Popstars : Survivor, the Musical
Société

Popstars : Survivor, the Musical

Au moment où Britney Spears remplissait le Centre Molson et où Richard Hatch était consacré l’ultime Survivor, des centaines de jeunes Montréalaises faisaient le pied de grue pour devenir les nouvelles stars de la pop et de la télé-vérité. Air du temps.

Il s’agissait probablement de la plus vaste série d’auditions jamais tenue au Canada. Les jeunes filles ont fait la queue dès deux heures du matin, alors que le casting ne commençait qu’à huit heures. Certaines se sont même déplacées d’aussi loin que de Windsor ou de Fredericton. D’autres ont attendu six heures pour un screen test de moins de vingt secondes. Les jeunes filles avaient des étoiles dans les yeux.

La raison de tant d’émoi? Universal Music était en ville pour manufacturer un groupe de Spice Girls canadiennes. Comme si cela ne suffisait pas, Global filmait le manège et tirera du processus de sélection une mini-série de treize épisodes. Un genre de Survivor menant les gagnantes tout droit sur la scène du Centre Molson.

«Ça fait des années que je chante sous la douche et que je pratique des
chorégraphies devant le miroir de ma salle de bain, avoue Cindy Ruggieri, dix-neuf ans, étudiante en techniques infirmières. Aujourd’hui, pour la première fois, on m’offre l’occasion de chanter à l’extérieur de chez moi.»

Sa chance n’aura duré qu’une vingtaine de secondes. Le temps de chanter a
capella les premières mesures de Dancing Queen , et puis, Allan Reid,
vice-président de chez Universal, a tranché. On la remercia et on passa à la
candidate suivante. «Je n’avais probablement pas ce qu’il fallait», a simplement conclu Cindy après son audition. Elle pleurait.

Du neuf avec du vieux
En tout, les responsables de Popstars auront rencontré plus de trois mille candidates à Vancouver, Edmonton, Toronto, puis finalement à Montréal. Ils sélectionneront maintenant vingt-cinq jeunes femmes. On les enfermera dans des salles de répétition et des dortoirs truffés de caméras, et un jury composé de big shots de l’industrie de la musique matera le vote. À l’image de Big Brother ou de Survivor, les participantes seront progressivement éliminées, jusqu’à ce qu’il n’en reste que cinq.

Comme à peu près tous les prodits de la pop, Popstars ne présente rien de très novateur. En fait, le concept de l’émission arrive tout droit d’Australie, où l’on a assisté l’an dernier à la découverte des nouvelles émules des Spice Girls: les Bardot. Il semble que les créateurs de l’émission aient laissé beaucoup de place à la médisance entre les candidates. Le degré zéro de la création audiovisuelle? «Pas du tout, il s’agit d’un programme unique et très tendance», rétorquèrent les promoteurs du show. Les chiffres leur ont donné raison. Chaque semaine, durant trois mois, l’émission a pulvérisé tous les records d’audience. Depuis, les Bardot ont deux disques platine et une première tournée internationale est prévue cet l’hiver. Le concept a évidemment été repris aux États-Unis, où des jeunes hommes concourent pour Making the Band.
Pour Michael Geddes, responsable de la version canadienne, Popstars ne fait pas que du neuf avec du vieux. «Nous sommes fiers de dire que nous faisons le premier documentaire canadien sur la création d’un groupe pop. Pendant toute une saison télévisuelle, nous montrerons les ficelles de l’industrie de la musique commerciale. Nous allons présenter des grands moments de joie, mais également beaucoup de larmes. Je me plais à dire que nous allons faire un véritable docu-soap.»

«Les défis que devront relever ces jeunes filles ne seront pas seulement
artistiques. C’est leur propre personnalité, leurs forces et leurs faiblesses intimes, que ces concurrentes joueront à la télé. Elles devront s’adapter aux cadences du camp de formation (il appelle ça un boot-camp), mais aussi aux rigueurs de l’environnement et du groupe», précise Geddes. On invitera également les jeunes femmes à ne pas se gêner pour lancer des commentaires sur les performances des autres participantes, dans le plus pur style des confessions méchantes qu’on entend dans les talk-shows.

Le trou de la serrure
Car la nouvelle télé-réalité est aussi la télé de la cruauté. «Dans le mnde scientifique, aucune commission d’éthique n’aurait donné son feu vert à une telle expérience», affirme Yvette Jasmin, chercheure à l’UQAM. Elle est persuadée que Popstars possède les bonnes épices pour les télévoyeurs, mais aussi tous les ingrédients pour constituer un important cocktail Molotov. Pour elle, l’oeil de l’objectif de la caméra ne peut pas remplacer si facilement le trou de la serrure. «Un jour, dit-elle, ça va finir par dérailler. Le voyeurisme n’est plus simplement un hobby débile pour pervers, c’est une mode qui sévit sous diverses formes et sous toutes les latitudes. Jamais l’humain ne s’était pris d’une telle passion pour l’intimité de ses congénères.»

Groover ou dérailler? C’est ce que nous apprendra notre petit écran dès janvier, alors que les vingt-cinq jeunes finalistes de Popstars vont y chanter et danser, s’efforçant de se frayer un chemin vers la célébrité. Déjà, on promet de leur en faire baver. Pour certaines, au bout de la souffrance, il y aura la félicité.

Cinq d’entre elles signeront un contrat de deux ans avec Universal. C’est la
rançon de la gloire pour survivre au prime time. En attendant, c’est l’épopée: toutes les finalistes doivent se rendre à Toronto le 10 septembre pour commencer les enregistrements du «docu-soap». On leur a dit qu’elles auraient pour mission d’initier des millions de téléspectateurs aux mystères de l’industrie de la pop. Elles nous en apprendront peut-être un peu également sur la nature humaine et le divertissement à l’heure du post-politically correct.