La mode à Montréal : Nouveaux visages
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La mode à Montréal : Nouveaux visages

Il faut une bonne dose de témérité, pour se lancer dans la confection vestimentaire au Québec. Pourtant, en marge des griffes plus connues, de jeunes designers se sont lancés dans cette aventure. Nous avons choisi de vous présenter quatre de ces nouveaux visages de la mode à Montréal.

DENIS GAGNON

«Je suis un designer marginal. J’aime faire des vêtements qui se démarquent de la masse. Mon leitmotiv, c’est innover sans choquer.» Attablé au Café République, Denis Gagnon gesticule et s’enflamme à propos de son boulot. «Je suis un gars qui travaille sur le rush, qui adore expérimenter et bouleverser les styles.» Le designer de 38 ans est comme son imagination: il bouge sans arrêt, il se laisse aller à explorer l’inédit. Le personnage est coloré et passionné, mué par un goût de l’aventure qui rend ses vêtements très surprenants.

Pour s’amuser, Denis, diplômé en modélisme du Collège Lassalle, déstructure les formes des classiques masculins. Une chemise bossue, un pantalon aux jambes qui rappellent le «s» mouvant du serpent, il n’y a aucune limite à la fantaisie de cet artiste originaire d’Alma. C’est dans son atelier-grotte, aménagé sur le froid béton, qu’il manipule les tissus irisés et qu’il rêve à sa prochaine collection. «Le dernier défilé que j’ai présenté, en collaboration avec Yso, m’a coûté beaucoup de sous. Je travaille sur les costumes d’un film pour me renflouer. En octobre, je repars!»

Décidément urbain, son style sied aux allergiques au conformisme. Ces effusions dans un style iconoclaste, Denis les doit sans doute à ses nombreux voyages, qui l’ont amené au quatre coins du monde. «Je suis un globe-trotter. Je suis allé en Espagne, en France, à Londres et en Thaïlande. J’aime observer les vêtements, la manière donc ils sont confectionnés. À l’intérieur comme à l’extérieur.» Il a même enseigné le modélisme pendant trois ans au Maroc, sans remettre les pieds au Québec pendant cette période. «Quand je suis revenu ici, j’ai embrassé le sol tellement j’étais content. Mon pays d’origine était nouveau pour moi.» Cette expérience a laissé des traces indélébiles sur le travail du designer, fortement influencé par la culture arabe.

Denis Gagnon est un caméléon du milieu de la mode. Tour à tour professeur au Collège Lassalle, designer pour le théâtre et le cinéma et créateur des costumes au Cirque du Soleil, ses valises sont bien remplies. «Mon métier, c’est la liberté. Je fais ce que je veux, je n’attends pas les ordres des autres.» Confiant en sa destinée, Denis Gagnon peaufine son image, guidé par son désir d’épater.

(Emily Brunton)

MICHELLE SECOURS

Vous pensez que la fourrure est dépassée? Ce n’est pas ce que croit Michelle Secours, qui a lancé Frëtt, une griffe qui renouvelle l’utilisation de cette matière encore honnie. Loin de se confiner aux manteaux et aux chapeaux, la jeune femme de 24 ans privilégie une approche différente: mélanger la fourrure avec le tricot pour fabriquer des chandails, des jupes, des robes ou des accessoires. C’est après un stage de deux semaines à Copenhague, au Danemark, que Michelle Secours a finalement trouvé sa voie: «Je cherchais quelque chose qui se démarque. Je voulais faire ma place sans la faire vraiment», lance-t-elle, dans son atelier de la rue Beaubien.

La principale intéressée n’aurait jamais cru, à l’époque où elle étudiait en cinéma à l’UQAM, qu’elle deviendrait une designer qui vendrait ses créations à travers l’Amérique du Nord. Deux ans après une formation en mode au Collège Marie-Victorin, elle se retrouve à la tête de sa propre entreprise, supervise entre six et dix employés et, chose rarissime pour une jeune designer, s’occupe de trois lignes de vêtements. Déjà, l’initiative de Michelle Secours semble porter fruit, puisque la compagnie Fourrures naturelles s’est associée à elle pour créer une nouvelle ligne, Krio, spécialisée uniquement dans la fourrure.

Et les critiques sur la fourrure n’effraient en rien Michelle Secours. Pour elle, cette industrie est beaucoup plus écologique que plusieurs autres. D’ailleurs, elle cite le cas de la Scandinavie comme un modèle dans la protection des animaux. «Regardez dans votre assiette quand vous mangez du poulet ou du boeuf, c’est sûrement pire que la fourrure!»

Avec la reconnaissance qui commence à se pointer, Michelle Secours a plein d’idées dans son sac, dont un projet avec lequel elle espère devenir «spécialiste des vêtements du froid». Mais pas seulement des vêtements, précise-t-elle, aussi des meubles ou des objets…
Malgré le succès, Michelle Secours continue à se remettre en question. Ne voulant pas faire des sacrifices toute sa vie (elle passe plus de 80 heures par semaine dans son atelier), elle n’aurait aucune difficulté à laisser la mode pour retourner dans le monde du cinéma, si les choses ne tournaient pas comme elle le souhaite. «D’ici un an, je vais savoir si j’ai vraiment pris ma place!»

(Frédéric Boudreault)

FÉLIXE CAROLE DICAIRE

Félixe Carole Dicaire est comme ses bijoux: raffinée, filiforme et aérienne. «Je suis d’une simplicité complexe. C’est comme ça que je me décrirais.» Dans son loft aux murs blancs du Vieux-Montréal, qui lui sert également d’atelier, la designer de 28 ans cultive inconsciemment les paradoxes: la froideur de l’argent et les trucs minimalistes côtoient les plumes et les pièces de bois. Les longs colliers accrochent l’oeil, rivalisent avec les vêtements, tout en dualité. Sobres, mais à la fois prolixes.

«Avec une mère couturière et six frères et soeurs, j’ai appris rapidement à recycler les vieux habits, se souvient Félixe Carole Dicaire. Ç’a été mon premier pas dans l’univers de la mode». Et les bijoux? «C’est par hasard. Quand j’ai quitté l’Ontario, à 18 ans, pour étudier au Collège Marie-Victorin, je voulais être designer de vêtements.»

Des colliers, elle s’en fabriquait juste pour le plaisir, entre ses cours et son boulot en restauration. «Je ne faisais pas ça sérieusement, je ne créais rien d’élaboré.» Puis, tout déboule. Yso, son ami, l’invite à créer les accessoires pour son défilé. Une joaillière est née. Depuis un an et demi, elle bosse de nuit dans son atelier vert de plantes. «J’adore ça. Moi, tu sais, le 9 à 5…»

Pour Félixe Carole, pas de long processus de conception. Son inspiration, elle la puise en magasinant ses matériaux. «Je me promène dans les allées et je regarde tout, du plastique aux billes. J’essaie de voir ce que je pourrais faire avec ça.» D’essai en essai, elle ajuste son tir. «Disons que je me regarde souvent dans le miroir. Je regarde si le bijou tombe bien, s’il bouge correctement sur le corps. C’est très important, tout ça.» Et c’est ce qui fait qu’elle maîtrise parfaitement le design, sa marque de commerce.

Félixe Carole vend aujourd’hui ses créations à Montréal, Québec et Ottawa. Ça ne s’arrête pas là pour l’artiste. Elle snge au marché américain et aussi à l’Europe. «Je suis allée à New York dernièrement et la réaction a été très bonne. Il n’y a rien comme mes produit présentement, ça me donne une chance de conquérir ce marché. J’aime ce que je fais, et je suis capable de me faire une place.» Sky is the limit!

(Emily Brunton)

REBECCA FORD

En 1997, deux amies lancent une petite entreprise qui fabrique des chandails. Rebecca Ford, qui étudiait la philosophie à l’Université Concordia, est l’une de ces deux filles. Même si elle ne s’occupe que du marketing, elle a un éclair de génie: elle dessine alors une ligne complète de vêtements. Luscious était née…Trois ans plus tard, les vêtements sexy et dynamiques de Rebecca Ford (son amie est partie en 1998) sont maintenant distribués en Europe, au Japon, aux États-Unis et partout au Canada. De plus, la jeune designer de 26 ans se retrouve en nomination dans la catégorie Relève 2000 lors du prochain gala de la Griffe d’or. Pas mal pour une compagnie qui a amorcé ses activités dans un petit trois et demi de la rue Bishop! «Depuis qu’on a lancé Luscious, la compagnie est continuellement en expansion. Je ne compte plus le nombre de fois où l’on a déménagé», explique-t-elle.

Bien ancrée dans sa ville d’origine, Rebecca Ford dit s’inspirer de la scène musicale et de l’esprit de Montréal pour créer ses vêtements. Selon elle, la métropole est très rythmée et cela se reflète dans son travail: «C’est une ville très dynamique. Quand je présente mes créations dans d’autres endroits, je remarque bien que nous avons un côté distinct. Et le style de Montréal, c’est comme Luscious», précise-t-elle, en rigolant. Pour Rebecca Ford, il est impératif de créer quelque chose de positif, à l’image des filles d’aujourd’hui. Du noir et des couleurs déprimantes, très peu pour la designer! Avec sa collection d’automne, elle privilégie la chaleur, le mouvement et le côté pratique des vêtements. «Puisque les hivers sont difficiles, pour moi, il était essentiel d’apporter un peu de chaleur.»

Afin de se faire connaître, Rebecca Ford a participé à plusieurs présentations et défilés. Ce travail s’est avéré long et ardu, car ce n’était pas chose facile pour une fille qui n’avait aucune expérience dans le mondedes affaires. «Il faut être au-dessus de tout et croire absolument en son produit, car c’est très difficile. Je dirais même qu’il faut être militant!»

Dans deux semaines, la designer part pour Las Vegas afin de présenter la collection printemps 2001 de Luscious. Ce qu’elle a remarqué au cours de ses nombreux voyages, c’est que les marques canadiennes (et particulièrement celles de Montréal) sont très appréciées: «On a notre propre identité, on a une vision différente de la mode, et c’est ce qui nous aide.»

(Frédéric Boudreault)