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L’homme primitif : Le zoo humain
Survivor , Xena, Xmen, Gladiator… L’homme primitif, qui lutte pour sa survie dans un environnement hostile, semble devenir l’icône du nouveau siècle. Pourquoi cette soudaine fascination pour les tribus et les guerriers? Pour le psychologue MARC DOUCET, notre société est en pleine régression.
Tommy Chouinard
Photo : Mathieu Bélanger
Vous croyez que les progrès scientifiques et technologiques font de nous des humains évolués, civilisés et raffinés? Rien n’est moins sûr. Le psychologue montréalais Marc Doucet diagnostique plutôt le contraire: le retour de l’homme primitif! Selon lui, au cinéma, en politique, à la télévision (Survivor, entre autres) comme dans la société, on fait de plus en plus l’apologie des valeurs primitives, telle la loi du plus fort, et des instincts quasi bestiaux. Pour lui, la société vit ni plus ni moins qu’une régression généralisée. Entrevue.
Comment percevez-vous un retour au primitif?
Les vieux archétypes primitifs connaissent un regain de popularité dans des séries ou des films comme Gladiator, Xena, Hercule, X Men, Tarzan, etc. Nous avons tendance à louanger ces héros solides aux pouvoirs parfois surhumains. Dans ces productions, les menaces sont très simples et primitives: ce sont les bêtes sous-marines, les extraterrestres, les tornades, les irruptions volcaniques. C’est très réducteur: l’homme contre la bête et la nature. L’enjeu est de préserver la race humaine, et non de la faire avancer, par exemple.
La série Survivor est en ce sens très instructive. Des gens débarquent sur une île, doivent survivre, trouver leur nourriture et construire des cabanes. C’est vraiment primitif. De plus, les gens regardent ce genre de spectacle comme s’ils étaient au Colisée de Rome, en se demandant qui survivra dans cette arène naturelle. Les reality shows comme Big Brother et Survivor fascinent les gens car ils exposent les problèmes de base de l’être humain. Ce qui nous distingue des bêtes, la fonction symbolique exprimée dans les fictions, est évacué par ces émissions brutes, sans aucune réflexion.
Pour vous, Survivor fait l’apologie du primitif?
Oui. Dans Survivor, la loi du plus fort domine, comme dans la société actuelle avec la concurrence et la mondialisation. De plus, les participants ont formé des clans, des groupes primaires qui ont peu de cohésion. Là aussi, le même phénomène existe dans notre société. On n’a qu’à penser aux gangs de rue (dont on traitera dans la nouvelle série Tag, par exemple). Même chose chez les bandes de motards, présentées dans le film Hochelaga. Ce sont des groupes de nature quasi tribale et extrémiste, qui attirent de plus en plus notre attention.
Des clans existent même en politique. Nous voyons que les vieux symboles autrefois très rassembleurs, comme le Parti conservateur, tombent, alors que l’Alliance canadienne, un clan relativement extrémiste, est, elle, en progression.
Essentiellement, ces clans se forment pour défendre les individus. Par exemple, dans le cas des gangs de rue, le but avoué de ces groupes est de conserver ou de conquérir un territoire, un concept on ne peut plus primitif. Le clan préserve notre identité alors que le groupe de base ou la société ne peuvent plus le faire.
Est-ce à dire que tout le retour au primitif s’explique par une crise d’identité?
Absolument. Plusieurs menaces très contemporaines, comme la mondialisation, la manipulation génétique et les nouvelles technologies, nous poussent à adopter un mode de vie défensif. Avec la mondialisation, nous perdons nos frontières et notre identité territoriale, c’est-à-dire la base de notre développement historique depuis la nuit des temps. Résultat: un peu partout dans le monde, des gens forment des clans pour défendre leur territoire contre un envahissement économique.
Par ailleurs, les nouvelles technologies remplacent l’homme. On se sent donc dépassé par la machine. Et la manipulation génétique engendre une crise identitaire de la race humaine, notamment en raison du clonage.
Notre recherche de modèle identitaire est aussi très primitive. Par exemple, les jeunes filles s’identifient à des chanteuses comme Britney Spears, qui compensent leur vide par un contenu sexuel outrancier, où le physique de la femme est mis de l’avant pour attirer bêtement les regards. Aussi, les héros d’aujourd’hui n’appartiennent plus au domaine intellectuel comme dans le passé. Ce sont des sportifs qui utilisent la force brute pour gagner.
Est-ce que le Québec connaît des phénomènes liés à ce retour au primitif?
Nous avons aussi nos émissions "primitives", comme Fort Boyard et Les Forges du désert. Dans le cadre de ces dernières, les concurrents, habillés comme des guerriers, doivent réussir des épreuves qui sont loin d’être contemporaines. De plus, l’enjeu est un trésor et les symboles sont moyenâgeux, comme le feu, les tigres, le désert, les chameaux.
Ensuite, la réaction des gens à certaines décisions démontre le caractère primitif de certains comportements. Le passage à l’acte brutal et instinctif passe avant la réflexion censée, comme dans les cas de l’usage de la drogue, du viol et de la rage au volant. Les gens agissent selon leur instinct, presque comme des bêtes. Ils passent outre les règles établies en société et font leur propre justice. C’est vraiment une attitude primitive.
Par ailleurs, l’engouement pour le camping et la nature au Québec gagne du terrain. C’est comme si on voulait retourner aux sources de l’existence humaine, à cette fameuse synergie entre l’homme et la nature. Les pratiques archaïques comme le tatouage et le body piercing font aussi partie de ces exemples du retour au primitif.
Est-ce que le mouvement primitif représente un processus essentiellement régressif?
Évidemment. Le retour au primitif entraîne un recul de certaines valeurs sociales chèrement acquises, comme la communication et la réflexion. Les gens sont plus impulsifs, réfléchissent moins avant d’agir, en plus de devenir très individualistes.
Nous sommes en fait dans une ère remplie de bouleversements. Le progrès nous fait parfois peur. Donc, nous sortons nos barrières de protection primitives. À mesure que nous accepterons les changements qui nous entourent, notre attitude primitive disparaîtra. ?