Société

La semaine des 4 jeudis : Le rave olympique

Pervertis par l’argent, la drogue, le favoritisme, la partisanerie, la triche et la corruption, il me semblait qu’aux dernières nouvelles, les Jeux olympiques avaient perdu toute crédibilité.

Pourtant, cette course dérisoire à la performance arrive encore à faire illusion. À retrouver un minimum de classe et d’élégance dès qu’elle s’éloigne un peu du chauvinisme malsain et des marchands du temple.

Car Sydney, au moins, n’est pas Atlanta. La ville ne semble pas appartenir entièrement à un quelconque Koala-Cola. Et les Australiens peuvent bien encourager leurs athlètes à pleins poumons, ces beuglantes de primates ne sont que la version inoffensive de l’insupportable mentalité de conquérant toujours affichée par les Nord-Américains et les Ruskofs dans le sport comme en politique internationale.

On rapporte même que, surpris par l’atmosphère respirable de ce continent oublié, athlètes, organisateurs et médias ne veulent plus quitter l’Australie tant la 27e olympiade, c’est propre, calme, efficace, gentil et tout et tout…

Peut-être, mais ces jeux souffrent d’un défaut impardonnable. Vu d’ici, le show est franchement plate.

Le décalage horaire force à veiller jusqu’à cinq heures du mat pour assister à une compétition de trampoline en direct? On s’endort.

L’équitation, le lancer du poids, l’aviron, la lutte greco-romaine sont des sports élitistes ou révolus? On s’en désintéresse.

Fiers Canadiens, nos athlètes, victimes de crampes, de virus, de jalousie ou de la coke, sont hors course: on s’ennuie un peu plus.

Un haltérophile irakien soulève 573 livres, un sauteur franchit trois mètres. On s’en balance. Pourquoi?

Peut-être parce que tout cela n’est rien en regard du feu d’artifice que nous présente chaque jour le petit écran et que, à l’ère du virtuel, nous en sommes venus à confondre allègrement mythe et réalité.

Que peut-on y faire?

Inscrire Pamela Anderson et Leonardo DiCaprio au plongeon?

Ou très sérieusement envisager de dénuder un peu plus les participantes du volleyball? Mettre à l’horaire une pléthore de disciplines à mi-chemin entre le sport et la variété? Désolé, ce sont deux choses que tente déjà le comité olympique.

On ne peut guère aller plus loin. Intégrer le roller ball, la danse en ligne, le tir au poignet, la course de dragsters, le pitchage du nain dans le jello et le rave olympique parmi les disciplines officielles ne ferait pas très sérieux. Imaginez: «La médaille d’or du karaoke olympique sera remise par monsieur Juan-Antonio Samaranche à madame Céline Dion. S’il vous plaît, levez-vous pour l’hymne national…»

Ah, mais soyez-en assurés, ceux qui ont investi des cents et des mille à Sydney n’attendront pas que le CIO adopte ces suggestions faciles pour remonter le niveau d’émotivité du show.

Devant l’immense succès actuel du genre, les tout-puissants télédiffuseurs font délibérément de ces olympiques une espèce de gros reality show braillard où les athlètes sont des survivors.

La plongeuse mère de quatre enfants qui nage chaque jour jusqu’à la garderie est une survivante. Le marathonien orphelin qui court dans son village à l’heure de la sieste sous les regards hilares de ses concitoyens est un survivant… Le tennisman qui sert en diagonale parce que dans son Italie natale le gymnase était trop petit est un survivant.

Le boxeur taulard, l’immigrant patriote sont aussi devenus des figures populaires dont on s’acharne à narrer les péripéties quotidiennes.

Afin de rendre attachante cette masse de nobodys, on nous inflige des kilomètres de portraits d’athlètes entre chaque minute de compétition. Dignes du Merveilleux Monde de Disney, ces biographies commanditées les présentent dans un tel état de sainteté qu’on se demande à quoi peuvent bien servir les distributrices de capotes du Village olympique lorsqu’on peut se reproduire par l’intervention du Saint-Esprit.

Plus insidieux, cet olympisme à visage humain valorise des valeurs rétrogrades que n’auraient pas renié un Mussolini ou un Duplessis: patrie, travail, famille… Étrange, lorsqu’il perdure dans le sport, personne ne semble s’inquiéter de ce discours. Bien au contraire.

Les soigneurs du CIO pourront diagnostiquer chez moi un claquement de muscle affectif, un empoisonnement du sang par abus involontaire de bons sentiments. Excusez-moi, devant l’histoire de cette petite famille qui ne peut aller à Sydney faute d’argent, je refuse de souscrire, même moralement, à l’Opération rêve de parents.

Une jeune aborigène s’est pété le tibia pour briser le record du monde. Je ne ressent pas plus le besoin d’ajouter ma voix aux millions qu’elle encaissera afin de fêter sa victoire. Suis-je le seul?

Lorsque la différence entre succès et échec se mesure en millimètres, en fractions de seconde et en pureté du «pipi dans le pot», il reste bien peu de choses dont se repaître. La gloire semble terriblement dérisoire.

Au moins peut-on, entre les publicités, sans rien manquer, délaisser nos téléviseurs en tout temps et se montrer solidaire de tous nos athlètes qui connaissent l’importance d’un p’tit test d’urine.

L’important, c’est de participer.