"Qu’est-ce que ça veut dire au juste? Est-ce qu’il faut que tout le monde soit canadien-français? Un pure laine ou quelqu’un qui cherche à le devenir?" C’est reparti.
Président du Conseil des relations interculturelles, Arlindo Vieira est un peu inquiet. Le document soumis pour l’occasion par le ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration (MRCI) ne fait aucune distinction entre les différents groupes, entre les diverses strates de la société. Tout le monde y est mis dans le même bateau et devrait entretenir les mêmes objectifs. "Il ne faut pas que ça devienne une dilution complète des différences."
Voilà. Les immigrants ne vivent pas les mêmes difficultés quant à l’exercice de leur citoyenneté que les jeunes ou les démunis, par exemple. Pour les nouveaux arrivants, le noeud du problème se situe dans le tiraillement ressenti entre leurs origines et les valeurs, les us et coutumes, de la communauté d’accueil. C’est bien de vouloir mettre l’ensemble des Québécois sur un pied d’égalité, mais la réalité est toute autre.
Parlez-en à Vivian Labrie, la coordonnatrice du Collectif pour une loi sur l’élimination de la pauvreté. "Dans notre société, ce n’est pas tout le monde qui a un égal pouvoir d’influence. [Ça] dépend beaucoup de leur revenu." Intégration ne rime donc pas seulement avec immigration. Certes, il est grandement question des immigrants, mais il ne faut pas oublier les pauvres. "C’est une obligation pour une société de rendre accessible à toutes les personnes l’exercice de leur citoyenneté."
"Les élus pensent qu’ils ne doivent rendre des comptes qu’à ceux qui paient des impôts. C’est 1 $, un vote plutôt qu’une personne, un vote, illustre-t-elle, découragée. Il y a des gens qui, malgré une situation très difficile, tiennent à exercer leur citoyenneté." Elle va le dire haut et fort au ministre. Et, elle compte bien obtenir une oreille attentive.
Membre du Front commun des personnes assistées sociales du Québec, Nicole Plante n’a pas plus l’intention de jouer le pantin de service. "Si on dérange, on va être écouté." Il y a un problème et il est temps de le régler, de passer à l’action. "Si on veut des droits décents pour tous, il faut agir. Comment voulez-vous que ces gens puissent penser à être citoyens dans une société qui les met dans une situation presque invivable? Si on veut vivre la citoyenneté avec toutes les personnes de toutes les classes, il faut prendre les moyens adéquats."
Chez les jeunes aussi on sent que le bavardage a assez duré. "Ce qui est clair, c’est que je ne vais pas participer à une séance à la Sheila Copps!" lance le porte-parole d’un Pont entre les générations, Martin Koskinen. Pas question de jouer à la politique partisane pour mousser le gouvernement.
Les benjamins se sont détachés de l’exercice de la citoyenneté. Il y a un retrait bien réel vers l’individu. "En étant absents des débats, on ne prend pas en compte nos aspirations, observe-t-il. Ce que je trouve inquiétant, par exemple, c’est qu’il y a des gens qui vont à l’université puis intègrent le marché du travail et qui décrochent." Réveillez-vous, a-t-il envie de hurler. Il faut rendre à la collectivité ce qu’elle nous a permis d’acquérir. Il faut s’impliquer.
Double compréhension
Jeune, mais aussi issu d’une famille "étrangère", M. Koskinen comprend doublement les difficultés que l’on peut éprouver quand vient le temps d’exercer sa citoyenneté. Il revient d’ailleurs sur la quasi-obsession de vouloir intégrer à tout prix les nouveaux arrivants dans les plus brefs délais. "Ce n’est pas vrai que les immigrants de première génération vont se considérer comme des Québécois pure laine", tranche-t-il. Ils débarquent avec un bagage et ne peuvent en faire fi du jour au lendemain. Mais, en leur faisant découvrir qu’ils peuvent influencer leur société d’accueil, le tout sera facilité, expose-t-il.
"Les nouveaux citoyens vivent dans une situation schizophrénique." Le directeur des communications de la Société Saint-Jean-Baptiste, Robin Philpot, entre en scène et tient à prendre part au débat. Évidemment, il est ici grandement question de souveraineté. "Le problème de la citoyenneté, c’est que quand un nouvel arrivant obtient sa citoyenneté, le Québec est totalement absent lors du serment d’allégeance, de la cérémonie."
Il serait donc difficile de lui détailler ce qu’est le "peuple" québécois, au dire de M. Philpot. "Pour lui, le Québec n’existe pas à ce moment." Du moins pas en tant qu’entité "distincte". Mais, il se réjouit qu’à force d’initiatives du milieu communautaire, de plus en plus de Québécois d’origines disparates prennent la place qui leur revient.
Y a-t-il d’autres "castes" à qui échappent l’exercice plein et entier de la citoyenneté? Poser la question, c’est y répondre. "On tend à exclure les citoyens âgés de la société, se soucie la présidente de l’Association pour la défense des droits des personnes retraitées et préretraitées, Louise Lapointe. On veut participer à la société tout au long de notre vie."
Mme Lapointe insiste. Les vétérans de la vie seront de plus en plus nombreux. Et pas question de demeurer passif. "On ne veut pas juste transmettre notre savoir."
Tactique de politiciens
"La citoyenneté québécoise ne peut pas se faire sans les groupes de femmes." Elles ne veulent pas plus être écartées de la polémique. Néanmoins, elles se questionnent sur la pertinence sinon tactique pour le gouvernement de descendre sur la place publique avec un tel débat. "On participe [au forum] parce qu’il faut y participer. La nécessité autre que politique de débattre de cette question-là, on ne la voit pas."
Refaire le monde en à peine plus d’une journée de consultations et avec 350 personnes pour représenter une province, la vice-présidente de la Fédération des femmes du Québec, Vivian Barbot, n’y croit pas beaucoup. Et de regrouper dans un même panier tous les ensembles qui forment la population n’aide en rien le gouvernement. Les désirs seraient tellement différents. "Il faudrait faire un cours de citoyenneté 101 [pour les élus]", s’exclame celle qui est également enseignante.
Tout au plus, on assistera à "un brassage d’idées", au "ressassement" de concepts mille fois entendus, évalue-t-elle.
La coordonnatrice provinciale du plan d’action et des communications de l’Association féminine d’éducation et d’action sociale, Hélène Cornellier, redoute tout autant les récupérations politiques. Elle ne voudrait pas que les participants fassent les frais d’une campagne de visibilité. "Comment peut-on présumer avoir le pouls?" ajoute-t-elle remarquant que seulement quelques heures seront consacrées aux discussions.
Son vis-à-vis du Front d’action populaire en réaménagement urbain, François Saillant, partage son point de vue. "J’ai l’impression qu’on s’est donné un "devoir" et qu’on l’accomplit. Ce qu’ils veulent, c’est démonter qu’ils sont préoccupés."
Promesse électorale
M. Saillant a en partie raison. En entrevue téléphonique, le ministre des Relations avec les citoyens et de l’Immigration, Robert Perreault, indique que le forum est la résultante d’un engagement pris par Lucien Bouchard au cours de la dernière campagne électorale.
L’objectif premier du ministre est de pouvoir ressortir du débat avec de bonnes pistes afin d’établir un plan d’action. Oui mais vous en menez large? "Un débat comme celui-là est un débat assez large. Il y a plusieurs angles d’approche à la citoyenneté. On ne vise pas à ce qu’il s’établisse une unanimité. Il faut mettre l’accent sur ce qui nous unit." Donc, amasser des idées pour des politiques ou des programmes afin que la société québécoise fasse preuve d’ouverture.
Et, si on le croit, c’est tout ce qu’il recherche. Pas de quête de capital politique ou de promotion de l’indépendance. "Le forum ne porte pas sur la souveraineté… [Il] ne vise pas à régler ou à aborder la question de la souveraineté", assure-t-il tout en laissant tomber que, bien entendu, l’autonomie pleine et entière du Québec favoriserait probablement l’accès à la citoyenneté au sens large.