Alliance canadienne : L'énigmatique monsieur Day
Société

Alliance canadienne : L’énigmatique monsieur Day

Connu pour ses positions extrémistes sur les problématiques sociales et économiques, le nouveau chef de l’Alliance canadienne, STOCKWELL DAY, tente de refaire une beauté à son image. De passage au Québec, nous en avons profité pour l’interroger. Mais quel est donc le véritable visage de M.  Day?

Si on en croit «Stock», la coqueluche des médias, ses convictions sociales très conservatrices guidées par sa foi profonde ne préoccupent pas les citoyens. «Les positions religieuses des députés, à mon avis, ce n’est pas un problème pour les citoyens et citoyennes. C’est un problème si on veut imposer les convictions religieuses aux autres», évalue, dans la langue de Molière, celui qui veut détrôner Jean Chrétien.

«Quand je suis au restaurant au Québec, quand je marche dans les rues, affirme Stockwell Day, il y a beaucoup de personnes qui m’approchent et nous parlons du problème de l’Alliance canadienne et des choses qui sont sur le coeur du peuple ici. Les questions d’impôt, les questions de respect, respect pour les contribuables, respect pour les droits des provinces. Ce sont les choses dont les citoyens et citoyennes me parlent ici au Québec, tout le temps.»

Et les autres choses, jamais? « Non, de temps en temps, mais pas beaucoup.»
Ces «autres choses» dont presque personne ne s’inquiéterait, ce sont, par exemple, ses prises de position on ne peut plus claires contre l’avortement. En 1988, après environ deux ans de pouvoir en Alberta, M. Day avait affirmé que la hausse du nombre d’avortements entraînait la multiplication des abus contre les jeunes. Il avait dit, en substance: «Si vous pouvez découper un enfant en pièces alors qu’il est dans le ventre de sa mère… qu’est-ce qui vous empêche de le battre un peu lorsqu’il est hors du ventre?» Une époque de grande loquacité.
Aujourd’hui, en route vers la tête du pays, il ne fait plus dans les déclarations éclatantes. Néanmoins, dans un discours sur le conservatisme fiscal et social, prononcé le 30 avril dernier, il précisait sa vision. «Je suis opposé à l’avortement ou à l’euthanasie, et je suis favorable à ce qu’on intègre au droit canadien des mesures destinées à protéger la vie humaine.» Une prise de position guidée par les désirs de ses concitoyens ou par ses opinions fondamentalistes chrétiennes?
M. Day perçoit égalemet l’effondrement du mariage en tant qu’institution comme une cause de détresse sociale qu’il faut freiner. «Nos politiques sociales ont nui aux couples mariés et provoqué une augmentation du nombre d’unions illégitimes… Le libéralisme social a contribué à l’effondrement de notre société civile. À long terme, il est impossible de maintenir une combinaison de conservatisme fiscal et de libéralisme social, parce que la gestion d’un État où règne le libéralisme social, avec ses familles démantelées, son haut taux de criminalité et son climat de grande inquiétude sociale est très coûteuse», découvre-t-on dans le même discours.

Le candidat vedette qui fait trembler les libéraux et les conservateurs a fait montre, en outre, d’une grande résistance face à l’émancipation des gais et lesbiennes. Il ne peut concevoir qu’ils partagent les mêmes droits et responsabilités que les hétérosexuels, principalement en ce qui a trait au mariage. M. Day s’est cabré avec véhémence lorsque le premier ministre albertain, Ralph Klein, a décidé de respecter un jugement de la Cour suprême réclamant une modification de la Charte provinciale en faveur des homosexuels. M. Klein ne s’est pas rendu à son argumentaire.

Jeunes contrevenants
Autre dossier qui tient à coeur aux Québécois: le traitement réservé aux jeunes contrevenants. Ici, les intervenants préfèrent opter pour la réhabilitation. M. Day voit le problème sous un tout autre angle.

Le 26 avril, au cours d’une allocution sur la sécurité au pays, Stockwell Day a plaidé en faveur d’un durcissement du système judiciaire visant les jeunes. Selon lui, les 14-15 ans qui commettent des crimes graves ou à l’aide d’une arme ou à répétition – vol de voitures, effractions, trafic de drogue, etc. – devraient subir leur procès devant un tribunal pour adultes.

De plus, «il faut autoriser le tribunal qui doit infliger les sentences à exiger un dédommagement des parents ou des tuteurs… lorsqu’il juge [qu’ils] ont omis de surveiller correctement leur enfant». Etce n’est pas tout. Un des fers de lance de la réhabilitation au Québec est la non-divulgation des noms des jeunes délinquants. M. Day veut y remédier si le crime est grave.

Pour les criminels adultes, il va encore plus loin. Il prône le rétablissement de la peine de mort. La seule solution envisageable pour freiner certains grands délinquants, selon M. Day. Celui qui a longtemps représenté la très conservatrice région de Red Deer nuance néanmoins son discours. Il précise que le crime doit être horrible et la culpabilité du détenu prouvée hors de tout doute.
Est-ce qu’il croit, malgré tout, pouvoir atteindre le sommet de l’appareil étatique canadien? Évidemment que oui. «C’est important pour moi, quand on pose des questions à un député, que le député soit honnête, explique-t-il au téléphone entre deux activités partisanes dans la capitale québécoise. Mais, c’est important aussi qu’on comprenne qu’il y a des positions d’un député, par exemple comme moi, comme vous avez dit, ce n’est pas au député de décider des sujets comme ça. C’est aux citoyens et citoyennes.»

«Les principes de l’Alliance canadienne qui sont importants sont de baisser les impôts, de respecter les droits des provinces, de permettre aux députés de voter librement à la Chambre des communes, ajoute l’ancien assistant-pasteur, profitant de la tribune pour mousser son programme. Ce sont les choses qui sont importantes pour les Québécois et Québécoises et pour les autres Canadiens et Canadiennes aussi. Alors, c’est aux citoyens et citoyennes, ce n’est pas aux députés d’avancer les causes comme ça.»

Et voilà. Stockwell Day promet que la ligne de parti ne sera qu’un mauvais souvenir. Les élus de l’Alliance pourront voter selon les désirs de leurs électeurs peu importe leurs croyances, leurs convictions. La majorité l’emportera. Donc, plus une région aura d’élus, plus elle aura de pouvoir. Encore faut-il que le parti remporte les élections.

D’aucuns pourraient déceler un amollissement des points de vue du chef de l’Alliance cnadienne depuis qu’il s’est engagé dans une précampagne électorale. Surtout lorsqu’il affirme que ses pensées ne limiteront pas ses députés.

Se montre-t-il plus à gauche qu’il ne l’est afin de courtiser l’électorat des provinces plus libérales et prendre le pouvoir? «Non. Je suis exactement le même quand je suis au Québec, en Alberta ou en Colombie-Britannique. Par exemple, la position du gouvernement fédéral pour la définition du mariage, celle de M. Jean Chrétien, est que le mariage est entre un homme et une femme. Alors, est-ce que c’est une position de la gauche ou de la droite? Je ne sais pas. C’est une position.»

D’accord. Mais ne faites-vous pas comme l’aspirant président américain, le républicain Georges W. Bush? Bien connu pour ses positions de droite, son parti tente de se rapprocher du peuple en se faisant le reflet de la Tolérance?

M. Day est flatté de la comparaison et s’emballe. «Je pense que M. Bush a montré ce que j’ai fait quand j’étais ministre en Alberta et peut-être qu’il veut suivre l’exemple des choses que j’ai faites. Par exemple, j’ai fait des lois pour protéger les contribuables, pour rembourser la dette, pour réduire les taxes. Ce sont des sujets conservateurs et si M. Bush aime les exemples, je pense que tout sera bien pour les États-Unis aussi.»
Nous aurons compris que Stockwell Day est un ardent défenseur du conservatisme social. Eh bien, il en est de même pour la fiscalité. «L’État providence» ne fait pas partie de son vocabulaire. Dans son discours du 30 avril, il avait clairement exprimé sa position: «Il faut renforcer les familles et les collectivités en limitant le pouvoir de l’État et les coûts qu’il génère… Je suis un adepte inconditionnel du conservatisme fiscal qui croit en une intervention limitée du gouvernement.»

Allier de Landry
Ainsi, on en arrive à son désir de redonner les pouvoirs garantis par la Constitution aux provinces. Il indique même avoir lutté aux côtés du ministre des Finances du Québec, Bernard Landry, pour forcer l main au gouvernement Chrétien. «Quand j’étais ministre des Finances de l’Alberta, j’étais allié avec les ministres comme M. Landry contre le gouvernement fédéral.» Des affinités les uniraient.

Rappelons, en terminant, qu’il n’y a pas si longtemps que ça, M. Day était un défenseur de première ligne de l’unilinguisme, anglais évidemment. Mais, encore une fois, il a nuancé ses dires. Le Québec pourrait peser lourd dans la balance électorale… et Saint-Jean-sur-Richelieu est une bonne place pour perfectionner son français.



Éric Duhaime
Changement de cap

L’organisateur en chef de l’Alliance canadienne au Québec, Éric Duhaime, est un ancien bloquiste. Il croit que Stockwell Day va couper l’herbe sous le pied du camp souverainiste, voire le mater! Étrange pour un ancien «séparatiste»? Quoi qu’il en soit, il y croit. «Ça va régler en grande partie la question… Ça fait 35-40 ans qu’on tourne en rond. Là, on a un gars qui arrive du Canada anglais sans avoir la vision what does Quebec want. C’est un gars qui dit: "Écoutez. Nous aussi on est écoeuré. Voici, moi, je pense que le problème, c’est qu’on ne respecte pas la Constitution."»

Certes. Mais ses visions fondées sur un fondamentalisme catholique très ancré ne vont-elles pas rebuter les Québécois réputés pour leur libéralisme? M. Duhaime soutient que le gouvernement Chrétien, par exemple, est en faveur d’un durcissement envers les jeunes contrevenants. «On n’a jamais accusé les libéraux d’être des cow-boys de l’Ouest!» s’offusque-t-il.

Piqué, il poursuit. «On ne sait même pas c’est quoi la position personnelle de Jean Chrétien sur l’avortement, mais on se permet d’en parler pendant des mois sur Stockwell Day.» Il rappelle que les libéraux se sont opposés au mariage gai. «Je ne pense pas qu’on accuse souvent Jean Chrétien d’être homophobe.»

Et la tendance de M. Day à accepter la théorie créationniste selon laquelle les hommes sont apparus il y a 6 000 ans avec Adam et Ève. N’est-ce ps limitatif pour un homme qui veut diriger un pays? «C’est une question complètement personnelle… Il y a encore des gens qui croient à ça… Ça me fait pas mal moins peur que quelqu’un qui commet des actes douteux, qui est toujours soupçonné de conflit d’intérêt ou qui est à la tête d’un gouvernement quasiment sous enquête [entendre Jean Chrétien].»

«Je pense qu’à la prochaine élection, tout ça va aider Stockwell Day. L’espèce de procès d’intention qu’il s’est fait faire», ajoute-t-il, certain qu’il n’est pas pertinent d’insister sur les positions de son chef.

Pour conquérir les provinces de l’Est, l’Alliance tente par tous les moyens de se départir du legs du Parti réformiste. Un nouveau candidat jeune, beau, qui s’est offert une nouvelle coupe de cheveux et a opté pour les verres de contact plutôt que de proéminentes lunettes. Le «vieux» Preston Manning parti, on ne cesse de découvrir son successeur dans les journaux ou à la télévision en train de faire du karaté, du patin à roues alignées, du volley-ball, du voilier…

Essayez-vous de redorer l’aura que les réformistes vous ont transmise? «En fait, ce n’est pas un héritage légué des réformistes parce que Stockwell Day, c’est un conservateur.» L’Alliance canadienne serait donc un tout nouveau parti de descendance conservatrice…