Maladies mystérieuses : Grosse fatigue
Société

Maladies mystérieuses : Grosse fatigue

Fibromyalgie, syndrome de la fatigue chronique, sensibilité chimique multiple: des centaines de milliers de travailleurs québécois sont atteints par ces syndromes qui ne sont toujours pas reconnus comme invalidants par les autorités. Mais un recours collectif se prépare, le plus gros de toute l’histoire du Québec.

"Je suis un peu un miraculé", affirme René Paquin. Cet ancien haut fontionnaire qui a travaillé pendant vingt-sept ans au gouvernement du Québec revient en effet de loin. À l’emploi du ministère de l’Industrie et du Commerce, il est muté en 1994 dans un édifice de place D’Youville. C’est là que commence son calvaire. "En septembre 1994, je me suis mis à mal aller, j’avais de grosses réactions lorsque j’allais travailler, une grande fatigue, des migraines. J’ai été diagnostiqué comme souffrant de plusieurs maux avant qu’on ne mette le doigt sur ce qui me rendait malade."

Ayant fait des recherches personnelles, René Paquin réussit à rencontrer un spécialiste qui identifie son trouble: sensibilité chimique multiple, ou SCM. Mais comme le mal dont il était atteint n’est pas reconnu par le gouvernement du Québec et les compagnies d’assurances comme étant d’origine physique et causant l’invalidité, il a été acculé au pied du mur. Heureusement pour lui, au moment où il s’apprête à s’inscrire au bien-être social, le gouvernement annonce que ses fonctionnaires peuvent bénéficier d’un plan de retraite anticipée. "Si je n’avais pas eu ça, précise René Paquin, je ne sais pas comment j’aurais pu vivre."

Comme plus de cent mille Québécois (qui se retrouvent principalement chez les fonctionnaires), René Paquin a été atteint par l’une des "maladies" mystérieuses qui se répandent comme une traînée de poudre depuis vingt ans dans les édifices hermétiques modernes, qui macèrent littéralement dans une soupe chimique et bactériologique digne de sites contaminés. "Les conduits d’aération sont des incubateurs de bactéries et de moisissures et les photocopieuses dégagent de grandes quantités d’ozone. Ajoutez à cela la mauvaise ventilation, l’absence de fenêtres qui s’ouvrent et la poussière, et vous avez les conditions réunies pour augmenter vos risques de faire des chocs chimiques."

Un virus?
Mais lorsque l’on parle de sensibilité chimique multiple, de fibromyalgie ou de syndrome de fatigue chronique, on entre dans une des zones d’ombre de la science. Médicalement, ces "maladies" contemporaines sont très mal connues. "Maladie" est d’ailleurs un terme mal choisi pour parler de ces désordres qui s’apparentent davantage à des syndromes, soit des conjonctions de plusieurs troubles touchant une partie donnée du corps humain. Ces syndromes se manifestent d’ailleurs souvent par des troubles plus communs, comme l’hypoglycémie, l’hypertension, le diabète ou l’hypothyroïdie et sont souvent associés à une fatigue générale extrême. Des recherches tendent même à prouver que dans certains cas, comme pour le syndrome de la fatigue chronique, le "trouble" pourrait être d’origine virale, comme en font foi les nombreuses épidémies recensées dans le monde, souvent dans des hôpitaux.

Mais comme les symptômes sont souvent déroutants et la maladie presque inconnue par l’ensemble du corps médical, les diagnostics sont souvent erronés. Généralement, cependant, les rares spécialistes de ces syndromes les associent à un dérèglement du système nerveux autonome, celui qui gère notamment le pouls, la température du corps, la respiration, etc.

Un système malade
René Paquin est en train de mettre sur pied un recours collectif visant à faire reconnaître par le gouvernement, le Régime des rentes du Québec, la CSST, la SAAQ et les compagnies d’assurances privées le caractère physique et invalidant de ces maux mystérieux.
Maître Daniel Petit est l’avocat qui a accepté de piloter le dossier. L’enjeu financier est de taille: un milliard de dollars. Un chiffre astronomique à la mesure, selon l’avocat, de la peur du gouvernement et des assureurs qui savent que le nombre de personnes atteintes de ces désordres augmente exponentiellement depuis vingt ans, une statistique qu’il a dénichée en effectuant ses recherches.
"Selon les chiffres de l’Association canadienne des compagnies d’assurance de personnes (ACCAP), le nombre de réclamations reliées à tous ces types de maux (SCM, FM et SFC) a doublé depuis vingt ans, voire même triplé dans certains cas. Et on ne parle même pas des patients qui se savent atteints mais qui se font donner de faux diagnostics pour les assurances."

Selon l’avocat, la manière dont on cache ces syndromes prouve que notre système de santé est gravement malade. "Ces maladies font ressortir les limites de la médecine telle que pratiquée ici au Québec." Selon maître Petit, ces syndromes éminemment complexes ne correspondent pas au type de maladie que les médecins aiment voir dans leur cabinet. "Premièrement, ces syndromes sont pratiquement inconnus de nos médecins. C’est donc dur à diagnostiquer, surtout que ça peut ressembler à une autre maladie. Et qui dit plus de temps passé dans le cabinet, dit moins d’argent pour le médecin." Selon René Paquin, des patients ont été rendus malades à force de suivre des traitements destinés à guérir des maladies dont ils n’étaient même pas atteints! "La médecine à l’acte est notre plus grand ennemi; elle développe le syndrome de la médecine bureaucratique!"

Daniel Petit souscrit également à cette analyse en dénonçant "le saucissonnage qui caractérise l’état de la médecine moderne". Selon l’avocat, ces maux sont des syndromes qui s’attaquent non seulement au corps des personnes atteintes mais à la structure même du système de santé. "Ça nous renvoie en pleine face l’état lamentable de la pratique médicale au Québec, et on voit bien que ce n’est pas une question de financement. C’est beaucoup plus profond. Quand il y a un conflit entre les gros sous et la santé de centaines de milliers de personnes, je ne suis pas sûr que les autorités médicales et gouvernementales prennent toujours le côté de la santé publique."