Philippe Dubuc : Exercices de style
Société

Philippe Dubuc : Exercices de style

Le designer PHILIPPE DUBUC rêve d’un look montréalais comme il y en a un pour Paris, New York, Milan ou Florence. Mais, afin d’y arriver, il faudra que le Québec prenne ses créateurs plus au sérieux.

Philippe Dubuc n’est pas sorti du placard… mais de la chambre à coucher! En effet, en 1993, le designer a fondé sa compagnie, DUBUC Mode de vie, dans la chambre d’un triplex de la rue de Bordeaux. Assis au pied de son lit, il exhibait fièrement sa toute première collection aux clients (surtout des amis). «Ce n’était pas facile, se souvient Dubuc. Car mon chum, un rédacteur à la pige, travaillait également à la maison. Nous étions très à l’étroit…»

Sept ans plus tard, DUBUC Mode de vie a pignon sur rue dans le Plateau-Mont-Royal, ainsi que dans le chic quartier de Yorkville, à Toronto. Avec son associée et grande amie, Marie-Claude Gravel, le designer de 34 ans gère une entreprise de 1,5 million, emploie dix employés et habille autant des politiciens que des jeunes loups du multimédia, des animateurs de télévision que des joueurs de hockey. Philippe Dubuc est-il la nouvelle star de la mode au Canada?

«Star?! Pas du tout», lance Dubuc derrière ses lunettes fumées, mettant fin aux spéculations du journaliste de Voir. «Il n’y a pas de star de la mode au Canada. C’est dommage: pour intéresser l’Europe et les États-Unis à notre mode, nous avons besoin de stars. Car absolument personne ne se déplace pour voir le travail des designers québécois. Un créateur doit obligatoirement sortir du pays et montrer ses collections à l’étranger. Ce qui n’est pas le cas ailleurs. Les jeunes designers belges ou scandinaves peuvent rester chez eux. Il y a un intérêt de la part des médias internationaux pour la mode au Danemark mais pas pour le Canada.»

Peut-on faire quelque chose pour susciter l’intérêt des clients et des journalistes étrangers?

«Je n’ai pas de solution miracle. Par contre, je sais ce qu’il ne faut pas faire: il ne faut pas remplir un autobus jaune avec une gang de designers qui vont présenter en même temps leurs collections à New York! Ça ne marche pas! Malheureusement, le gouvernement est incapable de différencier un talent d’un autre; il met tous les designers dans le même bai. En France, la mode est sous la tutelle du ministère de la Culture. Au Québec, la mode est une industrie, pas un art. Tant mieux pour l’industrie manufacturière québécoise qui roule à fond la caisse et jouit d’un rayonnement international. Mais, pendant ce temps-là, les créateurs en arrachent…»

Jeunesse d’aujourd’hui
Vous aurez compris que Philippe Dubuc n’a pas la langue dans sa poche. Il veut rester critique, même si son entreprise a le vent dans les voiles. Et il a aussi une tête de cochon: «Au début, les gens trouvaient mon style trop jeune et trop cher, confie Dubuc. Ils me conseillaient de devenir plus commercial, de cibler la clientèle yuppie. J’ai refusé de changer. Heureusement, car, grâce à la nouvelle économie du multimédia à Montréal, ma clientèle a rajeuni.»

Le profil de sa clientèle est, curieusement, à la fois éclectique et homogène. Ils veulent se distinguer sans choquer. Pour certains hommes, cela veut dire enfiler un paréo – le grand succès de sa dernière collection; pour d’autres, c’est porter un complet contrastant avec la masse de textile gris qui peuple la Place Ville-Marie. «Ce sont des hommes qui aiment mettre une cravate par plaisir et non par obligation, estime Dubuc. En ce sens, ils me ressemblent: des matins, j’arrive au bureau en habit-cravate, et le lendemain, je peux être en short et en sandales.»

Philippe Dubuc n’aurait pas pu trouver meilleur timing pour percer sur le marché canadien, croit la styliste Annie Horth, qui a habillé les musiciens de Céline Dion en Dubuc. Après des moments de grâce, au milieu des années 80, avec le succès de designers montréalais inventifs et audacieux (comme Georges Lévesque, Dénommé Vincent, Marie Saint-Pierre), la création vestimentaire made in Québec semblait en panne d’inspiration. Puis, Dubuc est arrivé. La réponse a vite été favorable. Les défilés de Dubuc sont parmi les plus courus au Canada, attirant chaque fois entre 1000 et 2000 personnes.

«Philippe a rempli un créneau, poursuit Annie Horth. Il a fat le pont entre une mode internationale peu accessible et l’arrivée d’un nouvel homme québécois coquet et ouvert aux changements. Un homme désirant adopter un look moins boring sans toutefois aller jusqu’à s’habiller en Jean-Paul Gaultier. La base de son style est classique, avec une touche d’audace. Autant avec ses coupes qu’avec les prix, Dubuc représente un juste milieu.»

Victimes de la mode
Le 12 septembre, Philippe Dubuc ne lancera pas une mais deux collections 2000-2001. Le créateur s’attaque pour la première fois au marché féminin. Et il compte bien ne pas tomber dans le piège du tourbillon de la mode pour femmes. «La mode pour hommes est plus connectée sur la réalité, explique-t-il. En général, les designers représentent l’homme où il est rendu aujourd’hui; tandis que la mode pour femmes est beaucoup plus frivole et superficielle. C’est totalement insensé! Certains designers prennent les femmes pour des connes!!! Ils les font changer de look tous les six mois en tenant pour acquis que ce sont des consommatrices compulsives… C’est révoltant. Je veux proposer aux femmes des vêtements sobres et intemporels. Pour moi, la silhouette d’un vêtement, ça dure au moins cinq ans. Il n’y a pas de raison d’être victime d’une mode qui change constamment.»

Or voilà, le procès qu’on fait de la mode, c’est précisément son côté vain, éphémère et très superficiel… «Oui, c’est vrai. La mode est superficielle, et même inutile. Je ne veux pas essayer d’intellectualiser la mode (bien que j’aie toujours été attiré par son aspect sociologique: l’histoire de l’humanité et de ses valeurs, c’est aussi l’histoire de la mode). Je ne m’illusionne pas: je dessine des vêtements, pas des oeuvres d’art. Mais le star-système, le showbiz ou le théâtre sont aussi inutiles. La mode est un luxe dont on peut se passer pour vivre: un homme peut s’habiller seulement en jeans et en t-shirt et être très heureux. Par contre, je pense que dans la vie, on a aussi besoin de s’entourer de luxe et de belles choses. On a aussi bsoin de séduire, de charmer et de se faire plaisir. Pour moi, la sensation d’un tissu raffiné sur la peau, c’est un plaisir important de la vie. Si la mode est superficielle, l’élégance ne l’est pas.»

Pour le couturier, le style, c’est d’abord la simplicité, la sobriété, et la légèreté. «Il y a des gens qui sont trop conscients de ce qu’ils portent. C’est la différence entre la mode et le style: quelqu’un à la mode va tout faire pour nous montrer qu’il porte du Dolce et Gabanna; quelqu’un qui a du style va s’approprier son Dolce et Gabanna de sorte qu’à la limite, on ne réalisera pas qu’il porte une griffe.»

Le designer rêve d’un look montréalais comme il y en a un pour Paris, New York, Milan ou Florence. «J’espère que Montréal deviendra assez influente pour se démarquer et avoir sa propre image dans le monde.» Mais, pour cela, il faudra que les designers travaillent d’arrache-pied. La création de mode au Québec, c’est constamment David contre Goliath! Les griffes locales doivent se battre contre Tommy Hillfiger, Polo et autres gros noms de la mode internationale qui ont beaucoup plus de moyens pour rejoindre les jeunes.

«Il faut être fou raide pour bâtir une ligne de vêtements au Québec», croit Annie Horth. «Tu dois être prêt à souffrir énormément, ajoute Dubuc: travailler non-stop, investir de l’argent constamment, faire plein de compromis. Un designer doit avoir un côté homme d’affaires et un côté artiste. Il doit savoir parler autant à son banquier qu’au metteur en scène de son défilé.»

Bien sûr, Dubuc porte ces deux chapeaux avec élégance. L’homme d’affaires veut réattaquer le marché américain en 2001. «Marie-Claude et moi, nous allons nous servir de notre expérience pour y retourner encore plus forts», dit-il, en faisant référence au projet avorté d’ouvrir une boutique à Manhattan. L’artiste, lui, pense qu’il pourrait aller beaucoup plus loin sur le plan de la recherche des lignes et des tissus. «Je veux expérimenter des choses nouvelles. Pour ça, il me faut du temps et de l’argnt. Mais attention: ça ne signifie pas féminiser l’homme ou masculiniser la femme. J’aime jouer avec les deux sexes, prendre le meilleur de l’un et de l’autre. Mon but, ce n’est pas de provoquer mais d’emmener les hommes et les femmes ailleurs. Qu’ils portent des lignes et des coloris avec lesquels ils ne sont pas habitués. Plus jeune, j’étais très influencé par le designer anglais John Galliano. Il m’a inspiré avec sa vision créatrice qui se démarquait du reste de la mode. Hélas, son travail est moins inspirant depuis qu’il est chez Dior…»

C’est le paradoxe de la mode: elle se nourrit de stars mais dépend de designers inconnus pour évoluer. Une fois hissés au sommet du jet-set, les plus talentueux couturiers (pensons à Karl Langerfeld ou à Tom Ford) dissolvent leur vision créatrice dans le strass de l’industrie. Finalement, le Québec est peut-être chanceux de ne pas avoir de stars…

Défilé des collections DUBUC
automne-hiver, printemps-été 2000-2001
Le 12 septembre, à 18 h
Sur invitation seulement