Depuis quelque temps, plusieurs observateurs de la vie politique québécoise s’inquiètent de la dérive continue du pouvoir décisionnel de l’Assemblée nationale vers de petits groupes de décideurs qui gèrent la société en huis clos à l’abri de l’exercice démocratique qu’imposent les partis d’opposition quels qu’ils soient. Soigneusement sélectionnés au sommet de façon totalement discrétionnaire, quelques énarques, gestionnaires reconnus et figures publiques célèbres assument ainsi des mandats normalement confiés à des élus redevables de leurs décisions devant la population.
Peu importe semble-t-il que ces remplacements puissent ressembler à un désaveu de nos élus par leurs chefs, peu importe l’opacité des choix des administrations publiques, peu importe le double emploi dispendieux, nos députés et ministres ne semblent pas rechigner à jouer les potiches au bénéfice de quelques comités fantômes. Pourtant, c’est la non-transparence de ces décisions prises derrière des portes closes par des dirigeants autocrates que dénonce maintenant partout dans le monde toute une couche de la société, jeunesse en tête. Pourtant, ce sont ces dépenses somptuaires qui enrichissent souvent des gens généralement bien vus du régime qui dégoûtent à jamais le contribuable de la politique partisane sur toute la planète.
Mercredi dernier, le député libéral de Châteauguay, Jean-Marc Fournier, levait un joli lièvre lorsqu’il faisait remarquer en chambre que la feuille de paie de quatre contractuels du gouvernement du Québec, Gérald Larose, Claude Béland, Louis Bernard et Michel Clair, représente jusqu’à maintenant, à elle seule, l’équivalent du salaire de 23 députés.
Comptons sur nos 10 doigts. Le salaire de base du député québécois s’élève à 63 000 $ dollars. L’allocation d’un prestataire de l’aide sociale, à 10 fois moins. On pourrait ajouter que nos quatre larrons encaissent l’équivalent de l’allocation de 230 prestataires. Et tiens, tant qu’à faire, l’équivalent de 110 travailleurs rémunérés au salaire minimum pour une (bien hypothétique) semaine de quarante heures…
Que font ces collaborateurs exceptionnels pour mériter autant du gouvernement? Forts d’antécédents très appréciés, ils président, siègent, participent, négocient ou collaborent à moult commissions et groupes de réflexion et instances décisionnelles auxquels ils offrent, tous azimuts, leurs lumières indispensables.
Et si Jean-Marc Fournier a fait remarquer que plusieurs partagent quelques allégeances politiques à l’égard du parti en place, ce n’est bien sûr que parce qu’il n’est rien d’autre qu’une mauvaise langue, et pis celui qui le dit, c’est celui qui l’est… Gnagnagna. J’exagère à peine. La même logique infantile prévalut sur les bancs de l’Assemblée nationale lorsque notre premier ministre interpellé sur ce sujet confondit volontairement la question avec des attaques personnelles contre ses contractuels de luxe.
Alors excusez-moi de me souvenir que le délicieux consensus obtenu à l’arrachée lors du sommet économique de 96 le fut grâce au bon vouloir de quelques-uns de ces messieurs, moi qui n’attaque personne.
Tout cela fut bien sûr démenti vivement. «Nous n’avons aucune espèce d’hésitation à choisir des gens de quelque couleur politique que ce soit», rétorqua M. Bouchard. Chouette! On a hâte de voir un Ghislain Dufour retraité du Conseil du patronnat ou un Laurent Beaudoin en vacances présider un jour une commission sur la langue française.
Parlons donc de commission, dans le bon sens du terme… si tant soit peu que cela ait un intérêt quelconque.
Car il existe des gens pour faire observer que ces exercices apparemment apolitiques, que les élus du Parti québécois se plaisent à multiplier, ne servent qu’à donner une apparence de légitimité consensuelle aux orientations du gouvernement. Que, dévoilées à grand renfort de conférences de presse, les conclusions de nos commissions parlementaires sont tirées d’avance et téléguidées d’en haut.
Il semblerait même que lors de ces exercices démocratiques, ceux qui ont à faire entendre quelques voix discordantes se retrouvent au bas de l’agenda.
Entendus plus qu’écoutés entre deux soupirs, à des heures où les journalistes, occupés à courir à la garderie, n’ont guère le temps de rapporter quelques divergences au sein de ces séances de pétage de bretelles pour le bulletin de 18h.
Négociateurs dont l’étendue des pouvoirs reste floue, nos pigistes de luxe affichent des compétences fort variées.
Des autochtones aux municipalités, en passant par les structures gouvernementales pour l’un, l’action communautaire, la langue pour l’autre. Et si vous vous demandez en vertu de quelle section de son curriculum un syndicaliste reconnu se retrouve à la direction d’un comité de réflexion sur l’industrie du livre, eh bien, sachez qu’il aime lire, paraît-il. Une qualification préalable évidemment indispensable…
Interpellé tant sur la pertinence financière que sur l’inimputabilité de ces mandataires exceptionnels, Lucien Bouchard fonce tête baissée.
Nous continuerons à faire appel aux services de gens compétents… Nous n’hésiterons pas à leur confier de nouveaux mandats, a-t-il dit en substance.
La réflexion sur les glissements du pouvoir des institutions démocratiques vers une élite surpayée devra visiblement, un jour, se poursuivre sans lui.