Les gais sur Internet : Ça clique!
Société

Les gais sur Internet : Ça clique!

Sur les sites québécois conçus pour les gais et lesbiennes, les commentaires élogieux et les témoignages émouvants abondent. En région, les homos, naguère isolés, se branchent, s’informent, chattent et se rencontrent.

«Ce n’est pas facile d’être gai, à 14 ans… mais même si on se connaît à peine, je te sens comme un grand frère, ou ben donc un grand-père, à qui l’on peut faire éperdument confiance.» En moins de deux ans, Gémeaux (Mario Lafond), le webmestre de La Gang d’IRC ( www.gangirc.qc.ca), a reçu près d’une centaine de témoignages comme celui d’Oboe. Et il n’est pas le seul: sur les sites québécois conçus pour les gais et lesbiennes, les commentaires élogieux et les témoignages émouvants abondent. Visiblement, le Web a la cote. Après le Village, bienvenue dans le Village global gai…

Grâce au réseau des réseaux, l’ado de Matane ou de Saint-Ulrick n’est plus seul au monde: il peut s’informer et bavarder en tout temps avec des jeunes qui partagent ses préférences sexuelles. Karol O’Brien, agent de liaison pour Gai Écoute, remarque que les jeunes préfèrent souvent le Web au téléphone lors de leurs premiers contacts avec l’organisme. Elle reçoit une trentaine de courriels par semaine, auxquels elle s’empresse de répondre. «Ceux qui ont besoin d’aide seront, bien sûr, référés à la ligne d’écoute.»

Pour sa part, François Daoust, président de l’Association des lesbiennes et des gais sur Internet, a remarqué le même phénomène, et mis sur pied un site qui se veut un genre de centre communautaire virtuel. «Un jeune en état de crise qui raconte son histoire dans notre forum recevra rapidement des réponses et des encouragements, en plus de trouver de nombreuses ressources sur le site.»

Si les sites et les portails – comme la Toile gaie du Québec ( www.latoilegaie.qc.ca)- sont fort utiles mais souvent un peu ternes, les chats, eux, offrent un contenu plus groovy: des dizaines d’amis avec qui échanger à toute heure du jour – et de la nuit! – par IRC (Internet Relay Chat). C’est en fréquentant le plus populaire de ces canaux, #gaymtlfr, que Jean-Phlippe a compris, à 20 ans, qu’il ne souffrait pas d’une maladie honteuse. «En région, l’homosexualité, c’est encore un tabou. Mes amis ne le savaient pas; ma famille, non plus. Pour moi, Internet a été un bon moyen de tâter le terrain… Je crois qu’Internet peut être très positif, en nous permettant de sortir de notre isolement et de découvrir que nous ne souffrons pas de quelque chose d’anormale!»

C’est en «chattant» que Jean-Philippe a puisé le courage de faire un coming out auprès de ses amis de Sorel, puis de sa famille. «Le fait de pouvoir parler avec d’autres jeunes qui ont fait leur coming out, pour savoir comment leurs parents ont réagi, est vraiment très bien. Quand tu as des amis qui ont vécu des choses similaires, ça te donne des repères pour t’aider à voir où tu t’en vas.»

Du virtuel au réel
L’Internet rose est un aussi un execellent moyen de rencontre. «À Valleyfield, il n’y a pas de bars gais!», déplore Patrick, 24 ans. Quand le jeune homme n’a pas envie de descendre draguer dans le Village, il part à la chasse sur #gaymtlfr ou #gaysexefr. Pratiquement tous les canaux québécois sont répertoriés sur le site de La Gang d’IRC. Chaque jour, plus de 700 visiteurs, dont la plupart ont entre 17 et 22 ans, y passent, venant, entre autres, s’informer de la date et du lieu des prochains GT (Get Together).

Ces GT, c’est un peu les _«Circuit Partys» de l’internaute. Une grosse soirée qui permet de mettre des visages sur des pseudonymes et de transformer des relations virtuelles en amitiés bien réelles. Les plus grands rassemblements ont lieu au bar Unity, une fois par mois. Arborant un autocollant «Je m’appelle…», 200 à 300 «chatteux» s’y retrouvent. «Souvent, la première activité que fera l’habitué des chats en arrivant à Montréal, c’est de participer à un GT, parce qu’il y retrouvera des gens qu’il connaît déjà virtuellement», dévoile Sylvain Lapolice, organisateur de ces soirées au Unity. «Parfois, c’est… taumatisant, s’esclaffe Jean-Philippe. Tu peux avoir parlé tous les jours, pendant six mois, avec quelqu’un, pour réaliser que tu ne le connais pas du tout…»

On s’en doute, tout n’est pas rose dans le merveilleux monde d’Internet. Certains développent une cyberdépendance, d’autres se servent des chats pour mener leurs prétendus amis en bateau… «Si tu as rencontré sur Internet des gens qui ne sont pas nécessairement des "bonnes personnes", tu peux facilement te faire avoir en débarquant à Montréal pour la première fois», met en garde Sylvain Lapolice. «La première fois, il vaut mieux se rencontrer dans un endroit public, indique de son côté Gémeaux. Et il ne faut jamais tenir pour acquis que ce que quelqu’un dit est obligatoirement vrai.»

Malgré tout, Internet demeure un formidable outil pour la commauté gaie. «Quand je n’ai personne à qui parler, je peux toujours aller sur le net et me vider le coeur», confie Patrick. D’autres, comme Jean-Philippe, croient même qu’il joue un rôle éducatif! «On est tous très naïfs quand on arrive dans le Village, on croit presque encore au Prince charmant! Les chats permettent de se bâtir une carapace psychologique. Et, bien sûr, de tenir le coup quand tu habites en région.»

«En fait, conclut-il, si Internet n’avait pas existé, je ne sais tout simplement pas comment j’aurais fait…»