombes nucléaires américaines et autrefois soviétiques, maintenant démantelées, vers les centrales nucléaires de l’Ontario. Un projet déjà qualifié d’insensé par une commission de parlementaires fédéraux.
Énergie atomique Canada, le maître d’oeuvre du projet, jure qu’il n’y a pas de danger, mais refuse de rassurer la population par une démonstration de transparence. Ce que déplore aussi la CUM.
Il n’y a pas de danger, parce qu’on s’est exercé, l’hiver dernier. Comment? En commençant avec une toute petite quantité: l’équivalent de sachets de sucre de MOX. Une légère opération… militaire, ultra-secrète et réalisée en pleine nuit. Seul un cercle très restreint d’initiés étaient au courant. Le MOX est parti des États-Unis, au milieu d’un convoi routier (il est interdit de transporter du MOX par les airs aux États-Unis, c’est trop risqué) lourdement armé, et dirigé par des spécialistes du transport de MOX. Au poste-frontière de Sault-Sainte-Marie, une brigade camouflée de l’armée canadienne attendait les deux sachets de sucre, fusils mitrailleurs en main et lunettes infrarouges au front. On s’est échangé les deux sachets sous haute surveillance. Et on a apporté le tout par hélicoptère (c’est permis ici) jusqu’à une centrale nucléaire où attendaient d’autres militaires.
Il n’y a pas de danger, qu’ils disaient… Sinon, on aurait fait appel au cirque des Shrinners, pas à l’armée. Et on n’aurait pas fait ça en secret, ni en pleine nuit.