Ah! ce pays a bien de la chance. Cette rentrée lui apporte un exceptionnel troupeau de touristes – pardon, d’artistes – importés de France qui viennent jusqu’en nos contrées lointaines déshonorer la chanson francophone sinon la musique tout court sur quelques scènes du Québec.
Inutile de fuir aux abris, de larguer les canots de sauvetage, de souscrire à Norwich Union, le désastre est déjà commencé et il s’appelle Johnny.
Vous savez, Johnny, le Belge qui tente corps et âme depuis 40 ans d’imiter la grande saucisse molle qui inventa le rock’n’roll.
À ses débuts en 60, Johnny chantait Elvis une heure plus tard dans les Maritimes. Et à défaut d’être original, c’était résolument moderne. Puis Elvis est mort aux chiottes. Johnny a consommé son deuil dans la paillette, les flonflons, le tambour et la trompette, entre Liberace et Mad Max. Un jour Johnny a coiffé le bandana de David Lee Roth, enfilé le cuir de Bob Seeger, il a quitté Sylvie et s’en est allé dans les stades s’évanouir sur scène en beuglant High School Confidential. Puis l’idole s’est égarée dans les années 80 pour se retrouver entre deux Paris Match, occulté par les courbes des superbes Midinettes qui l’accompagnaient.
On s’énerve à Montréal, Johnny est dans la métropole.
Peu importe que personne ne connaisse une seule des mille et une fadaises qu’il a endisquées depuis 20 ans. Because sa persistance à minauder passé la cinquantaine et parce qu’il chante dans une langue exotique ressemblant au français version prématernelle, la presse montréalaise se déchaîne et crie unanimement au génie.
Et voici que deux princesses interchangeables de l’agenda culturel qui sont allées sur place voir le pestacle s’avouent agréablement surprises et pour cause: «Il avait toute sa chemise mouillée!» affirme l’une d’elle. «Après une demi-heure je me suis mise à le trouver beau, même avec ses rides», ajoute l’autre.
On a beau dire que ce genre d’indigestion de décibels laisse un arrière-goût aussi fétide que celui du pop-corn lorsque vous sortez d’un film de Jacky Chan, il est de ces étalements de culture musicale qui mettent en lumière la précieuse évolution de la cause féministe depuis la fin du XXe siècle. Oserions-nous, nous, les mâles hétéros de la profession mis à part le grand Jack, confesser publiquement que si nous aimons les spectacles de Vanessa Paradis c’est à cause de ce qui ondule en bas du nombril? On imagine la levée de boucliers!
Mais attention, Johnny pourrait bien un jour se venger de ces superficialités et remettre les pendules à l’heure en ajoutant à son répertoire une chanson qui ne le dépareillerait pas: l’excellente Queue je t’aime. C’est en fat majeur… viril et tout.
Et voilà que pour ne pas être en reste de la culture, des gens très sérieux qui voudraient savoir danser sortent de leur rectitude pour nous infliger des entrevues pathétiques avec le prince du face-lift. Après avoir fait, comme des rats devant un fromage, le pied de grue devant la maison de la mère qui a écrasé son fils because le droit du public à l’information.
Ah! mais Johnny, Johnny nous a parlé du formidable secret de sa persistance semblable à celle du mauvais goût à travers les siècles. «C’est le Viagra», dit-il avec dérision avant d’avouer humblement la vérité. Le secret, c’est, bien sûr, la sincérité. Et on se demande alors pourquoi, entre chaque question, l’idole donne l’impression de répéter en silence son dialogue en regardant le télésouffleur ou de reprendre une ligne tirée de son dernier passage chez Michel Drucker du genre: «Je crois que c’est le plus bel album sinon le plus mature que j’aie fait en carrière.»
Johnny fait salle comble malgré des prix astronomiques? Oserait-on croire que cet engouement ne relève pas du même syndrome foetal qui pousse parfois les enfants de bourgeois à ressortir les disques de mononc et à tripper discothèque sur les niaiseries intégrales des grands kétaines disparus Joe Dassin, Dalida, Mike Brant et autres Frédéric François. À rêver sous les blacklights de ce jour béni où le disco reviendra en vogue avec la grippe espagnole. Mais non, suffit de voir tous les poufs, ploucs et «vieux motards que jamais» qui se pressent à ses spectacles parce que «Johnny, c’est Johnny» pour savoir que Johnny n’est même plus une nostalgie.