Les médias accusés : Le point de vue d'un producteur
Société

Les médias accusés : Le point de vue d’un producteur

Le cinéma est-il vraiment trop violent? Faut-il "nettoyer" Hollywood? TOM POLLOCK, producteur de La Liste de Schindler, le chef-d’oeuvre de Steven Spielberg,  réplique.

correspondante à Los Angeles pour le quotidien français Libération

Entre Washington et Hollywood, la fascination est réciproque, la relation de haine et d’amour. Pour la haine, la semaine du 17 septembre a été marquée par la dénonciation unanime, par les sénateurs démocrates et républicains, de la violence dans les médias – cinéma, télévision, jeux vidéo, musique… -, après la publication d’un rapport de la Commission fédérale du commerce (FTC) qui prouve que l’industrie du spectacle n’hésite pas à faire la promotion des films interdits aux moins de dix-sept ans dans des émissions destinées aux adolescents. La classe politique est immédiatement montée au créneau au nom de la protection des enfants. Et les candidats démocrates à la présidence et à la vice-présidence, Al Gore et Joe Lieberman, se sont jetés dans cette bataille habituellement réservée aux conservateurs. Le sujet tient à coeur à Joe Lieberman, qui dénonce depuis longtemps la "culture toxique" de Hollywood, bien que le monde du spectacle multiplie les collectes de fonds pour le "ticket" démocrate.
Si Disney a promis de sévir contre la violence en direction des jeunes, les dirigeants des studios hollywoodiens ne se sont pas présentés devant la commission du Sénat qui planche sur les moyens de protéger la jeunesse de la violence dans les médias: "Trop occupés", a expliqué Jack Valenti, président du MPAA (Motion Picture Association of America) et porte-parole de l’industrie du cinéma. Mais les sénateurs insistent et les attendent à nouveau dans quinze jours.
Alors que la communauté hollywoodienne s’est réfugiée dans un silence prudent, Tom Pollock, l’un des derniers magnats, ancien patron du studio Universal, producteur des films de Steven Spielberg – dont Jurassic Park et La Liste de Schindler -, a accepté de prendre "violemment" position dans ce débat.

Depuis quelques jours, la classe politique américaine a déterré la hache de guerre contre Hollywood. Cela vous a-t-il surpris?
Pas du tout. Nous sommes en pleine campagne présidentielle et ce genre de débat surgit tous les quatre ans. En 1996, la polémique tournait autour d’une puce qu’on insérerait dans le poste de télévision et la dénonciation d’une promo de musique rap par Time Warner. D’un côté, la Commission fédérale du commerce sait très bien que le marketing d’un film va aussi toucher des jeunes au-dessous de l’âge autorisé. Et, de l’autre côté, Hollywood ne devrait pas s’étonner que le gouvernement s’inquiète de cette situation. Le rapport du Sénat sur les médias a été demandé par Clinton après le massacre de treize écoliers, l’an dernier, au lycée de Columbine dans l’Ohio.

Peut-on exclure toute responsabilité de l’industrie du cinéma et de la musique dans le niveau de criminalité en Amérique?
Les films ne sont pas responsables de la violence, c’est établi par les chiffres. Prenez l’exemple de deux villes: Windsor (Ontario, Canada) se trouve juste en face de Detroit (Michigan). Les deux villes consomment exactement la même (violente) culture américaine: les habitants voient exactement les mêmes films et les mêmes programmes télé, achètent les mêmes CD de rap. C’est comme Buffalo (dans l’état de New York) et Toronto, au Canada.
Or, il y a vingt fois moins de meurtres à Windsor qu’à Detroit et dix fois moins à Toronto qu’à Buffalo. La différence entre ces villes? Les armes à feu sont interdites au Canada et autorisées aux États-Unis. On ne peut donc établir de relation entre médias et criminalité.
Mais cela arrange la National Rifle Association et les politiciens, qui ont intérêt à attaquer Hollywood au cours d’une campagne présidentielle. Le seul moyen de diminuer le nombre de victimes de mort violente dans ce pays, c’est d’interdire les armes à feu. Chaque soir, les journaux télévisés démarrent avec un ou deux meurtres – des vrais morts, pas des faux comme au cinéma -, mais il n’est pas question d’attaquer la sacro-sainte information télévisée. Surtout en temps de campagne électorale.

Y a-t-il pour vous une "bonne" ou une "mauvaise" violence dans les produits culturels américains?
C’est d’abord la différence entre un bon film et un mauvais film. Je me souviens d’un film où une fillette de douze ans mettait le feu à une vieille femme, c’était un film pour enfants: Le Magicien d’Oz. Un film très violent, comme sont très violents La Liste de Schindler ou Le Soldat RyanÀ l’Ouest rien de nouveau, très grand livre et très grand film, est extrêmement violent aussi, sur la violence de la guerre, mais pour la dénoncer. Ceci dit, puisque Washington s’intéresse à la protection des enfants, posons le débat: il faut établir une différence entre la violence dans la musique ou les films – expériences passives – et la violence dans les jeux vidéo – expérience active. La plupart du temps, le seul but du jeu est de tuer. Que ce soit dans Zelda ou Doomed, l’enfant doit se transformer en tueur pour gagner, tuer le plus de monde et le plus vite possible. Et les joueurs sont des garçons âgés de douze à vingt ans.