Société

La semaine des 4 jeudis : La guerre des mots tartes

Réagissant à l’entartage de Jean Chrétien, l’éditorialiste somnifère d’un quotidien de la capitale exigeait la semaine dernière que les tribunaux sévissent et que sonne la fin de la récréation, pour ces infâmes entarteurs qui ne respectent rien et n’apportent rien au débat politique.

La fin de la récréation! Ah non, pas déjà la cloche.

Quoi! Sous prétexte de respect des règles, le cirque démocratique se trimballerait désormais de ville en ville déballant son plan B, ses conditions gagnantes, son modèle québécois, son cinquante pour cent plus un, ses subventions opportunes et puis s’en retournerait sans punch final? Sans qu’une jolie tarte à la crème ne vienne enjoliver les visages ébahis de nos clowns préférés?

Quoi! Nous ne verrions plus ces délicieuses mines déconfites crachouillant des mottons de crémage qui font le bonheur des petits et des grands? Quoi! Ces merveilleux myopes, essayant de voir clair par-dessus le pare-brise dans le blizzard patissier, ne viendraient plus faire oublier les mauvaises nouvelles du soir? Quoi! Nous n’entendrions plus Noël Gondin, père de l’entartage moderne, comploter contre le pape en ces termes suaves? «Nous surprendrons le vieillard baveux au Vatican, pendant qu’il dépose un baiser gluant sur le front d’un entarteur déguisé en religieuse.»

Et il nous faudrait retomber dans les platitudes dont nous abreuvent sans cesse nos élus? Le cirque passerait de Lionel Groulx au Chic Resto Pop, et l’on se contenterait simplement de regarder les fauves se manger entre eux?

Ah non-non-non-non! Moi, messieurs, je suis comme un enfant en septembre, je ne veux surtout pas que finisse la récréation.

Comme le rot au milieu d’un discours officiel, la flatulence involontaire au coeur du sermon, la tarte à la crème vient sans crier gare délier les poignées de mains hypocrites, effacer les sourires entendus, perturber l’horaire officiel, briser les apparences. Et pour tout dire, confondre les hypocrites. Et si la tarte contourne si facilement barrages et gardes du corps, c’est que la vie est frivole, messieurs dames. Et que tel le bourlet sous le veston, tel le gène modifié dans le champ de colza, elle trouve toujours le moyen de s’échapper.

L’entartage, comme le cynisme, est une manière de combattre le désespoir.

L’entartage est l’un des derniers remparts contre la connerie, le geste ultime contre la suffisance des puissants. Contre l’orgueil national qui laisse se noyer des marins russes, le Fonds monétaire qui réclame des intérêts sur le capital à des continents entiers de crève-la-faim.

L’entartage est la douce et saine vengeance des petits sur les grands.

Rien ne peut mieux abaisser d’un coup sec les tensions, aplanir les classes: tous semblables les hommes, entartés dans des langes de crème pâtissière, l’orgueil en miettes, comme poupons à la naissance.

Outre de réaffirmer l’évidente dérision de certains élus, quel est l’apport de l’entartage au débat politique? J’ai une théorie là-dessus:

Parce qu’il s’apparente par sa quête de l’acceptation personnelle à d’autres formes de thérapies salvatrices telles la psychanalyse et la cérémonie du pardon, les bénéfices de l’entartage sur des âmes surchargées me semblent évidents. Qui sait, un jour, la tarte remplacera peut-être définitivement le Je vous salue Marie et les honoraires insensés du psychiatre.

Et pan dans la gueule. Mon fils! Tes péchés te sont pardonnés. Tiens, les vestons, prenez ça. Paf! Deux tartelettes au citron. Re-paf! Un Saint-Honoré! Et re-re-paf! Encore une portion de gâteau au fromage et un pudding chômeur pour faire dégorger le sur-moi. Messieurs, c’est pour votre bien. Vous pourrez ensuite aller en paix, jouir de la retraite, encaisser sans remords de conscience une pension à vie bien méritée. Je vous laisse proposer des candidats à cette thérapie.

On a délibéré ces temps-ci très sérieusement sur la violence de l’agression pâtissière, sur l’intensité du choc émotionnel infligé aux victimes. Solidaire même de ses ennemis politiques, Bernard Landry, ex-entarté notoire, associait quant à lui très dramatiquement cette semaine l’assaut pâtissier aux exactions brutales des facistes, néo-Nazis et autres Front national. Selon lui, l’entartage menacerait même la démocratie. Tu parles!

Comme je les comprends, nos hommes d’État. À quoi servirait une vie d’entraînement entamée au plus jeune âge dans les p’tites ligues municipales? À quoi bon toutes ces heures à pratiquer l’art de l’évitement, à contourner les buts, à se renvoyer la balle entre rouges et bleus, à faire barrage de question, à tourner autour du pot, s’il faut un jour se retrouver subitement sur la trajectoire ascendante d’un projectile et qu’aucune dialectique vaseuse n’arrive à le faire dévier?

Violent, l’entartage? Pas plus que les coupes unilatérales dans les programmes sociaux. Pas plus que les hausses d’impôt, les exemptions aux Bronfman, les taxes sauvages, les ponctions non autorisées dans la caisse de l’assurance-emploi, la guerre aux statistiques, l’attente anonyme dans l’urgence d’un hôpital. Pas plus que les conséquences de la gestion opportuniste, à courte vue de nos élus.

Bernard Landry devrait comprendre que si nous en sommes réduits à d’aussi futiles extrémités que de garocher des tartes, c’est justement que le dialogue entre la base et le sommet semble rompu depuis trop longtemps. Nos élus ont subi depuis un quart de siècle une énorme baisse de crédibilité en acceptant de fonctionner sans états d’âme dans le système des partis. Quel citoyen croit encore avoir droit au chapitre quand il doit choisir au quatre ans entre des affairistes, des nostalgiques et quelques hallucinés qui lévitent en groupe?

Au lieu de se ridiculiser devant les tribunaux, qu’il vienne enfin, l’entarté superbe, le leader charismatique qui poursuivra ses assaillants avec des restes de tarte en criant: «Yaak! Yaak! Yaak!» à pleins poumons!

L’entartage, avancent certains, causera bientôt un tort considérable aux Canadiens. Il pousserait nos politicailleurs mal-aimés à devenir de moins en moins accessibles à la ferveur populaire. Allons, sérieusement, qu’en avons-nous à fiche que nos élus s’entourent d’une centaine d’armoires à glace ou de 12 cheerleaders, qu’ils se promèment en bobette ou en char d’assaut?

À moins que vous ne soyez de ceux qui pratiquent avec joie le serrage de main anonyme, la collection d’autographes inutiles, la photo floue au Kodak à 100 ASA. Oui? Alors méfiez-vous. Vous pourriez être blessé dans votre orgueil par des éclats de tarte et de rires. Et faire ainsi partie de ce que l’on nomme dans la langue de l’OTAN «les dommages collatéraux». Comme le disait le général Powell: «Que voulez-vous, on ne lance pas de tartes sans casser d’égos.»