Société

Prostitution à Québec : Moyens de répression

À Montréal, les autorités testent une nouvelle forme d’intervention en matière de prostitution: la sensibilisation de la clientèle. Est-ce qu’une telle expérience sera tentée chez nous, dans la troisième ville au palmarès québécois du nombre d’hommes et de femmes qui font le plus vieux métier du monde? Si certains en rêvent et vont même jusqu’à proposer la création d’une red light street, nos élus n’en font pas  partie.

Le mot d’ordre est clair dans la capitale: combattons cette activité néfaste par la répression. Pas de débat, pas de question.

«La prostitution chez nous, ça se présente comme une nuisance.» D’entrée de jeu, le maire suppléant, conseiller du district de Neufchâtel et membre du conseil exécutif, Claude Cantin, met cartes sur table.
Attention. Ne nous méprenons toutefois pas. M. Cantin n’en veut pas spécifiquement aux personnes qui s’adonnent à cette activité. Le problème vient des «effets secondaires» de la prostitution de rue. «Ça apporte beaucoup d’inconvénients dans les quartiers», souligne-t-il. Violence, circulation automobile, drogue, harcèlement auprès des résidants, surtout des résidantes…

«Il n’y a pas de solution parfaite… On est conscient qu’on ne règle pas le problème», admet-il. Mais, faute d’une meilleure idée, la Ville prône la lutte au phénomène. Du moins, elle essaie de minimiser les effets incommodants pour la population.

Pourquoi ne pas délimiter une zone où l’on tolérerait la prostitution? «On n’en a jamais parlé entre nous.» Voilà. Ce n’est pas à l’agenda. M. Cantin se demande néanmoins comment les élus pourraient choisir un quartier. Et même si l’idée était retenue, il y aurait tout de même des débordements, remarque-t-il.

Quant aux policiers, leur mandat est clair et ils ne le remettent pas en question: faire respecter la loi telle qu’établie par le législateur. «Nous autres, on travaille autant sur les prostitués que la clientèle», expose le responsable de la division des relations publiques et communautaires de la sûreté municipale, Gaétan Labbé. Point de dépliants pour sensibiliser les clients comme à Montréal. Il en résulte «des dizaines» d’arrestations par année.

Dès lors, les péripatéticiens se trouvent un nouveau secteur parce que les juges leur interdisent généralement de retourner sur les lieux de leur arrestation. Tout est à recommencer. C’est le carrousel des comparutions-condamnations-migrations.

Débat en prspective
Voilà pourquoi le professeur de l’École de service social de l’Université Laval, criminologue et travailleur social, Germain Trottier, veut tenir un réel débat public sur la question. Mener les décideurs vers une réflexion profonde. Profitant du désir du Bloc québécois de consulter la population sur l’éventualité de créer des maisons closes «légales», il conviera les intervenants de la région à une table ronde. D’ici la fin septembre si tout va bien.

Son constat de départ: la répression ne mène à rien. Sa motivation: les Québécois sont «ouverts», à tout le moins plus que dans l’Ouest canadien. Mais sommes-nous prêts à enfanter d’un red light? Est-ce la solution miracle? Ça reste à voir. En créant un ghetto, on ne ferait peut-être que discriminer encore plus les prostituées, considère-t-il. La discussion est lancée.


Remettre en closes

Sur la table, une idée. Permettre, dans un territoire donné, l’établissement de maisons closes, afin de sortir les péripatéticiens de la rue et leur offrir une certaine légitimité. Les intervenants sont loin d’être persuadés que c’est la solution «miracle».

«Si le gouvernement croit qu’il va éliminer la prostitution de rue avec des maisons closes, il se trompe.» Le coordonnateur du Projet intervention prostitution de Québec (PIPQ), Marc Drapeau, est formel. Ce n’est pas la clé.

«Au PIPQ, on n’est pas nécessairement d’accord avec la création d’un quartier voué à la prostitution», renchérit la responsable de l’animation et de la prévention, Katia Plamondon.

Une des principales pierres d’achoppement est la restriction inévitable de l’âge des travailleurs qui y seraient admis. Il n’est pas question pour les politiciens de permettre aux mineurs d’y bosser. C’est compréhensible. «La prostitution des mineurs est très underground. On ne les voit pas sur la rue», ajoute Mme Plamondon, se demandant si elle ne serait pas encore plus cachée, donc potentiellement plus dommageable pour les enfants.

«C serait oublier le côté humain», poursuit-elle. Les prostitués vont-ils s’accepter plus parce qu’on les met dans une enclave? Ou se sentir encore plus exclus? Et ceux jugés moins beaux, ceux qui sont accros à la drogue, qui n’y seront pas admis. Où iront-ils?

En plus, rien ne prouve que toute la clientèle acceptera de s’y rendre. Imaginez le père de famille, juge de surcroît, reconnu au bras d’une jeune femme dans le red light. Nos deux interlocuteurs du PIPQ sont donc d’avis que plusieurs iront chercher ailleurs. Donc, que les prostitués suivront.

La «solution» pour l’organisme, c’est la décriminalisation. Que les forces de l’ordre cessent d’arrêter les prostitués, que la répression ne soit plus qu’un mauvais souvenir. Ainsi, les intervenants auraient plus de facilité à les aider. Et avec un peu plus d’argent, on embaucherait plus de psychologues et de travailleurs de rue.

Pour l’instant, on semble bien loin de l’idéal, du moins celui décrit par le PIPQ. Depuis quelques années, avec la revitalisation du centre-ville, les policiers sont un peu plus consciencieux. «De façon indirecte, ça complique notre travail, car la répression s’est intensifiée, soutient M. Drapeau. Ça a provoqué un éclatement.» La prostitution a migré vers Saint-Sauveur et Limoilou. Les jeunes ne se tiennent plus tous à la place D’Youville.

Réveillez-vous
Avocat spécialisé en la matière, auteur d’une thèse sur la prostitution, conférencier, Me Jean-Denis Gérold rejoint l’idéologie du PIPQ. «Nous sommes dans un pays abolitionniste avec une tendance prohibitionniste.» Le problème est là.

«Malheureusement, ce n’est pas politiquement profitable de parler de prostitution, déplore-t-il. Ce sont des gens qui ont besoin d’aide… [Ils] sont très très seuls.» N’étant pas à l’agenda politique, les prostitués demeurent au centre d’un cercle composé de la loi, des policiers, des clients, des proxénètes, parfois des vendeurs de drogue, etc.

«Je ne peux pas rester indifférent à ce que je vois.» Me Grold demande qu’une bonne fois pour toute, les élus se penchent, étudient vraiment le modèle hollandais. Ce n’est peut-être pas ce qu’il y a de mieux, mais au moins on peut ainsi offrir des services d’aide et de soutien à des gens pour qui c’est une nécessité.


Secteur public

Qu’est-ce qu’évoque le terme prostitution? Un homme ou une femme faisant les cent pas au coin d’une rue. Pourtant, 90 % de cette activité est invisible, cachée entre les quatre murs d’une demeure.

Les mythes sont nombreux. «Le "pimp" du cinéma, c’est une espèce rare», clarifie la directrice générale de STELA, Claire Thiboutot. Surtout sur la rue. Par contre, dans les agences d’escortes, c’est la norme. Mais on parle plutôt «d’associés d’affaires» qui s’occupent de la logistique, prise d’appels, déplacements, achats de petites annonces, etc. Si le rapport n’est pas basé sur la violence, où est le problème? questionne-t-elle.

La prostitution s’exerce à peu près dans tous les lieux publics. Ainsi, sur la rue, les clients optent généralement pour la rapidité. Les demandes sont plus spécifiques. Dans les hôtels, par exemple, la dynamique est toute autre. La clientèle est un peu plus touristique ou d’affaires. Elle est aussi plus portée sur le «bla-bla».

Le coordonnateur du Projet intervention prostitution de Québec (PIPQ), Marc Drapeau, précise que ceux et celles qui oeuvrent dans la rue sont parfois plus «poqués», mais sont nettement plus autonomes que dans les agences.

M. Drapeau ajoute qu’il n’y a pas d’âge spécifique. Certains n’ont que 12 ans – vous avez bien lu – alors que d’autres ont franchi le cap de la cinquantaine. Mais, chez les garçons, «le look juvénile» est prisé.

Sa collègue responsable de l’animation et de la prévention, Katia Plamondon, précise que la majorité oscillent entre 20 et 30 ans. Combien sont-ils dans la région de Québec? Selon les évaluations du PIPQ, on peut estimer à environ 1 000 le nombre jeunes de 12 à 35 ans qui se prostituent chaqueannée dans les rues de la capitale. Occasionnellement ou à temps plein. Autant de gars que de filles. C’est 50-50. «Je trouve que c’est beaucoup», lance-t-elle.

Mme Plamondon expose également que les bars sont aussi des lieux de prédilection. Que ce soit sur la Grande Allée ou ailleurs dans la région. Que ce soit dans un bar ayant une réputation douteuse ou dans un jouissant d’une bonne image. La seule différence avec la rue, c’est qu’on ne le remarque pas. «C’est plus discret. C’est normal dans un bar de voir un gars et une fille partir ensemble.»

L’intervenante rappelle en outre que les clients proviennent de toutes les classes sociales et que peu importe le type de prostitution pratiquée et le lieu, la ou le prostitué ne connaît pas vraiment son client du moment. «On ne sait pas sur qui on peut tomber, autant dans une chambre à 300 $ l’heure que sur la rue.»

Mme Thiboutot de STELA conclut en stipulant que généralement les gens qui s’adonnent à la prostitution le font durant une période limitée de leur vie. Il est rare que quelqu’un en fasse une longue carrière.


De l’esprit de la loi

Vous ne le savez probablement pas. Il y a moyen d’exercer la profession de prostitué tout à fait légalement au Canada.

En fait, le fait d’être un péripatéticien n’est tout simplement pas illégal au pays. Substitut en chef adjoint du procureur général du Québec, Me Sabin Ouellet insiste sur ce point. Il faut que les gens cessent de les stigmatiser. «La prostitution n’est pas illégale au Canada», répète-t-il à plusieurs reprises.

L’illégalité naît lorsque l’on fait de la sollicitation, qu’on est souteneur, chauffeur, que l’on vit des fruits de la prostitution, que l’on habite dans une maison de débauche, etc. Ce sont donc les gens qui gravitent autour des péripatéticiens qui nagent en pleine irrégularité.

Se faisant l’avocat du diable, il indique qu’un homme ou une femme qui annonce ses services par l’entremise des journaux et qui se déplace chez les clients es en règle. Aucun doute là-dessus.

«Le législateur a tenté de sortir la prostitution de la rue», explique-t-il. D’ailleurs, l’article 213 du Code criminel stipule que la «sollicitation est un crime qui se fait dans la rue». Donc, rien de mal à s’afficher sous la rubrique agences d’escortes.

Les yeux grands fermés
À ceux qui croient opportun de décriminaliser l’activité, Me Ouellet rappelle que la route sera longue. Un amendement au Code criminel est nécessaire. Néanmoins, il existe une échappatoire. Si les Québécois faisaient montre d’une ouverture d’esprit certaine, rien n’empêcherait le procureur général de la province de ne plus intenter de poursuite en la matière. C’est lui qui a le dernier mot. On parle ici de déjudiciarisation.

Malheureusement, une telle brèche, bien que salutaire pour les prostitués, serait susceptible d’ouvrir toute grande la porte au crime organisé. Il ne faut pas se le cacher, il a la mainmise sur le marché. À titre d’exemple, Me Ouellet avance que seuls trois ou quatre bars de danses exotiques du Québec sont «indépendants».

Depuis des lunes
Le président de l’Association des avocats de la défense, Me Gilles Parizeau, croit lui aussi qu’il y a belle lurette que les décideurs auraient dû se rendre à l’évidence et laisser tranquilles les prostitués. «C’est un crime sans victime», claironne-t-il.

Tentant d’imaginer ce que représentent les sommes colossales octroyées pour la répression, il ne peut que demander si elles n’auraient pas été mieux investies dans la prévention. Combien auraient ainsi pu être secourus?


Profits dérivés

Au centre de l’univers de la prostitution, il y a l’argent. Le moteur de l’industrie du sexe. Les journaux l’ont compris et en profitent.

Presque tous les quotidiens et hebdomadaires disposent d’une section réservée aux agences d’escortes dans leurs petites annonces. Mais, contrairement à ce qu’on pourrait croire, elles ne sont pas particulières seulement en vertu des service qui y sont offerts. Leurs prix sont aussi tout à fait exceptionnels.

Vérifications faites auprès de trois grands journaux, les agences doivent passer à la caisse. Dans la région de la capitale, le Journal de Québec remporte la palme haut la main. Pour vendre un bien quelconque, on demande 2,80 $ la ligne. Pour les agences, c’est 25 $. Presque 10 fois plus. Même logique comptable au Soleil où on réclame 5 $ la ligne pour cette rubrique particulière, contre un peu plus de 2 $ pour les autres.

Est-ce différent à Montréal? Dans La Presse, le tarif maximum exigé est de 7,06 $ la ligne exception faite du segment qui nous intéresse: plus de 11 $ la ligne. En plus, dans la métropole, la Ville n’a pas voulu manquer le bateau. Au dire de la directrice générale de STELA, Claire Thiboutot, la municipalité émet des permis pour les agences donnant le droit de publier des petites annonces. «Tout le monde se graisse la patte… Il y a des gens qui se font de l’argent avec la prostitution.»

Une préposée d’un des médias contactés suggère une hypothèse pour expliquer cette double tarification. Peut-être doit-on surveiller plus attentivement ces petites annonces pour ne pas enfreindre la loi. Des coûts supplémentaires refilés aux clients.