Jean Chrétien entarté : La crème de la société
Société

Jean Chrétien entarté : La crème de la société

Evan Brown. Ce nom ne vous évoque rien? Le récit de son «exploit» a fait le tour du monde… Agent de la cellule de l’Île-du-Prince-Édouard de l’International des anarcho-pâtissiers, la PEI Pie Brigade, il s’est frotté au premier ministre Jean Chrétien en visite à Charlottetown. Contraint au mutisme, il laisse la parole à ses acolytes. Petite histoire d’un entartement qui passera à la  postérité.

15 août. La journée tire à sa fin. Un groupe d’amis comme il y en a tant se rassemble pour bavarder. «Et si on entartait Jean Chrétien?» lance un des invités. Le lendemain, la cible sera touchée, le premier ministre canadien se fera crémer le bec.

La conspiration
«On a commencé à en parler au cours de la nuit précédant la venue de Jean Chrétien. Et, le matin, on s’est réuni et on s’est préparé.» Au dire d’un des affidés de la Pie Brigade, Aaron Koleszar, l’opération n’a pas été planifiée de longue date. Une idée un peu folle, un volontaire – Evan Brown s’est «sacrifié» pour la cause -, voilà tout.
«Ce n’était pas une grosse conspiration… C’est très simple. Il n’y a pas de grande préparation.»

Monsieur Koleszar était sur place. A-t-il pris part à l’offensive? Il ne s’incrimine pas. Il jure que le plan de l’attaque n’était autre que de bien baigner le visage de la célèbre victime dans la crème. Si on le croit, les agents de la Pie Brigade n’avaient même pas évalué l’ampleur des mesures de sécurité mises en place par la GRC. Pas plus qu’ils ne savaient si des caméras de télévision allaient croquer l’événement. «On espérait que les médias seraient au rendez-vous.»

L’assaut
Mêlés aux convives réunis pour la visite de Jean Chrétien, les entarteurs étaient nombreux. Combien? On ne le saura pas. Pas plus que les stratagèmes. «Evan attendait avec la foule impatiente de serrer la main de Jean Chrétien, détaille monsieur Koleszar. Au moment où le premier ministre empoignait la patte de la personne le précédant, il s’est élancé.»

«Wow! Ça a fonctionné!» Notre interlocuteur n’en revenait pas. En fait, il semble encore médusé. Tout a été si facile malgré la présence d’un peu moins de 10 gardes du corps. «Après, j’ai vu les caméras. Yeah!» L’assiette arborant un Pie Minister en grosses lettres avait été filmée.

Le résultat, nous avons été à même de le constater dans les médias. «On a fait la une des journaux du pays et à l’international!» s’exclame AaronKoleszar, visiblement un peu dépassé par l’importance accordée à l’entartement. Jean Chrétien a été le premier dirigeant d’un pays à être «salué» de la sorte. «C’est un acte politique.»

«On aurait pu organiser une conférence de presse, mais on n’aurait pas eu la même couverture médiatique. Ça semble être la seule façon de se faire entendre… Je suis content maintenant, le message a porté. Les gens parlent des problèmes que nous avons soulevés.»

Après Allan Rock et Jean Chrétien, est-ce que la Pie Brigade a une autre cible en vue? «Pas pour le moment… C’est difficile de parler du futur. Partout, les gens sont écoeurés que le gouvernement leur mente. Si ce n’est pas nous, d’autres le feront… j’espère.» Si vous aviez une cible, le diriez-vous? «Ha! Ha! Ha! Non.»

Donc, vous invitez les gens à suivre votre trace? «Oui, faites-le. Mais, avant, visitez le site Internet des Entartistes du Québec où il y a un guide pour faire une tarte qui n’est pas dangereuse.» (www.entartistes.ca)

La liste d’épicerie
On en vient aux revendications, aux récriminations. Attelez-vous parce que la Pie Brigade tire dans tous les sens. «Ça a été fait pour une multitude de raisons.» Surtout pour critiquer l’utilisation d’organismes génétiquement modifiés (OGM). D’ailleurs, la crème utilisée était faite à 100 % d’huile de canola génétiquement modifié. C’est, du moins, ce qu’affirme la troupe. «C’est un bon exemple que le gouvernement de Jean Chrétien n’écoute pas les citoyens… Il ne représente pas le peuple… Il écoute plus les grandes multinationales qui font du lobbying, paient des contributions aux partis politiques.»

Viennent ensuite l’utilisation de l’énergie nucléaire, le libre-échange, les coupures dans le régime d’assurance-emploi, la baisse des transferts aux provinces en matière de santé, la diminution des investissements en éducation, les subsides étatiques versés aux entreprises, l’utilisation de pesticides puissants et d’autres roduits chimiques approuvés par le gouvernement.

Ce n’est pas tout! La Pie Brigade critique également la réduction du budget de Radio-Canada, le fait que des sans-le-sou meurent dans les rues, que des parents soient incapables de nourrir convenablement leurs enfants, l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le refus du gouvernement canadien de respecter sa promesse d’abolir la TPS, le «peppergate» ou la pulvérisation de poivre de cayenne sur des manifestants de Vancouver lors de la visite de Suharto, «l’étranglement» du contestataire Bill Clennet à Ottawa, l’arrogance de Jean Chrétien, etc.

Le silence de l’accusé
Me Jim Hornby représente le jeune entarteur de vingt-trois ans. C’est lui qui a demandé à Evan Brown de garder le silence. «Nous ne voulons pas qu’il dise quelque chose qui pourrait compliquer la cause.»

C’est que le plaignant jouit d’une certaine notoriété et dispose de ressources certaines. «Ce n’est pas tous les jours qu’on reçoit un appel du poste de police de quelqu’un qui vient d’entarter le premier ministre!» Surprenant est le statut de la victime mais aussi la couverture médiatique de l’événement.

«Je ne suis pas sûr que monsieur Brown avait prévu que ça serait diffusé sur toute la planète… Je ne crois pas qu’il réalise à quel point c’est gros… Il a été un peu dépassé. Tout ce qu’il souhaite, c’est que son message soit porté.»

Le juriste doute, par ailleurs, que le premier ministre se déplace pour témoigner. Il serait même fort probable que la cause sera abandonnée. Mais, si la procédure suit son cours malgré tout et que monsieur Brown est reconnu coupable? Me Hornby fera valoir que son client a permis, sans trop de torts, à l’entourage de Jean Chrétien de découvrir que sa sécurité est peut-être défaillante. Un facteur atténuant, selon lui.


Une armée tentaculaire

Avec sa trentaine de chapitres sur la planète, l’International des anarcho-pâtissiers ne cesse de prendre de l’expansion. Et tout ce beau monde cultiv des liens étroits grâce à la magie de l’Internet. D’ailleurs, les entarteurs montréalais ne sont pas vraiment étrangers au «crémage» de Jean Chrétien…

«Il y avait un fier membre de la cellule montréalaise à Charlottetown», confesse Pop Tarte, un des célèbres membres des Entartistes québécois. Profitant de ses vacances, cet inconnu passait par l’Île-du-Prince-Édouard par un heureux hasard.
A-t-il participé à l’opération? «Il les a "sûrement" aidés, car il a de l’expérience!» Donc, les Montréalais étaient au courant et l’idée n’a pas germée à la dernière minute dans l’esprit de la troupe de la Pie Brigade? «Il faudrait en parler à nos avocats!… Disons que ça ne nous a pas du tout surpris.»

Comment a-t-on planifié l’attaque? «C’est assez facile de s’approcher d’un politicien», expose Pop Tarte. Les élus s’offrent régulièrement des bains de foule. Sur place, ça a été un travail d’équipe. «Il y a toujours plusieurs entarteurs et entarteuses pour ne pas manquer la cible.»

Quelle a été votre réaction après l’entartement? «J’ai eu un gros orgasme tout habillé… C’était vraiment la cerise sur tous les sundaes.»

Mais, malgré les relations entre les groupes d’entarteurs, chacun conserve son indépendance et développe ses spécialités, ajoute Pop Tarte. Les Belges, par exemple, ont un penchant pour les citoyens pompeux tandis qu’en nos contrées, on a un petit biais en faveur des politiciens. Le seul véritable lien, c’est l’éthique de la tarte, l’assurance que la victime ne sera pas blessée.

«On travaille pour Patrimoine Canada», poursuit Pop Tarte, ironique. Selon lui, les entartistes de chez nous démontrent que le pays entier forme une réelle entité. Tous adhèrent à la tarte.

Où sera perpétré le prochain crime? L’agent-vacancier-anonyme fait maintenant route vers Toronto. Il voudrait découvrir les attraits de la Ville Reine…