Pierre Elliott Trudeau : Docteur Trudeau… – Le franc-parleur
Société

Pierre Elliott Trudeau : Docteur Trudeau… – Le franc-parleur

Trudeau aurait pu être un grand politicien progressiste. Mais sa haine maladive du nationalisme québécois l’a transformé en monstre hargneux et sénile.Qu’on aime Trudeau ou non, il faut reconnaître une chose: l’ex-premier ministre disait clairement ce qu’il pensait. Une attitude de plus en plus rare à l’ère des sondeurs…

Docteur Trudeau et Mister P.E.T

C’est l’histoire d’un enfant bien né, au confluent de deux cultures, d’un gosse de riche servi par le hasard.

Sorti de Brébeuf puis de La Sorbonne, éduqué selon ces principes victoriens chers à Kipling, puisque les voyages forment la jeunesse, il parcourut le monde comme il se doit, insouciant et drôle. Portant la barbe à la Guevara, la djellaba à la Nasser, il se passionna pour les enjeux de son temps, tout en gardant dans sa poche son ticket de retour. De ces errances, il rapporta un complexe de supériorité ainsi que la conviction que notre société francophone était un lieu petit, étroit, empli d’enfermés, de mal léchés qui puent des pieds et passent leurs fins de semaine au confessionnal. Ce en quoi, dans ces années-là, il n’avait pas tout à fait tort.

Joliment naïf, féru de liberté et d’idées progressistes, il partit s’encanailler avec des croquants portant moustache à la Staline qui prônaient la liberté des travailleurs. Le petit danger de partager en Amérique des pensées socialistes l’ennivra tant d’émotions fortes et si bien agita son bouillant intellect qu’il choisit de troquer sa bohème au profit d’une notoriété acquise dans quelques pamphlets écrits contre les leaders de son temps. Des hommes en gris tout droit sortis d’un roman de Kafka.
Il se découvrit, dans l’abstraction du droit légal, des ambitions politiques et investit les restes de sa jeunesse tardive sur les planches du parlement à extraire la notion de péché du code pénal.
Poussé par le vent de renouveau qui soufflait sur l’Amérique des baby-boomers, les années soixante l’accueillirent élégant et fin, affligé du maniérisme et des oripeaux de Mark Twain, de quoi passer presque incognito à Woodstock. Longtemps le prince dansa pour la galerie une valse faite d’insolence et d’un cynisme rafraîchissant.

Antimilitariste, anti-impérialiste, anti-mondialiste avant la lettre, il osa même imposer aux angliches le bilinguisme officiel qui en fait devrait toujours dans les faits imposer à un magistrat fonctionnaire de Kaamloops de parler français. Et c’était assez formidable.

Demi-tour à droite!
Et puis subitement, l’horloge s’arrête. Des hommes en vert venus de Petawawa assiègent votre quartier, fusil mitrailleur en main. Trudeau a cinquante ans. Il suspend les libertés individuelles de l’ensemble de la société québécoise et s’empresse d’assimiler tous les nationalistes à des criminels. En manipulant l’opinion publique, sa clique Marchand-Leblanc-Lalonde en profite pour purger le Québec de ses éléments de gauche. Lorsque la GRC saisit chez des suspects de convenance affiches, prospectus et journaux venus de Cuba, elle oublie probablement que le premier ministre canadien fréquente le dictateur de l’île sucrière.
Cristallisée dans l’anti-nationalisme primaire, la pensée politique de Trudeau va se scléroser et céder le discours progressiste aux nationalistes de Lévesque qui deviendront sa folie, sa bête noire, son obsession maladive.

Le visage cramoisi sur les tribunes populaires, dans les congrès et sur les télés, Trudeau passe les quinze années suivantes à jeter menaces et insultes au visage des Québécois. "Watchez-moi ben aller!" "C’est fini les folies." et autres pittoresques "Mangez d’la marde!". Trudeau est devenu le p’tit P.E.T. Un bonhomme grincheux accroché au pouvoir, semblable à ceux qu’il décriait dans sa fière jeunesse.
Car pour autant que vous soyez nés dans les années soixante, ce que vous retiendrez de Pierre Elliott Trudeau ne va pas dans le sens de la douce valse des adieux actuels. Ce serait plutôt un radotage interminable, redondance de formules creuses, de slogans gratuits, de promesses trahies et d’esquives que sont la campagne référendaire et Meech. Un jeu de con cynique et mesquin concocté au sein d’un gouvernement qui, au mieux, fit dix ans de sur-place.

P.E.T. pouvait bien rapatrier dieu sait quoi, couillonner amis et ennemis afin de protéger son oeuvre constitutionnelle, paqueter le sénat ou citer Rimbaud dans le texte avant de lever les pattes, peu importe. On aurait facilement décerné le titre d’homme le plus haï du Québec à ce croque-mitaine inquiétant qui employait son redoutable intellect à justifier l’injustifiable.

Par ici, les éloges
Le décès de Pierre Trudeau a inauguré un long défilé d’éloges mais aussi une parade de gens peu recommandables, sénateurs séniles, ministres défroqués, convertis de la politique municipale, hommes d’affaires exilés, biographes vire-capot.

Tandis que les plus opportunistes profitent de l’occasion pour faire des analogies méprisantes entre l’antique impopularité de Trudeau et celle actuelle de Jean Chrétien, "un jour, les Québécois comprendront", et s’engouffrent en masse dans l’émoi provoqué par cette mort pour préparer les prochaines élections où seront défendue d’immuables vertues centralisatrices, d’autres affichent des chagrins et regrets qui contredisent la persistante image de mépris accolée à l’ancien premier ministre. Ce dernier admettait d’ailleurs dans son autobiographie qu’il se sentait affligé d’une espèce de dédoublement; il y avait en fait deux Trudeau, si différents, que l’un s’étonnait souvent de l’autre: un homme privé, philosophe, réfléchi, et un homme public, flamboyant, arrogant.
À votre avis, lequel des deux Trudeau, à Québec, lors des funérailles de René Lévesque, eut cette réplique effrayante à l’endroit de la foule qui le huait: "Vous verrez, vous aussi, un jour, vous allez mourir"?
(François Desmeules)


Le franc-parleur

Connaissez-vous Gary Johnson? Johnson est le gouverneur républicain de l’État du Nouveau-Mexique. Jeune (il n’a que quarante-sept ans), riche et sportif: il est le portrait type du nouveau self-made-man américain. Il fait son jogging quotidiennement, rêve de grimper l’Everest, et soutient qu’il se rebâtirait une fortune en quelques mois s’il devait faire faillite demain matin.

Mais Johnson a un problème: ses idées ne cadrent pas tout à fait avec les visées de son parti. L’été dernier, sans avoir averti les dirigeants républicains au préalable, il a donné une entrevue dans laquelle il affirmait être en faveur de la légalisation de la marijuana et de l’héroïne. La guerre contre la drogue, croit-il, est non seulement un ahurissant gouffre financier, c’est l’un des pires échecs de l’histoire des États-Unis.

La nouvelle a eu l’effet d’une bombe. Les responsables du Parti républicain sont immédiatement descendus de Washington pour lui demander s’il n’était pas fou. Un des hauts gradés de la police du Nouveau-Mexique a remis sa démission en signe de protestation. Les médias, dont la célèbre émission d’affaires publiques 60 Minutes et le magazine Rolling Stone, sont accourus au galop.

Pourtant, en campagne électorale, Johnson avait dit qu’il s’appliquerait à résoudre les vrais problèmes des États-Unis, et, selon lui, la guerre contre la drogue en est un. Mais, aujourd’hui, les quelques illuminés qui se jettent dans la mêlée sans se soucier de ce que les autres pensent d’eux sont une espèce en voie d’extinction. Et les politiciens qui se battent pour des idées sont carrément anachroniques.

Une race qui se meurt
Avant, on admirait les politiciens pour leur verve. On les écoutait s’énerver sur l’estrade, attaquer sans merci les idées de leurs adversaires. Le débat entre les candidats était peut-être houleux mais, au moins, on savait à qui on avait affaire quand on allait voter.
Les règles du jeu ont changé: aujourd’hui, les convictions n’ont plus leur place dans l’arène politique. Les politiciens sont devenus des marionnettes anonymes bourrées de sondages Léger et Léger, prêts à déchirer leur chemise un jour pour défendre une cause dont ils ignoraient l’existence la veille. Ce n’est pas moi que le dis, c’est Stéphane Prud’homme, le candidat de l’Alliance canadienne (le nouveau parti de Stockwell Day) dans Laurier Sainte-Marie.

Jeudi dernier, Stéphane Prud’homme tenait sa première conférence de presse. Quand les journalistes lui ont demandé d’émettre son opinion au sujet des positions controversées de son parti – notamment en ce qui a trait à l’avortement et aux droits des homosexuels -, il a refusé de répondre, en précisant qu’il devrait "parler à ses futurs électeurs pour connaître les idées qu’ils veulent le voir défendre".

C’est-ti pas beau, ça? Un politicien tellement gentil, tellement humble, tellement dévoué, qu’il ne veut pas embêter les électeurs avec ses opinions et ses idées à lui. Un politicien plus blanc que blanc, incolore, inodore, sans saveur: la courroie de transmission parfaite entre la volonté du bon peuple et la Destinée de l’État…

Je veux bien croire que les politiciens doivent être à l’écoute de leurs électeurs: c’est le fondement même de la démocratie. Mais arriver la tête vide, les oreilles grandes ouvertes, en se targuant "d’être à l’écoute des besoins du vrai monde", c’est un peu trop facile.

Solution clé en main
La semaine dernière, les journaux ont abondamment parlé du décès de Pierre Elliott Trudeau. L’élément le plus fréquemment soulevé était son caractère fonceur et intègre. "Il n’hésitait pas à ramer à contre-courant", "Il avait le courage de ses idées", "C’était un visionnaire utopiste, mais sincère", pouvait-on lire dans Le Devoir, au lendemain de sa mort. Que l’on soit pour ou contre les idées de l’ancien premier ministre, on ne peut nier qu’il les défendait avec ses tripes.
À l’heure du règne de l’opinion publique et de la dictature des sondages, le récit de la carrière de Trudeau semble tout droit sorti d’un roman de fiction. Aujourd’hui, nos politiciens jouent le même jeu que les compagnies: ils ont tellement peur de se planter qu’ils font appel aux sondages et aux focus groups avant de courir le risque d’émettre la moindre opinion controversée.

Ils nous observent, nous sondent, prennent notre température, analysent le tout et bâtissent leurs convictions les plus profondes cinq minutes avant d’aller en ondes. Des candidats modelés sur mesure, en fonction de l’air du temps. Le rêve des spécialistes de relations publiques.
"Bonsoir monsieur, mon nom est Johanne et j’aimerais connaître les idées que vous voudriez que le député Dupont défende pour vous. Trouvez-vous qu’il y a trop de Noirs dans votre quartier? Les gais devraient-ils avoir le droit de se tenir la main en public? Est-ce que les vidanges passent assez souvent à votre goût?"

Pas de dents, pas de griffes, mais le regard chaleureux, le sourire facile, la tête vide, prêt à tourner à droite ou à gauche, selon l’ordre du jour. Une solution clé en main, comme on dit dans le monde du marketing.

Concours de popularité
Avis aux politiciens qui seraient tentés de lancer des idées neuves sur la place publique: au lendemain de sa déclaration-choc au sujet de la drogue, Gary Johnson a vu son taux de popularité fondre presque aussi rapidement qu’une action de Cinar dans la tourmente, passant de 54 % à 35 %. Mais le principal intéressé s’en balance: il s’est donné comme objectif de faire avancer son pays, et c’est ce qu’il tente de faire en mettant la question de la décriminalisation des drogues à l’ordre du jour. On fait des vagues ou on n’en fait pas.(Nicolas Bérubé)