Société

Politique sur l’eau : Problème de liquidité

Le 19 juin, le ministre de l’Environnement du Québec, PAUL BÉGIN, s’est vanté. Pas peu fier, il a annoncé la naissance prochaine d’une véritable politique sur l’eau, histoire de rassurer ses concitoyens alarmés par le scandale de Walkerton et sa bactérie E.coli. Mais avant l’accouchement, il reste quelques «petits» points à clarifier… Ne verra-t-on jamais la ressource gérée et protégée?

D’entrée de jeu, le professeur en gestion environnementale à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal, Daniel Clapin-Pépin, affiche ses couleurs. Le ministre de l’Environnement a beau profiter du tumulte «Walkerton» pour gagner du capital politique et faire montre de grandes ambitions, il ne pourra pas mener à terme son projet. Du moins, pas sans qu’il soit vidé de sa substance, croit-il.
C’est que M. Bégin voit grand. Très grand. L’eau potable n’est pas aussi potable selon son lieu de résidence. En fait, dans certains milieux ruraux, on peut se demander s’il n’est pas dangereux de boire au robinet. Il veut que cela change. Les normes seront améliorées et les échantillonnages plus fréquents. Seulement pour cet aspect, on parle d’une ardoise de plus de 600 millions de dollars.
Et, on n’a pas encore abordé la question de la gestion de ressource en tant que tel. C’est que M. Bégin veut décréter que l’eau souterraine est un bien collectif au même titre que celle de surface. Qu’est-ce que cela signifie? Ce n’est pas très clair. Le ministre avance les notions de gestion intégrée de la ressource, d’utilisateur payeur et de pollueur payeur. Encore une fois, il faudra beaucoup d’argent.
M. Clapin-Pépin est donc extrêmement perplexe. «À mon avis, ça va mourir… Il n’a pas d’argent. D’ailleurs, il n’a pas de pouvoir au sein du Conseil des ministres.» Certes, le gouvernement devrait prêter une oreille attentive. La population a compris qu’elle est vulnérable. La norme pour la purification de l’eau potable devrait être améliorée. Il est temps. «Au Québec, on n’a pas de protection. Notre réglementation est vieille, est archaïque… Mais, si tu n’as pas les ressources pour appliquer la norme, c’est comme un coup d’épée dans l’eau.»
Diplômé en génie chimique et en génie de l’environnement et membre de l’Institut des sciences de l’environnement de l’UQAM, Patrick Beron est tout aussi pessimiste. «On veut un peu tout faire sur papier, mais il faut mettre les moyens.
Le traitement de l’eau, ça lui connaît. Passer à huit tests de qualité par mois, ce n’est pas simple, surtout quand le personnel n’est même pas formé. «[En plus,] faire une analyse, ça coûte cher.»
Mais ce n’est qu’une bagatelle par rapport au désir de modifier de 5 à 0,5 UTN le degré de turbidité de l’eau. Qu’est-ce que cela veut dire? La turbidité est la mesure de la quantité de particules en suspension présentes dans l’eau. On l’associe généralement à la contamination ou à la présence de bactéries, explique M. Beron. Là, on parle vraiment de gros sous. «Ça va causer des problèmes au niveau des usines.»
Tous les systèmes de filtration devront être revus et corrigés. «Ça dépend de la taille de la ville. Ça peut aller dans les millions de dollars pour une grosse usine.» Faites le calcul. Au nombre de municipalités que compte le Québec, les 600 millions de dollars prévus par le ministre de l’Environnement ne seront pas de trop.
Même en faisant abstraction de la question financière, M. Beron cultive des doutes quant à l’aboutissement du projet de politique. «[Le problème de M. Bégin], c’est qu’il n’est pas dans le bon gouvernement. Celui-ci n’est pas très enclin à tout ce qui est environnement.»

À la source
L’argumentaire des deux chercheurs est repris par le directeur régional de l’Union Saint-Laurent-Grands-Lacs et membre du conseil d’administration d’Eau-Secours, Stéphane Gingras. «Ils n’ont pas les moyens de leurs ambitions.»
M. Gingras va toutefois un peu plus loin. «On a beau travailler pour traiter l’eau pour qu’elle soit buvable, il faut éviter à la base de la polluer.» Nous payons tous pour les pollueurs, fait-il valoir. «On va hausser les normes. En même temps, il faudrait s’occuper de la source du problème.» Entendre ici les grandes industries et l’univers agricole.
Même son de cloche du côté des Amis de la terre. «Il faut protéger les milieux, les écosystèmes à la source», lance le bénévole responsable du dossier, Denis Potvin. Pour lui, l’annonce du minstre Bégin est un non-sens. On dit vouloir investir des sommes colossales – qu’on n’a pas encore trouvées – pour nettoyer une eau qui devrait être potable.
En plus, un traitement accru de l’eau ne réglera pas tous les problèmes. Dans de nombreuses municipalités, le réseau d’aqueducs est tellement vieux et décrépit qu’il y a risque de contamination. Ainsi, l’eau est «pure» à sa sortie de l’usine mais ne l’est plus une fois dans les foyers. On ne pense plus en millions, mais en milliards de dollars, selon M. Potvin.

La facture aux contribuables
Il n’a pas été possible de discuter avec le ministre Bégin, trop occupé. Au cabinet, on nous a néanmoins référé au directeur des politiques du secteur municipal, Jean-Maurice Latulippe, fort bien renseigné.
Tout en discutant avec notre interlocuteur, force est de constater que le projet est grandiose mais que les sommes prévues n’ont pas encore toutes été dénichées. Quelque 79 millions de dollars proviendront du programme d’infrastructures conjoint fédéral-provincial. On obligera les municipalités à en mettre autant. Pour le reste, le gouvernement est en négociation. Si son plan est accepté, l’addition sera divisée en trois: fédéral-provincial-municipal.
Qu’est-ce que cela signifie pour les contribuables? Que nous allons devoir délier les cordons de nos bourses et passer à la caisse. «Il va y avoir évidemment une question de taxation qui va se faire», reconnaît M. Latulippe.
Nous en saurons plus d’ici le printemps 2001. Le ministre devrait alors enfanter. Mais, déjà, on peut imaginer qu’entre le projet et la politique officielle, il y aura épuration du texte. Des comités évalueront chacune des composantes et feront des recommandations qui seront réévaluées par le ministère. Les compagnies qui prélèvent de l’eau pour la vendre paieront-elles des redevances? Les concepts d’utilisateur payeur et de pollueur payeur seront-ils appliqués? Comme le dit si bien M. Latulippe, ces notions ne sont que des concepts, rien de plus.
D’ailleurs, le gouernement pourrait voir ses ardeurs freinées par les industriels qui ne veulent pas d’une nouvelle forme de taxation. Directeur de la recherche et de l’analyse de l’Alliance des manufacturiers du Québec, Manuel Dussault est clair. Les entreprises sont déjà surtaxées.
Quant à devoir payer selon la consommation, M. Dussault, en fin stratège, affirme que l’idée ne lui déplaît pas à la condition que la règle soit la même pour tous. «Nous croyons au principe de l’utilisateur payeur en autant que ça s’applique aussi aux citoyens.» Le ministre a déjà rejeté cette idée. Les frictions seront grandes.
Et le pollueur payeur? Autant oublier cela immédiatement, si on en croit M. Dussault. Oui, il faut protéger la ressource. Mais, nous avons tous besoin de travailler, rappelle-t-il. «La population a besoin d’être consciente que le développement économique c’est aussi important.»
Ce qui fait dire au responsable de la maîtrise en environnement et membre de l’Institut de l’environnement de l’UQAM, Laurent Lepage, qu’il sera extrêmement ardu de concilier les désirs aux antipodes des groupes concernés.
Le ministre de l’Environnement s’engage dans le droit chemin. Néanmoins, il risque d’y rencontrer bien des embûches. «On reste silencieux sur comment cette expérimentation sociale et politique va être mise en oeuvre… Ça nous laisse un peu sur notre faim», déplore M. Lepage qui a hâte de pouvoir «lire un peu mieux entre les lignes».