Société

Droit de Cité : Une affaire judiciaire

Jean-Pierre Cantin n’est pas du genre irréprochable. Au contraire, il est beaucoup, voire considérablement, démesurément et (pourquoi pas?) infiniment «reprochable». Ça ne laisse pas beaucoup de place à la crédibilité et à la confiance.

Normal, cet ex-avocat a volé de vieilles petites soeurs sans défense. Faut-il être tordu comme une lavette pour s’en prendre malicieusement à des nonnes?

Pas un pickpocket, mais un véritable «pickfortune», que cet ex-avocat. Cent millions de dollars qu’il a dérobés aux soeurs du Bon Pasteur et à celles du Bon Conseil, en compagnie de quelques partenaires de crime, dont l’homme d’affaires Jean-Alain Bisaillon, le maître d’oeuvre de ce coup de la Brinks à saveur d’eau bénite.

Ces hommes se sont littéralement gavés de tout l’avoir des deux communautés religieuses, en leur faisant miroiter de bons rendements sur la construction du Marché central – une construction, comme on le sait maintenant, qui n’était qu’un décor tout en façades. Derrière, se déroulait une vaste opération de fraude et de corruption digne d’un roman de John Le Carré. Des duffel bags pleins de liasses de billets, des comptes en Suisse, des sociétés paravents, des pots-de-vin…

Alors, quand Jean-Pierre Cantin parle, il faut se méfier de ses paroles comme de l’eau du robinet, surtout quand elle prend sa source à côté d’une fosse à purin de porcs. Même s’il jure se repentir.

Tout de même, ses révélations, faites sous serment les 10 et 11 août dernier, et connues publiquement depuis une semaine, laissent pantois, par l’énormité de l’affaire qu’elles effleurent: des pots-de-vin versés à des politiciens. Les noms de Pierre Bourque et de John Gardiner circulent, ainsi que celui d’un suspect qui aurait trempé dans le scandale financier des société paramunicipales qui avait ébranlé l’administration de Jean Doré.

Voyons-y voir. Cantin, qui a décidé de se mettre à table pour sauver son âme, est interrogé alors par les syndics de la faillite frauduleuse du Marché central,qui tentent de retracer les millions volés. Il explique que si la construction n’en était une que de façades, il fallait tout de même construire un peu, et, pour cela, des dérogations au plan d’urbanisme auprès de la Ville de Montréal étaient nécessaires. Mais on est en 1994, ça nécessitait un temps fou à cause des audiences publiques devant le Bureau de consultation de Montréal (BCM). Survient l’élection de Bourque à la mairie. Il raconte: «Doré est foutu dehors, pis là, on règle le cas avec Bourque d’une autre façon: rapide, efficace. Ça coûte des piastres, mais ça avance… On a eu le changement de zonage en deux temps, trois mouvements (…) Bourque, par un éclair de génie, va oublier de renommer les gens du BCM. Plus de membres, plus de BCM (…) Ça fonctionnait comme dans le temps du maire Drapeau où là, c’était le comité exécutif qui décidait…»

Selon Cantin, lui et ses associés ont versé une somme de cent mille dollars en argent comptant pour accélérer le changement de zonage. Les accusations impliquent l’ancien directeur général du parti Vision Montréal, Jean-Guy Gagnon, décédé depuis d’un cancer.

L’abcès
Évidemment, tant à Vision Montréal que chez Pierre Bourque, on nie tout. «Monsieur Cantin n’a pas une grande crédibilité», a répondu Madeleine Champagne, du cabinet du maire. Le maire a mis au défi Cantin d’étayer sa preuve.

Pour le maire et le parti, c’est la fin de l’histoire, en insinuant que c’est de l’invention pure. Et si d’aventure Jean-Guy Gagnon avait encaissé cent mille dollars, ni le maire ni le parti ne sont au courant. La justice suit son cours. Point.

C’est un peu court comme réponse. Cantin n’incriminait pas seulement Gagnon, mais aussi Pierre Bourque. Il voyait une relation très nette entre les cent mille dollars versés et le changement de zonage accepté par le comité exécutif.

Jean-Pierre Cantin n’est pas du type irréprochable et sa crédibilité flotte au niveau de l’abysse. Mais ce qui est difficile à comprendre, c’est pourquoi Cantin aurat inventé cette histoire. À chaque révélation, il s’incrimine un peu plus. Quel serait alors son intérêt de forger des calomnies de la sorte au sujet de personnes qui n’étaient pas impliquées dans la fraude?

Les paroles de ces gens-là, les vraies comme les fausses, ne sont jamais gratuites. Il y a toujours un motif derrière, un but. Alors, que cherche-t-il?

Si ce n’étaient que des commérages de taverne, on pourrait les balayer du revers de la main. Mais il s’agit de déclarations prononcées sous serment. Le cadre est trop officiel pour les laisser comme lettre morte.

Le hic, c’est que les juges saisis de la faillite et des poursuites au criminel pourraient très bien laisser tomber cet élément de preuve, un parmi des centaines d’autres, pour des raisons purement techniques, sans que tout doute n’ait été dissipé.

Il va falloir aller au fond de cette histoire, au risque que ça ne sente pas bon. «C’est plate, mais ça retombe sur le maire qui n’a rien à voir avec ça», s’est plaint l’attaché de presse de Vision Montréal, Robert Dolbec.

Justement, mon vieux. Raison de plus de crever l’abcès avant qu’il ne gangrène injustement la réputation du maire.