Société

Droit de cité : Y a des boeufs sur l’autoroute

On ne peut pas accuser les concepteurs de l’autoroute métropolitaine, il y a de ça très très longtemps, d’avoir mis la charrue avant les boeufs.
En fait, c’est tout le contraire: il y a plus de quarante ans maintenant, on a conçu cette voie rapide à partir de l’idée que le monde roulerait en charrette à boeufs jusqu’à la fin des temps. Allez, hue! ma pouliche, on prend la sortie pour Côte-de-Liesse.

Au mieux, on avait imaginé qu’il y aurait plus de véhicules «hippomoteur» en l’an 2000 qu’en 1960. Que voulez-vous, on n’arrête pas le progrès… Wô, mon cheval, ça bouchonne en avant!

Aujourd’hui, l’autoroute la plus achalandée du Québec, imaginée à partir d’une technologie datant d’avant le transistor, n’arrive plus à véhiculer des autos ploguées sur le cyberespace.

L’artère souffre de terribles problèmes de tension… artérielle. Alors Québec lui prodiguera sous peu un quintuple pontage de 760 millions de dollars pendant les dix prochaines années. Au cours de l’opération, on va démolir des bretelles, en reconstruire de nouvelles, couper des détours, ajouter des voies, etc.

Mais l’autoroute restera là.

Si au moins elle était efficace, la Mette, comme disent nos concitoyens de l’Ouest, on tolérerait mieux ses épouvantables défauts, dont celui d’avoir sectionné Montréal en deux. La Métropolitaine, ce n’est pas une autoroute, c’est la frontière entre les deux Corées.

Pour survivre à sa traversée à pied, implorer la bonne sainte Anne ne suffit pas; il faut demander le pardon à Guy Chevrette itou. Deux voies de service de quatre chars de large, qui rivalisent de vitesse avec ceux de l’autoroute, puis le no man’s land sous l’autoroute surélevée, repaire d’on ne sait trop quel maniaque, et finalement quatre autres voies; mais là, attention, les autos arrivent dans l’autre sens. C’est bon de s’en souvenir avant de traverser. Ça pourrait être le site de tournage pour la prochaine saison de Survivor.

Un train sous l’autoroute
Comme y paraît qu’avecdes si, on peut aller à Paris, je me contenterais d’un saut à Boston, pas plus loin. Alors, si on l’avait l’affaire, comme les Américains, on ferait comme eux et l’on enterrerait la Métropolitaine, pour la remplacer en surface par du gazon, des arbres, de l’eau et des oiseaux en lieu et place des autos. C’est ce qu’on fait à Boston. Une autoroute de ceinture, qui agissait comme une forteresse, est en train – sans jeu de mots – d’être enfouie, afin de déboucler un centre-ville qui avait de la difficulté à bien respirer.

Mais comme l’entreprise s’élève au bas mot à quinze milliards de dollars, des vrais, soit à peu près quinze ans de budget de la Ville de Montréal, on va
continuer avec notre Métropolitain à ciel ouvert, je crois bien.

Et puis, tant qu’ à faire avec, aussi bien le faire bien. Ainsi, les fonctionnaires du ministère des Transports affectés au réarrangement de l’autoroute vont penser à l’avenir. Un jour, croient-ils, on construira un train léger, ou un métrobus, sous sa partie surélevée. Un système de transport en commun d’est en ouest, entre Anjou et Ville Saint-Laurent. Les nouveaux aménagements qu’on entreprendra bientôt en tiendront compte.

Mais pour le moment, un métrobus sous la Métropolitaine, ce n’est qu’un fantasme d’urbanistes et d’ingénieurs. Trop cher.

Voyager d’est en ouest, et vice versa, dans l’axe de la Métropolitaine, par transport en commun (par l’autobus 100), c’est abominable. C’est demander à un dyslexique d’aller jouer à Lingo.

Des milliers de nouveaux emplois sont prévus dans les deux pôles d’Anjou et de Saint-Laurent. Envoyer tout ce beau monde en voiture sur la Métropolitaine, c’est s’assurer que l’autoroute sera déjà désuète à la fin des travaux.

L’effet Hygrade
Si les travaux sur la 40 sont essentiels, ceux prévoyant de nouvelles voies rapides autour de Montréal le sont passablement moins. Encore cette semaine, le maire de Laval, Gilles Vaillancourt, réclamait un autre pont entre son île et celle de Pierre Bourque.
M’est avis que les meilleures améliorations au réseau de transport sont celles que nous n’apportons pas. On aura beau doubler le nombre de ponts, quadriller le territoire de Laval de lignes de métro, pousser le train de banlieue jusqu’à Chibougamau, tant et aussi longtemps que la télétransportation ne se vendra pas en lisières de six tickets, le char régnera en banlieue.

Ce n’est pas l’ajout d’autoroutes qui réglera les problèmes de congestion routière. C’est leur pénurie.

Quand le viaduc du Souvenir s’est fracassé sur la 15, un dimanche de juin, forçant la fermeture complète de l’autoroute, les automobilistes flairaient la catastrophe pour le matin suivant. Or, ce fut un petit lundi de rien du tout. Ordinaire. Le train de banlieue de Blainville était cependant bondé, idem pour les autobus de Laval.

Que s’est-il passé le lendemain? La débâcle! Des congestions à n’en plus finir, bêtement parce que les banlieusards avaient vu les routes dégagées de la veille. Adieu transport en commun…

Alors, le demi-milliard que les contribuables vont verser pour le métro de Laval, s’ils le mettaient plutôt sous la Métropolitaine?