Le Roman colonial : Mouton noir
Société

Le Roman colonial : Mouton noir

Dans son essai Le Roman colonial (Boréal), l’écrivain DANIEL POLIQUIN tire à bout portant sur le nationalisme québécois. Regard critique d’un Franco-Ontarien sur un épineux débat politique.

"Arrête, hostie! Arrête de chier sur mon peuple exploité, colonisé, humilié! Mon tabarnac, toué! Ça prend-ti un intellectuel mangeux de sushis, qui lève le nez sur le ragoût de pattes de nos mères, pour dire des écoeuranteries de même!"

Voici ce que des indépendantistes québécois ont lancé à l’écrivain Daniel Poliquin lorsqu’il a osé condamner les excès du nationalisme québécois il y a quelques années. Cette volée d’injures ne semble pas avoir arrêté l’auteur franco-ontarien puisqu’il répète ses critiques dans son tout récent ouvrage, Le Roman colonial, un "essai romancé" qui tire à bout portant sur le nationalisme made in Québec.

Pour montrer les deux visages des Canadiens français et illustrer son propos, l’auteur de L’Homme de paille et de L’Écureuil noir se sert de deux personnages fictifs et caricaturaux: monsieur Labine et monsieur Lesieur. Le premier tourne le dos au nationalisme, refuse de panser les blessures de l’Histoire et ressemble "à des millions de Québécois trop indépendants pour vouloir l’indépendance du Québec". Le second se cantonne quant à lui dans une lutte nationaliste dont il est un fervent fidèle. "À travers ces personnages, lance Poliquin en entrevue, j’ai voulu mettre mon grain de sel dans le débat politique du Québec."

Parlons plutôt d’un sac de sel! L’auteur, en effet, n’épargne aucune idée reçue: "Une société distincte, le Québec? Oui, et après? On s’en fout éperdument. Terre-Neuve abrite aussi une société distincte, c’est la province la plus irlandaise du pays, mais cela ne lui donne aucun droit. […] On disait, je me souviens, qu’il fallait prendre garde de ne pas banaliser le Québec à l’intérieur du Canada, alors une société distincte, une! C’était oublier que des sociétés distinctes au Canada, par définition et essence, il en pleut: les mennonites, les rastafaris, les gais et lesbiennes, le peuple inuit, et j’en passe."

C’est avec le regard d’un Franco-Ontarien que Le Roman colonial aborde l’épineuse question du nationalisme québécois. Selon Poliquin, son origine lui attire des critiques acerbes de la part de certains indépendantistes, qui "traitent les francophones hors Québec comme des à-plat-ventristes, des colonisés et des assimilés". D’ailleurs, il se désole du désintérêt des indépendantistes face à la lutte des francophones hors Québec pour la survie de leur langue. Par contre, Poliquin ne croit pas à l’assimilation des Canadiens français par les Canadiens anglais. S’inquiète-t-il seulement de l’état du français hors Québec? "Ce sera toujours difficile, mais la situation s’améliore", se contente-t-il de rétorquer.

Culte sacré
Dans Le Roman colonial, Poliquin se plaît à comparer le nationalisme à une religion. "Le nationalisme est une croyance, écrit-il. Avec ses dogmes, ses croisés, ses curés et ses hérétiques."

Parmi les dogmes: "Les Anglais nous haïssent. La Nuit des longs couteaux est un fait. Le Québec est un pays qui a été conquis en 1760, les Québécois sont des conquis. Tous. Quiconque n’est pas d’accord est colonisé; quiconque est d’accord a découvert la liberté. L’indépendance est le seul moyen d’assurer la sécurité linguistique et culturelle du Québec, faute de quoi les Québécois disparaîtront tous jusqu’au dernier. Les minorités françaises ont toutes été massacrées. Tous les Franco-Ontariens sont des assimilés ou le seront bientôt. Un jour, on ne parlera plus français dans l’île de Montréal."

Devant ces discours apocalyptiques, Poliquin reste de marbre. "Le français n’est pas du tout en péril! La loi 101 existe, quand même! Mais les politiciens aiment se voir comme les victimes des méchants Anglais." Selon lui, les prochains États généraux sur l’avenir de la langue française du gouvernement provincial risquent de sombrer dans cette rhétorique démagogique. "On répétera sûrement que les francophones vont bientôt être assimilés, juste pour faire peur au monde." Ne lui parlez d’ailleurs pas de la Brigade d’autodéfense du français (BAF), qui semble croire dur comme fer à cette théorie. "Ce sont des illuminés, dénonce-t-il. Ils dramatisent, à tort, la situation du français au Québec."

À l’inverse, Daniel Poliquin se dit adepte de la "dédramatisation". D’ailleurs, il réprouve tout discours alarmiste "qui, du côté fédéral, cherche à prouver qu’un Québec indépendant s’engagerait irrémédiablement dans la voie du sous-développement, ou qui, du côté souverainiste, démontre avec force que seul un Québec indépendant peut prospérer dans la dignité".

Malgré les apparences, Poliquin se garde bien de condamner systématiquement le nationalisme. "Quand il a prôné la justice, il a fait un bien énorme. Sinon, c’est un objet de manipulation pour obtenir le pouvoir. Le nationalisme au Québec, c’est comme le fédéralisme, un demi-échec." Toutefois, l’auteur ne manque pas de dénoncer les excès du nationalisme. Un exemple? Hydro-Québec. "Essayez donc d’aller critiquer Hydro-Québec, on vous dira que vous êtes un mauvais Québécois", écrit l’auteur. "L’entreprise bafoue les règles et étouffe la critique sans aucun problème, affirme-t-il. C’est comme si le fait qu’elle soit un symbole national lui donnait tous les droits."

Les nouveaux colonisés
Passéiste, vieux, arriéré: Poliquin ne se fait pas tendre à l’égard du projet indépendantiste. Sans proposer une solution de rechange claire, sinon un vague "projet de société avant-gardiste", il dénonce le côté vieux jeu du nationalisme. Poliquin tente même des parallèles peu flatteurs, surtout quand il écrit: "Il y a d’ailleurs un rapprochement à faire entre l’alliancisme de l’Ouest et le nationalisme du Québec dans la mesure où ces deux idéologies sont marquées à la fois par le conservatisme le plus encroûté et la célébration des Etats-Unis."

À travers ce "conservatisme" et cette "célébration", Poliquin juge que les nationalistes, qui ne veulent plus se voir comme des colonisés, le deviennent encore davantage. Comment? Par une recolonisation. "Les politiciens indépendantistes sont colonisés quand ils favorisent aveuglément l’implantation d’entreprises américaines ou quand ils vont sans cesse en missions économiques aux États-Unis, indique l’auteur. C’est comme s’ils se mettaient à genoux devant les Américains. Lucien Bouchard a déjà dit dans un voyage aux États-Unis que les Québécois étaient les plus grands admirateurs des Américains du monde! Ça, c’est être colonisé. De plus, Bouchard est aussi un colonisé quand il réclame sans cesse l’approbation de la France."

Sans l’ombre d’un doute, le livre de Poliquin dérangera. "Quand je traite, par exemple, la souveraineté-association d’indépendantisme branleux et transgénique, je sais que cela ne plaira pas à tout le monde. Pis après? J’attends la critique.

Le Roman colonial, Boréal, 255 pages