Un auteur-compositeur que je connais bien, la quarantaine avancée, tenait en fin de semaine ce commentaire qui fait toujours sourire: «Maintenant, faire de la chanson, c’est comme vendre des chaussures, c’est commercial.»
Vrai que les «borborythmes» de gros mâles virils dont les amours prennent l’eau, que les passions violentes de grands adolescents colériques étalées comme du Cheez Whiz sur des refrains à deux accords n’ont qu’un seul sous-entendu, martelé aux 10 minutes par les radios. «All we need is cash.»
«Ah! Dans le temps», semble vouloir dire notre baby-boomer. Jadis, entre les deux guerres… entre le Viêtnam et les Falkland, quand Ralph Nader pourchassait des Pintos jaune moutarde dans les champs de fraises pour toujours. Janis, Jimi, Jim, ça, c’était de la bonne vomissure de gueule de bois et surtout John, Paul, Ringo, George, de la zique comme on en fumera plus souvent. Autre chose que la muzak des marchands de godasses faite pour ramasser du fric.
Parlons chaussures.
Me suis offert l’irrésistible The Beatles Anthology. La somme, le gros livre de neuf livres et demie, aussi épais qu’une année bissextile, 367 pages de photos et d’entrevues.
Quatre paires de Beatles Boots. Trônent en première page quatre paires de bottillons achetées après l’un des premiers spectacles du groupe à Londres, grâce au cachet de 15 livres par soir que le gérant Brian Epstein avait fait doubler. Tout un symbole.
Quoi de neuf dans cet ouvrage de référence? Des tonnes de choses et… du fric. Des histoires de fric. Des magouilles qui rappellent que chez les quatre millionnaires dans le vent, le profit parlait souvent plus fort que la musique.
Morceaux choisis au hasard:
«Il fallait qu’on plaise aux producteurs de la télévision et des maisons de disques alors j’ai accepté volontiers de porter des complets pour obtenir plus d’argent.» (Harrison)
«Brian a conclu des accords archinuls. Je ne touche toujours que 15 % pour Yesterday…» (McCartney)
«Ils ont enregistré toutes ces chansons de l’album blanc pour se débarasser au plus vite de leur contrat avec EMI.» (George Martin, producteur)
«Pourquoi continuer à faire des spectacles? On gagne plus d’argent en écrivant des chansons qu’en s’exhibant partout.» (Harrison)
«Au Kansas, l’offre avait débuté à 60 000 $ dollars, on a dit non. Elle est montée jusqu’à 150 000, alors nous y sommes allés.» (Neil Aspinall, gérant de tournée)
«Bonsoir et merci pour le blé.» (Lennon)
Et ainsi de suite…
Quinze ans plus tôt, attablé au Two of Hearts de Toronto, je m’étouffais presque dans mon Dry Martini en écoutant le gros Rodger m’expliquer comment vendre de la musique préfabriquée selon les besoins du marché.
Rodger est directeur artistique d’une multi du disque. Le genre de boulot dans lequel on serre la main de Prince et de Michael Jackson dans la même journée.
Cette année-là, Rodger avait inventé un groupe de hard rock psychédélique. Il avait déniché deux asociaux qui faisaient la pluie et le beau temps dans une école secondaire du nord de l’Angleterre. S’était empressé d’expédier les deux ploucs à New York faire la fête aux frais de la princesse. Lofts dans Greenwich Village, pétasses, musiciens, producteurs, groupies, Rodger fournit tout ce qu’il fallait pour stimuler l’inspiration d’un groupe de rock, sauf la dope. Soumis à ce régime épicurien, nos rockeurs, à partir de quelques feuilles de papier à musique mal foutues, accouchent miraculeusement d’un album fort vendable. Deux singles, trois vidéos et un petit million de dollars de pub plus tard, The Cult flirtait avec le sommet des palmarès.
Dans les années 90, Rodger a surfé sur la vague des boys bands, tenté de cloner Nirvana et tous les genres de musique où il reste du fric à ramasser. Comme le docteur Frankenstein, le directeur artistique pillait les cadavres et concoctait à partir d’arguments incontournables des musiques qui vous tiraient diaboliquenent l’oreille. Et si malgré toute sa science Rodger admettait une faiblesse, il ne désespérait pas. «Les goûts des consommateurs, on sait pas encore exactement comment ça marche, mais on s’en rapproche à 85 %.» Rodger était comme dieu, il voulait prendre le contrôle de nos âmes. Par les temps qui courent, il doit faire dans les p’tits souliers cubains sur mesure, les plates
-formes techno-latino taille unique et fourguer aux ados des tonnes de grosses godasses molles de rappeurs bien cons aux noms évocateurs genre Nasdaq et Dow Jones.