Société

Droit de cité : La tempête parfaite

C’est l’été de la banlieue. La vie politique cet été, c’est là qu’elle s’agite: dans la cour arrière d’un bungalow. Par opposition, dans le fief du maire Bourque, c’est la saison morte la plus morte qu’on ait vue depuis des lustres.

Pas de motards, pas de squeegees, pas de putes, pas d’inondation, pas de bactéries, pas de financement illégal, pas de scandales. Que des barbecues dans les parcs, des parades avec les gais, et un petit tour de chant à Tam Tam (délirant, celui-là), où Bourque était particulièrement stimulé, non pas par la suave chroniqueuse de l’émission, mais par son chapeau de cow-boy!

Même l’opposition au maire Bourque s’est accordé des vacances, tant elle n’a rien à redire. Oh! Tout au plus, s’est-on permis de commenter quelques décisions et voyages du maire; et encore, des commentaires du niveau de Michel Bergeron à La Soirée du hockey: «Ouais, Alain Vigneault a pris la bonne décision, fallait qu’il fasse quelque chose, mais me semble que Brian Savage aurait mérité d’être sur le deuxième trio…»

Alors, pendant que l’esquif de la ville-centre est dans l’oeil de l’ouragan et patauge en eaux mortes, c’est la périphérie qui se paie les déferlantes à répétition.

La guerre de la réforme municipale a commencé.

Il y a eu des référendums. On en prépare d’autres. On a accusé le gouvernement du Québec de conspiration. De voler l’argent des riches pour s’acheter le vote des pauvres. Les manifestations sont en préparation.

Même qu’un maire de la Rive-Nord s’est permis de qualifier les Montréalais de la ville-centre de gueux, de locataires, d’ignorants et de sans-grades. «Sans les citoyens bien éduqués de ma ville, a-t-il dit en substance, personne ne pourrait occuper tous les nouveaux emplois en technologie créés à Montréal. C’est une ville de pauvres, de locataires à faible scolarité.»

Si, à Montréal, on a la tentation du potentat, à Sainte-Thérèse, on semble avoir un faible pour le fascisme. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Camus lui-même: «Toute forme de mépris, si elle intervient en politique, prépare ou instaure le fascisme.» Tiens.

Remarquez tout de même la contradiction: il y a quelques semaines, on se défendait sur la Rive-Nord qu’il y ait quelque résidant que ce soit qui travaille à Montréal, pour bien marquer la frontière.

Tant d’excitations, parce que les élus de la banlieue savent que l’inéluctable s’en vient. Dans H moins cent sept jours, quatre heures, neuf minutes et vingt-cinq secondes, approximativement, le monde va basculer (celui de la ville-centre aussi, par extension). Pour la banlieue, tenter d’arrêter le temps est aussi futile que de se battre contre un escalier roulant.

Car, pour la première fois en vingt ans de timides tentatives et de replis, il semble que cette fois-ci, le gouvernement du Québec soit prêt à prendre le balai par le manche et à faire le ménage dans le fouillis administratif de la grande région de Montréal. Le scénario le plus plausible suggère qu’en décembre, un projet de loi serait déposé. Après quoi, des conseils municipaux disparaîtront, et une nouvelle façon de faire de la politique municipale verra le jour.

La forme que pourrait prendre ce nouveau Montréal est peut-être celle évoquée dans le sept centième ballon d’essai lancé par le gouvernement la semaine dernière: l’abolition de toutes les villes de l’île, y compris celle de Bourque, pour créer vingt-neuf arrondissements et une méga CUM. Le sept cent unième ballon d’essai évoquait la fusion de toutes les villes de la Rive-Sud.

Tout concourt pour que le gouvernement agisse très bientôt: à mi-chemin du deuxième mandat, il fait face à une opposition libérale intellectuellement atrophiée, jouit d’une économie qui roule à fond de train, pas de chicanes constitutionnelles à l’horizon: le citoyen est heureux. Le temps est idéal pour faire le coup de force, sans trop endommager la popularité du gouvernement. Et le gouvernement doit éviter que le débat ne s’éternise jusqu’à la veille des prochaines élections.

Ça devait en arriver là. L’équipée des maires de banlieue contre la réforme municipale se déroule comme dans The Perfect Storm, le ratage et la déception de l’été au cinéma (comment a-t-on pu rater une histoire- vraie – aussi extraordinaire que celle de ces petits pêcheurs de la Côte-Est qui ont affronté la tempête du siècle? Un recours collectif contre les producteurs est-il envisageable?). Plutôt que de dealer avec la tempête, et d’attendre sagement qu’elle passe, les capitaines de la banlieue ont préféré s’accrocher coûte que coûte à leur butin et le ramener à la maison en prenant la tempête de front, sans avoir la barque appropriée.

Bien qu’ils se défendent de chercher le statu quo, et qu’ils reconnaissent les problèmes de la région, les élus de la banlieue ont rejeté jusqu’à présent chaque solution à la bordélique organisation municipale de la région, sans rien suggérer en retour. Tout au plus, ils accepteraient de changer les bibelots de place dans leur bureau. C’est systématique.

Bref, chez les politiciens de la banlieue, on fait littéralement dans le nihilisme municipal. Une phase du Non prolongée. Si la réforme à venir ne leur plaît pas, ils n’auront qu’eux-mêmes à blâmer.