Le mariage homosexuel : La poursuite du bonheur
Société

Le mariage homosexuel : La poursuite du bonheur

Depuis un mois, le Vermont reconnaît enfin les unions civiles entre deux hommes ou deux femmes. Au Québec, selon la loi 32, deux adultes égalent un couple. Mais le mariage demeure un rêve impossible pour les gais et les lesbiennes. Pour combien de temps?

Pour Michael Hendricks, le grand jour est presque arrivé! Il lui reste encore quelques années de batailles juridiques avant qu’il ne puisse convoler en justes noces avec son amoureux, René LeBoeuf. Car les deux hommes aspirent au mariage tel que défini par le Code civil du Québec. Mais voilà: les lois québécoises et canadiennes sur la reconnaissance des conjoints de même sexe ne leur donnent aucun statut légal. Pour l’État, le mariage doit unir seulement un homme et une femme. «C’est pas grave, dit le futur marié. Je vis en couple depuis 27 ans. J’ai appris à être patient!»

Les deux Montréalais ne sont pas les seuls à contester la loi afin que leur union soit reconnue devant Dieu et devant les hommes. À l’autre bout du pays, en Colombie-Britanique, Cynthia Callahan et Judy Lightwater ont aussi tenté d’obtenir une licence de mariage civil. En vain. Par contre, les deux femmes ont un appui de taille dans leur lutte: le gouvernement provincial néo-démocrate.

En effet, le 20 juillet dernier, le solliciteur général, Andrew Petter, a demandé à la Cour Suprême de la Colombie-Britannique de se pencher sur la question. «On ne peut pas continuer à pratiquer la discrimination envers les couples gais et lesbiens, a déclaré le solliciteur général, en conférence de presse à Victoria. Si l’institution du mariage est valable pour la société et bénéfique pour les couples hétérosexuels, elle devrait être ouverte aux couples de même sexe. Pourquoi refuserions-nous aux homosexuels la possibilité d’exprimer et de renforcer leurs liens conjugaux? Ces mariages ne seront pas profitable uniquement aux homosexuels et à leur famille. Mais à la société tout entière.»

Ça va vite! Voilà 30 ans, l’homosexualité était considérée criminelle dans la plupart des pays occidentaux. Aujourd’hui, un peu partout en Amérique du Nord et en Europe, on s’achemine vers la reconnaissance des conjoints homosexuels. Toutefois, les unions entre deux personnes de même sexe progressent dans le vide juridique et la confusion totale. Pour l’instant, seul le Vermont, depuis le 1er juillet, et les Pays-Bas ont légalisé l’union civile entre deux personnes de même sexe. Chez nous, le mariage est défini par le fédéral mais célébré par les provinces. Ce qui explique que les divers paliers gouvernementaux se renvoient constamment… le bouquet. La loi fédérale s’appuie sur la common law britannique pour définir le terme mariage comme une union entre un homme et une femme. En 1994, l’article 365 de la loi québécoise a entériné cette définition.

C’est justement cet article que Michael Hendricks et René LeBoeuf contesteront devant les tribunaux. Pour les militants du mariage gai, la légalisation n’est pas seulement symbolique. Une fois mariés, les homosexuels pourraient éventuellement adopter et élever des enfants, hériter de leur conjoint, et, peut-être, – tant qu’à copier les hétéros – divorcer.

Un tel changement juridique risque de révolutionner la société. Et ne fera pas plaisir à tout le monde. Afin de légaliser leur ménage, Michael Hendricks et René LeBoeuf ont cru bon de lancer, le 21 août prochain, la Coalition québécoise du droit au mariage pour les gais et lesbiennes, le pendant québécois du groupe canadien EGALE, qui se battra pour cette cause. La Coalition compte sur l’appui d’Ann Robinson, juriste et professeure à l’Université Laval, qui a effectué une importante recherche sur le sujet. «Contrairement à ce que certains parlementaires croient et laissent entendre, écrit Ann Robinson dans son document de plus de cent pages, la législation sur le mariage au Canada n’est pas tout à fait une tradition philosophique ou religieuse, mais plutôt un construit social permettant à la majorité hétérosexuelle d’exclure les gais et les lesbiennes de ce droit fondamental malgré les dispositions anti-discriminatoires de la Charte canadienne. La marche des homosexuels vers l’égalité et l’évolution de la notion de mariage dans les pays de common law et de droit civil permettront d’établir ce fait sans l’ombre d’un doute.»

Des opposants au mariage
Ce dernier combat des gais et des lesbiennes divise la communauté. En revendiquant le droit au mariage, certains estiment que les gais sont en train de devenir plus straight que les hétéros. Les défenseurs du mouvement queer, par exemple, préfèrent concentrer leurs énergies sur une redéfinition de l’identité sexuelle plutôt que de prôner des modèles traditionnels. «Je comprends que la communauté gaie désire l’égalité totale des droits et la reconnaissance légale. Mais je suis extrêmement mal à l’aise face à cette revendication», avance Richard Desrosiers, professeur d’histoire et titulaire du cours «Homosexualité et Société» à l’UQAM. «Le mariage est une institution ultra conservatrice et un instrument de contrôle social. Il a été dénoncé, entre autres, par les féministes. Au lieu de se marier, les gais et lesbiennes pourraient essayer de renouveler le couple, et de proposer une conjugalité différente et originale.»

Aux yeux des hommes gais qui ont dansé au son de YMCA des Village People dans les années 70, l’idée de devenir monogames et de jurer fidélité devant témoins peut paraître assez réactionnaire. «La monogamie et la fidélité ne sont pas des normes absolues, poursuit Desrosiers. Ce sont des normes parmi tant d’autres. Le danger, avec le mariage, c’est que la communauté gaie va devenir conformiste et créer deux classes: les bons gais mariés et en couple; puis, les mauvais, qui draguent et couchent avec plusieurs partenaires. On est bien loin de la révolution sexuelle et du flower power…»

Plus tranchant, l’écrivain québécois Alain-Napoléon Moffat estime que le mariage est un recul pour le mouvement gai. Dans un article paru dans la revue Temps fou, Moffat accuse l’homosexualité d’être «au service de l’agenda néolibéral». «Si un magazine très conservateur comme The Economist soutient le mariage des gais et des lesiennes, écrit-il, ce n’est pas pour des raisons d’ordre éthique; ce n’est pas parce qu’il fait partie d’un développement démocratique, ou pour la reconnaissance des citoyens. C’est parce que le capitalisme y voit un facteur de stabilité sociale et de régulation des échanges.»

Dans une récente entrevue accordée au mensuel Fugues, l’auteur de Rhapsodie roumaine, Dominique Fernandez, va même jusqu’à dire que «l’homosexuel doit conserver une position critique» vis-à-vis de la société : «Il ne doit pas se laisser prendre par les formes institutionnelles. Il doit garder sa liberté, son insolence, sa marginalité. Sinon, il perd son essence», croit le récipiendaire du prix Goncourt pour Dans la main de l’ange.

«Si le rêve d’un homosexuel, c’est de se marier en blanc en écoutant les cloches de l’église sonner, puis de vivre en couple dans un bungalow, c’est son droit légitime, rétorque Michael Hendricks. Il existe plusieurs réalités homosexuelles. Pas seulement celle de la culture de résistance. Dans les faits, le mariage est un droit universel… sauf pour les couples de même sexe. Au Québec, une personne placée sous la curatelle publique peut se marier. Pas un homme avec un autre homme! Je ne me bats pas pour le mariage: je milite pour le droit d’accès au mariage. Après, c’est à chacun de choisir de quelle façon il veut vivre sa vie.»

Comme toutes les grandes luttes de la société démocratique et libérale, le mariages des couples de même sexe est donc un combat pour la liberté de choisir. Et le chemin de la liberté est souvent parsemé d’embûches. Un geste aussi mainstream que le mariage peut avoir une connotation anticonformiste. Car le mariage des couples de même sexe choque encore plusieurs personnes.

Vous en doutez? Pour la page couverture de cette semaine, Voir a contacté plusieurs boutiques de la mariée sur la Plaza Saint-Hubert avant d’en trouver une qui accepte de nous prêter une robe pour les photos. Chaque fois que le directeur artistique mentionnait que c’était dans le cadre de la Fierté gaie et lesbienne, les gérantes déclinaient poliment mais fermement notre demande. «Certaines étaient très embarrassées. C’était comme si j’avais prononcé le mot pénis face à des enfants de la maternelle, relate-t-il. Une femme m’a dit qu’elle ne voulait pas choquer sa clientèle. Quand j’ai avancé qu’elle pouvait toucher une nouvelle clientèle, elle m’a rétorqué qu’elle n’en voulait pas, de cette clientèle-là!»

Voilà déjà une bien bonne raison pour les gais et les lesbiennes de vouloir crier: oui, je le veux!