Sommet des Amériques : La résistance s'organise
Société

Sommet des Amériques : La résistance s’organise

En avril 2001, Québec sera l’hôte du Sommet des Amériques. Trente-quatre chefs d’État s’y donneront rendez-vous. Déjà, on annonce que cet événement sera aussi chaud que les manifs à Seattle et à Washington. Comment les manifestants anti-mondialisation se préparent-ils? Que feront les forces de l’ordre? Plongeon au coeur de la résistance.

En avril 2001, la manif monstre qui a ébranlé Seattle déménagera à Québec. C’est du moins ce qu’affirment certaines personnes. Mais Jaggi Singh, membre de la CLAC (la Convergence des luttes anticapitalistes) n’est pas aussi alarmiste.

"Québec 2001, c’est une excuse pour les policiers pour acheter de nouveaux jouets, dit-il. La lutte au capitalisme, c’est une industrie de croissance pour les corps policiers." Bref, les forces de l’ordre s’énerveraient le poil des jambes…

Singh admet que la CLAC a "une attitude de confrontation". Le lobbying, très peu pour elle. "Le but de notre organisation est d’empêcher la tenue du Sommet. Mais, Québec 2001, ce n’est pas la fin du monde." Traduction: il ne faut pas que l’événement tourne à la foire d’empoigne. Sinon, tous les efforts de mobilisation de masse auront été vains et la population décrochera.

Voilà pourquoi Jaggi Singh insiste énormément sur l’aspect éducationnel du mouvement de contestation. Ça représente 90 % de son travail. D’ailleurs, il participe actuellement à la caravane contre la ZLÉA (Zone de libre-échange des Amériques) qui fait le tour des provinces des maritimes, du Québec, de l’Ontario et du Nord-Est américain afin de sensibiliser les citoyens sur les impacts de la mondialisation. Son message? "On n’est pas contre les intégrations et les regroupements de peuples si c’est fait dans le respect."
Mais, au Québec, en avril, que va-t-il se passer? La CLAC organise présentement le Carnaval contre le capitalisme. Concerts, pièces de théâtre, manifs, défilés seront au nombre des activités prévues tant dans à Québec qu’à Montréal.

Pour ceux qui aimeraient avoir un avant-goût de ce qui se prépare, monsieur Singh rappelle qu’à la fin octobre, le G-20 – ministres des Finances des grandes puissances, banques mondiales, Fonds monétaire international – sera à Montréal. "L’accueil" aura lieu le 23, à 16h, devant le Centre Sheraton. "Ce sera un petit apéritif de ce qu’on prépare pour Québec."

Débordements en vue?
Membre de la coalition OQP 2001, qui manifestera lors de la rencontre de Québec 2001, Véronica Rioux déplore l’image de brutalité accolée au mouvement ani-mondialisation. "On ne préconise pas l’action par la violence, dit-elle. Quand on commence à mettre l’accent sur les risques, on finit par créer un climat paranoïaque."

Elle comprend que certains individus puissent ressentir une vive colère. Après tout, explique-t-elle, les iniquités sociales se multiplient sur la planète, et il y a de plus en plus d’exclus. Dans un tel contexte, difficile de condamner les écarts de conduite. Mais elle répète que "la mondialisation ne s’arrêtera pas le 22 avril". Donc, plus les démonstrations seront pacifiques, plus on donnera un coup de fouet à "l’internationale anti-mondialisation" qui se développe à travers le monde.

Car c’est maintenant acquis, "il y a une internationalisation de la résistance populaire et une radicalisation aussi", note Véronica Rioux. De petits groupes se croisent lors des grandes rencontres économiques, tissent des liens, s’échangent des informations puis forment de vastes réseaux.

Mais comment tous ces "essaims" s’organisent-ils? Membre des comités action et appui de OQP 2001, Sébastien Bouchard éclaire nos lanternes.

Premier problème: les milliers de protestataires qui débarqueront d’un peu partout en Amérique devront être logés. Déjà, à peu près tout ce qui ressemble à une chambre d’hôtel a été réservé pour les "officiels". Deux stratégies ont donc été retenues par OQP 2001. "On va louer des locaux pour héberger des centaines de personnes dans des mêmes lieux."

L’autre option, c’est "l’hébergement citoyen". Sous peu, les résidants de la région de Québec seront sollicités. Le thème: "Adoptez un manifestant". Sur un ton humoristique, on invitera les gens à avoir leur propre "informateur" à la maison qui pourra raconter dans le moindre détail les activités de la journée. Un lien avec l’histoire, vante-t-on. Intéressé? Des fiches de jumelage sont en préparation.

Pour les repas, Sébastien Bouchard affirme qu’il devrait y avoir environ six cuisines populaires réparties sur le territoire. Une sera en activité près d’un mois avant la rencontre. Il en coûtera un ou deux dollars pour s’y restaurer. Trois groupes devraient coordonner ces cantines: Peoples Potato, OQP 2001 et la CLAC.

Ne nous méprenons pas : la distribution de victuailles sera la seule attache entre OQP 2001 et la CLAC, tient à préciser Sébastien Bouchard. Des divergences d’opinion sur l’acceptation du recours à la violence ont éloigné les deux groupes. Il le redit pour ceux qui n’auraient pas encore compris: "La préoccupation centrale, c’est d’éviter l’affrontement." Regrouper tous ceux qui craignent les effets pervers de la mondialisation et de l’ouverture des marchés.

Terrasser la bête
"On est face à une bête, à un système mondial qui étouffe la population… Ça tue du monde, le libre-échange. On enlève le pain de la bouche des enfants du tiers-monde", renchérit un vieux de la vieille de la désobéissance civile et membre de SALAMI, Philippe Duhamel. Mais ce n’est pas une raison pour "jouer le jeu des organisateurs", croit-il.
Il ne se fait néanmoins pas d’illusions. Des extrémistes seront présents. "Je sympathise avec la rage et la colère de ces gens, mais il ne faut pas non plus être comme des souris qui se mettent dans la gueule du chat. La force du mouvement est sa diversité. La violence serait comme un antibiotique qui éliminerait cette diversité pour ne laisser que du noir et du rouge", illustre-t-il. Philippe Duhamel ne veut pas "laisser" les manifs aux punks et aux anarchistes. Il veut que sa matante et son mononcle soient de la partie!

De mai 68 à avril 2001
"Même si on le voulait, on n’aurait pas les moyens d’empêcher les groupes de l’extérieur de venir foutre le bordel", déplore aussi Robert Jasmin, membre d’ATTAC-Québec. Cette organisation mondiale de militants contre la mondialisation économique néolibérale a été créée par le directeur du Monde diplomatique, Ignacio Ramonet, il y a deux ans. ATTAC était à Seattle pour la célèbre rencontre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Contre toute attente, Robert Jasmin demeure optimiste. Depuis que les groupes se rencontrent et affirment haut et fort que leurs actions seront guidées par un esprit de convivialité, certains participants moins favorables à l’idée se retirent sans faire de bruit. C’est ce qu’il veut : que les adeptes de la violence soient étouffés.

Selon monsieur Jasmin, ça semble réalisable. Il était à Paris en mai 68. Depuis, il n’avait jamais vu une telle lame de fond populaire. "C’est quelque chose de très, très nouveau pour la gauche de composer avec des gens qui ne sont pas semblables à nous." Peu importe les classes sociales, il remarque un ras-le-bol généralisé qui unit de plus en plus de gens. Peut-être, espère-t-il, que son rêve se réalisera, que le "monstre" sera atteint au coeur.

Porte-parole de la GRC et des trois autres corps de police impliqués (Sainte-Foy, Québec et la SQ), Julie Brongel fait valoir que leur mandat est de protéger les citoyens, les manifestants et les chefs d’État. "Il va falloir qu’on minimise les rassemblements." Aussi, les protestataires seront confinés à quelques secteurs bien délimités.

En ce qui a trait aux accréditations, madame Brongel veut rassurer les résidants des secteurs entourant le centre des congrès et les grands hôtels de la haute-ville. Oui, il y aura des laissez-passer. Non, on ne fouillera pas les casiers judiciaires.

Va-t-on fermer la frontière à certains groupes étrangers? Peut-être, si les individus ont des antécédents judiciaires qui le justifient. Est-ce vrai que les forces de l’ordre ont recours à des agents provocateurs lors de tels événements pour légitimer une intervention? "Je n’ai jamais entendu parler de tactiques comme celle-là."

Quant à l’estimation réelle du "danger", ce n’est pas pour tout de suite. "La menace va être évaluée en début d’année au plus tôt", dévoile le directeur des communications du Sommet, Éric Pelletier. Trop d’inconnues subsistent.

Notons finalement que le Service canadien de renseignement de sécurité est dans le coup. Le porte-parole, Daniel Lambert, détaille le mandat: les agents rédigent "des évaluations de la menace qu’on envoie au gouvernement et aux corps policiers".