L’annonce m’a presque empêché de dormir. Elle a scrapé ma bonne humeur du déménagement, et rempli mes boîtes d’inquiétude.
Le Canadien est à vendre.
Ce qui semblait immuable il y a si peu a maintenant une envie irrépressible d’aller sur le marché de l’adoption internationale. Suffit de pousser dessus pour que… ça se pousse!
Ce que Molson nous a annoncé la semaine dernière, c’est que désormais, même dans sa capitale mondiale, le hockey sera à la bière ce que les figurines de Hans Solo et R2D2 à 1,29 $ chez tous les McDo participants sont à Hollywood: un sous-produit.
Autrefois, le Canadien était un investissement doublé d’un véhicule publicitaire pour le brasseur, voire l’association d’une corporation à l’existence d’un peuple. Maintenant, ce n’est plus qu’une trottinette publicitaire pour une brasserie en déclin.
Mais ce que Molson nous a surtout montré la semaine dernière, c’est un sacré bon sens du timing. La valeur financière du Canadien est à son apogée. La valeur générale des équipes sportives professionnelles est à son zénith.
Mais d’ici peu, le tout va redescendre dans un grand fracas, comme un viaduc sur une autoroute. Dans les cas du base-ball et du hockey, ça va carrément kracher – dans cinq ans, tout au plus. À ce moment, il sera trop tard pour vendre.
Une nouvelle variation sur le thème de la «trappe»? L’«attrape»?
Des plombiers à 150 $ / heure
Ça doit être dans nos gènes de saints martyrs canadiens: payer trois cents balles pour voir des plombiers tenter de déboucher la trappe pendant deux heures trente…
Vous savez ce que c’est, la trappe? Les vieux, ceux qui se souviennent de l’époque de la ligue à six clubs, et qui nous répètent sans cesse combien c’était meilleur dans le temps, appellent ça tout bonnement du «dompage de puck». Tu dompes la puck dans le fond de ma zone défensive, je la redompe dans le fond de ta zone défensive, etc.
De l’anti-jeu. Du contre-spectacle. Metallica qui joue de la mandoline sur n air des Sweet People.
Pas par manque d’imagination ou par excès de prudence, mais par limitation physique. Le talent est une carence, dans le hockey d’aujourd’hui.
Alors, lorsqu’il sent la soupe chaude, l’entraîneur en appelle à la trappe pour limiter les dégâts – la trappe qui, incidemment, a été inventée par une de ces légendes «aux bras meurtris qui tendent le flambeau» du Canadien, Jacques Lemaire.
Et pourtant les foules sont toujours aussi nombreuses.
Ça doit être dans nos gènes de saints martyrs canadiens… Ce que nous recherchons au fond, en assistant aux matchs de hockey, ce n’est pas de voir du bon sport: c’est la rédemption du corps et de l’esprit par la pétrification (c’est-à-dire: l’ennui béat d’un match de boulingrin sans contact). L’équivalent du jeûne pendant le carême.
Les Brasseries Molson sont tout de même chanceuses de se sortir du hockey professionnel aussi repues de cash, compte tenu du marketing médiéval de leur Canadien, de la manie de ses patrons à congédier les favoris de la foule pour cause d’insubordination, et à tenir la clientèle pour acquise.
Acquise? Non: endoctrinée.
L’Église catholique canadienne-française a fait fortune avec cette recette: rédemption, discipline, doctrine. Pourquoi pas Molson?
Vlad ou les taxes
Pendant la conférence de presse qui a suivi l’assemblée des actionnaires de Molson, où la société a annoncé la vente du Canadien, quel mémérage nauséabond!
Le Canadien perd douze millions de dollars par année, seulement à cause de la dévaluation du dollar canadien. Il voit sa masse salariale quadrupler en quelques années (de dix à quarante millions) pour un groupe de vingt-cinq employés dont la compétence générale suit une tendance inversement proportionnelle aux salaires. Un certain Vlad, Malakhov de son nom de famille, recevait un salaire annuel du même ordre que le manque à gagner du club! Pourtant, le club a tout aussi bien fait (ou tout aussi mal fait, selon le point de vue où l’on se place) sans li.
Et qui blâme-t-on pour le rouge des finances? Les taxes foncières du Centre Molson. Une facture de onze millions de dollars, sept millions de plus qu’il y a cinq ans au défunt Forum – et pour quoi, au fond?
Pierre Boivin vous le demande!
La protection policière? L’entretien des rues encombrées? Les stationnements? L’eau et les égouts? (Parce que ça en prend, de l’eau, dans un match de hockey – pas pour boire, ni pour la glace, mais à cause de la bière. Que voulez-vous, la bonne bière bourrative, ça fait pisser. Vingt-cinq mille chasses d’eau par soir de hockey!)
Tant qu’à se faire rouler dans la farine par autant de mauvaise foi, pourquoi ne pas acheter le Canadien? Un peu plus de cent millions de dollars pour le club et… trente-cinq millions pour le Centre Molson!
Eh oui, trente-cinq millions. Lors de l’inextricable contestation de son compte de taxes municipales devant le Tribunal administratif du Québec – une saga qui a coûté près de un million de dollars aux contribuables en frais d’avocats -, Molson a prétendu que son Centre ne valait que trente-cinq millions, même s’il en avait coûté deux cent soixante-dix à construire.
Aura-t-elle les mêmes prétentions avec les acheteurs potentiels?