Droit de cité : La montagne sacrifiée
Société

Droit de cité : La montagne sacrifiée

L’an prochain, le parc du Mont-Royal célébrera son cent vingt-cinquième anniversaire. Pour souligner l’événement, on lui donnera un drôle de cadeau: on le rendra aveugle. Ou, à tout le moins, on lui fera prendre un sérieux coup de vieux en l’affligeant de cataracte. Méchante façon de fêter…

La Commission de développement urbain de la Ville de Montréal (CDU) poursuit l’étude du projet d’une tour de condos sur le chemin de la Côte-des-Neiges. Dix étages d’habitations qui n’auront rien de modique, situées tout juste à l’entrée du parc. C’est un projet du promoteur Canderel, l’un des plus importants constructeurs immobiliers à Montréal.
Dix étages, c’est déjà sept de trop. Les règlements d’urbanisme en autorisent seulement trois à l’intérieur des limites du site du patrimoine du mont Royal, qui comprend non seulement le parc du Mont-Royal, mais aussi une zone-tampon qui le ceinture afin de lui garantir son intégrité. C’est dans cette zone qu’est situé le projet de Canderel. On peut habiter la zone-tampon, y travailler, y construire, mais selon des règles plus restrictives qu’ailleurs en ville.

En 1876, la Ville a créé le parc du Mont-Royal selon les plans de Frederick Law Olmsted, l’architecte paysagiste de Central Park. Pour Olmsted, la personnalité du parc du Mont-Royal tenait aux panoramas qu’il offrait, et continue d’offrir, sur Montréal. C’est dans ce but, entre autres, qu’a été créé, en 1987, le site patrimonial: afin que les panoramas du parc ne soient pas bouchés par les murs d’immeubles de dix étages.

Les règlements d’urbanisme ne sont pas d’immuables lois divines. Ils peuvent être modifiés, voire ignorés, quand le bien commun le commande. Dans ce cas, on demande à la CDU de consulter le peuple afin de vérifier si c’est dans le bien commun de modifier les règlements.

Bon, on n’a pas à faire ici un dessin sur l’utilité de la CDU: tout le monde sait que cet organisme est un avaliseur à décisions émanant du cabinet du maire et du comité exécutif. La CDU fonctionne tellement mal que même son créateur l’a reconnu. C’est pour cette raison que le maire Bourque a nommé l’ex-ministre libéral Gérald Tremblay à la tête d’un comité de consultation publique sur la… consultation publique!

À la fin de ses travaux, il y a quelques semaines, Gérald Tremblay en est venu à une conclusion: le système est complètement fucké. Il faut le réformer de bas en haut. C’est ce qu’on est venu lui dire de façon unanime.
C’est donc avec cet outil malade, où les élus au pouvoir se retrouvent à tous les paliers de décision, qu’on étudiera la demande de Canderel! On entend déjà la traditionnelle turlute du maire Bourque: "Il faut apporter de la richesse à Montréal, à wing ahan-han!"

C’est cette même CDU qui avait avalisé, il y a deux ans, le projet immobilier du Groupe Lépine, situé lui aussi à l’intérieur du site patrimonial, sur l’ancienne ferme des sulpiciens. Et ce, à l’encontre des avis des experts des Services de l’urbanisme, des parcs, jardins et espaces verts.

Toujours sur l’air de la fameuse turlute: "Il faut apporter de la richesse à Montréal, à wing ahan-han!"
Canderel promet que sa tour ne jurera pas dans le paysage. À elle seule, peut-être. Mais les dérogations en urbanisme font souvent office de jurisprudence. Un privilège accordé à l’un peut difficilement être refusé à l’autre. C’est sous ce principe que la Ville a accepté le troisième étage du supermarché Chèvrefils sur le Plateau. Quelques mois auparavant, son voisin, une ancienne école transformée en condos, avait obtenu le droit de construire un étage de plus que le règlement ne le permettait. À wing ahan-han!

Le parrain
Les libéraux de Jean Charest ont promis, croix de bois, croix de fer, que jamais, ô grand jamais, ils ne réaliseraient de fusions forcées de municipalités. C’est leur réponse à l’inextricable plan Bernard, déposé la semaine dernière. Leur programme en la matière, adopté le week-end dernier lors de leur congrès biennal, reconnaît l’importance d’un partage fiscal mieux équilibré entre les villes de riches et les villes de pauvres, et affirme que la fusion est un bon moyen d’y parvenir. Mais ce programme prévoit plutôt des mariages dans la joie et l’allégresse, par référendum, que des unions forcées.
C’est à croire que le programme libéral a été écrit par une agence de publicité à gogo spécialisée dans les infopubs: "Mangez gras et maigrissez!"

Le hic, avec ce programme, c’est qu’il privilégie la minorité à la majorité. Selon la formule libérale des référendums à répétition, le vote de trois mille cinq cents richards d’une chic enclave a plus de poids que celui des cinq cent mille citoyens qui l’entourent! Un million de Montréalais ont beau croire que la solution "Une île, une ville" est la seule planche de salut pour leur communauté, ce sont quand même les trois mille résidants d’Hampstead qui en décideront.

Le programme libéral est d’autant plus contradictoire qu’à la promesse d’aucune fusion forcée, s’ajoutent les "incitatifs sévères" pour forcer la disparition de toute ville de moins de deux mille habitants.

Autrement dit, les libéraux ne forcent la main de personne, mais ils vont vous faire une offre que vous ne pourrez refuser, foi de Vito Corleone!