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Légendes populaires : The Val-Bélair Bitch Project
L’affaire Gendron-Nguyen n’a pas fini de faire couler de l’encre. Les deux étudiants qui menaient une étude sur les légendes populaires à Val-Bélair font encore la manchette puisque le journal personnel de Gendron, retrouvé sur les lieux des incidents, vient d’être rendu public. Voir le publie ici dans son intégralité.Avertissement: Toute ressemblance avec des lieux, faits ou personnes réels ne saurait être que fortuite.
Mononc' Serge
Photo : Tshi
Le jeudi 12 octobre 2000, 17h15
Le moustachu qui nous a ramassé sur le pouce venait d’aller conduire sa femme chez le médecin et filait vers le bar de danseuses. "J’ai besoin de voir des femmes en santé!" qu’il disait. Comme on ne voulait pas aller prendre une bière avec lui, il a failli nous laisser sur le bord de la route. "Dis-moé pas que j’ai embarqué deux tapettes!" Bon, OK, on y va… "L’important, c’est de pas le dire à vos femmes!" Après quelques grosses molles (dans tous les sens du terme), la conversation a fini par porter sur les sanglantes histoires locales. Très jovial jusque-là, notre bonhomme est brusquement devenu sombre. "Mêlez-vous de ce qui vous regarde!" J’ai donc passé à un sujet plus rassembleur, soit les seins démesurés de la pulpeuse Cindy. Sept ou huit molles plus tard, le taux d’alcoolémie de la moustache avait atteint le niveau nécessaire pour remettre la question des légendes sur le tapis. "Des histoires de cul!" Il s’est lancé dans un monologue incohérent, parlait de tondeuse à gazon, mêlait les danseuses à tout ça… Puis, comme s’il avait vu quelque chose, il nous a planté là en prétextant une terrible envie de pisser. Deux gros doormen ont aussitôt surgi pour nous catapulter hors du bar. Nous nous sommes repliés au Tim Horton. La soupe et les beignes viennent d’être servis, place à la gastronomie.
Le jeudi 12 octobre, 23h05
Nous sommes de retour au Tim. Nous avons passé la soirée dans un centre commercial et à faire du porte à porte pour recueillir des histoires. Résultat: niet, rien, zéro. Partout de l’hostilité. Les portes nous claquaient sous le nez. Pas une once de respect. J’ai longtemps cru que les farces méchantes sur Val-Bélair n’étaient que l’expression de préjugés primaires, mais je dois aujourd’hui admettre que ceux-ci sont nettement en-deça de la réalité. À l’instar de beaucoup d’habitants de Québec, leurs cerveaux seraient-ils encombrés de chansons de Bruno Pelletier, de blagues de Jeff Fillion et de commentaires d’André Arthur? Cet encombrement nuirait-il au plein exercice de leurs facultés intellectuelles?!… Bon, bon, bon, je m’emporte. Mangeons nos beignes. Du calme…
Le vendredi 13 octobre, 2h00
Les deux vieilles serveuses du Tim Horton nous ont entendus placoter, moi et Nguyen, et comme il n’y avait pas d’autres clients, elles étaient bien contentes de nous jaser des histoires de Val-Bélair. Nguyen les a enregistrées sur cassette, mais j’en fais ici un résumé, au cas où.
Il y a plusieurs années, un terrain de mini-golf avait été aménagé sur le boulevard Pie XI. C’est le veuf Beaubien qui y tondait le gazon. Son épouse lui avait donné deux filles jumelles avant de quitter Val-Bélair pour un autre paradis. Pendant des années, la vie de Beaubien se partagea entre sa pelouse et ses fillettes. Il les éleva toutes les trois le plus chrétiennement qu’il put, mais seule la pelouse grandit en sagesse. Les jumelles songèrent plutôt à devenir danseuses. Un soir, papa les surprit en train de répéter le duo érotique qui devait leur apporter la fortune. Beaubien avait souvent imaginé de telles impiétés, mais de là à les mettre en pratique… Les jumelles ne pouvaient agir que sous l’influence du diable et la foi du père lui dicta de procéder à leur élimination. Il les traîna jusqu’au mini-golf, les attacha au sol et les déchiqueta à l’aide de sa tondeuse. À l’aube, on trouva le père pendu au-dessus d’un immonde ragoût de jumelles. Personne ne sait ce qu’il advint de l’instrument du crime.
Depuis ce jour, plusieurs Bélairois affirment avoir vu une tondeuse à gazon rouler toute seule la nuit, laissant sur son passage une coulée de sang. D’autres citoyens disent entendre régulièrement dans le lointain d’atroces hurlements mêlés à un bruit de moteur. Quant au mini-golf, il ferma. On vendit le terrain et les nouveaux propriétaires construisirent un club de danseuses. Le choix était discutable étant donné ce qui s’était produit là, mais la population se rallia vite derrière ce projet qui offrait aux jeunes femmes de Val-Bélair d’intéressantes perspectives d’emploi près de leur famille. Le bar devint prospère et on y venait de partout dans la région. Seule ombre au tableau: la musique était régulièrement interrompue par d’étranges interférences semblables au ronronnement d’une tondeuse. On changea le système de son plusieurs fois, rien n’y fit. Était-ce un avertissement? En 1991, une danseuse fut trouvée morte hachée menu dans le sous-sol du club. On ne trouva ni le meurtrier, ni l’arme. Rien de vraiment notable ne se serait produit depuis.
Le vendredi 13 octobre, 2h50
Nous avons planté nos tentes dans un parc. J’entends déjà Nguyen ronfler dans la sienne. C’est curieux, malgré l’heure, il y a quelqu’un dans les parages qui tond son gazon. Quels barbares.
Le vendredi 13 octobre, 18h30
Au matin, Nguyen n’était plus là. Il n’y avait que des taches rouges sur le sol. J’ai pensé que le Viet était retourné au Tim Horton. J’ai plié ma tente et suis parti le rejoindre. J’ai avancé le pied droit, puis le gauche, puis le droit, mais je restais toujours au même endroit. Je voyais mes pieds se poser l’un devant l’autre, rien à faire. Je demandais aux passants de me venir en aide, ils m’ignoraient et changeaient de trottoir. J’ai dû marcher pendant 12 ou 13 heures, je ne sais pas. Le soleil se couche, l’obscurité s’installe, je n’ai pas bougé.
Le samedi 14 octobre, 4h45
J’ai eu une vision d’enfer… Plus tôt, j’ai été réveillé par une tonitruante musique disco. J’ai dézippé l’entrée de la tente pour jeter un coup d’oeil à l’extérieur. J’ai vu… J’ai… Plusieurs femmes nues étaient là et dansaient avec des tondeuses à gazon. Et elles… Elles se frottaient avec délectation les seins, les fesses et les hanches avec de grosses poignées d’une bouillie sanglante. L’une d’elles s’est étendue sur l’herbe, à quelques pieds de moi. Une tondeuse s’est approchée. L’engin s’est cabré sur ses roues arrière. Je pouvais voir la rotation des lames. La machine s’est avancée davantage, les couteaux tournaient toujours, puis l’engin s’est abaissé sur le corps… J’ai fermé les yeux et entendu un cri. Je crois que je hurlais moi aussi. Je me suis évanoui. Je viens de reprendre mes sens. Tout est silencieux. J’ai peur.
Le samedi 15 octobre, 17h40
J’ai encore marché des heures sans avancer. J’ai crié à l’aide, demandé de la nourriture, les passants m’ont dit qu’il n’y avait pas de place pour les pouilleux à Val-Bélair. Un groupe de mères est venu manifester devant le parc pour exiger mon départ. Elles portaient des pancartes POUR UNE VILLE SANS DROGUE. J’ai eu beau faire la preuve de mon incapacité à avancer, à leurs yeux, ça ne prouvait que dans la vie, quand on prend de la drogue, on n’avance pas. J’ai faim. Je mangerais n’importe quoi.
Le samedi 16 octobre, 18h25
Je n’aurais pas dû écrire que je mangerais n’importe quoi, je viens de manger une volée de la part d’un père en colère. "On n’a pas besoin de pouilleux à Val-Bélair!" Il a essayé de me traîner de force hors du parc, mais il n’y arrivait pas. J’étais trop lourd, ou je ne sais pas… Je pense que j’ai le nez cassé. J’ai remonté ma tente pour la nuit.
Le samedi 16 octobre, 23h25
Les policiers m’ont laissé un répit. Ça fait deux heures qu’ils essaient de me sortir du parc. "Tu veux pas bouger, hein, mon hostie!" Ils pensent que je fais exprès de ne pas avancer et ils fessent. Je saigne. Je dois avoir le crâne brisé. J’ai mal.
Le dimanche 17 octobre, 00h45
Le disco m’a encore réveillé. J’ai glissé un oeil dehors… Nguyen était couché sur le dos, attaché et tout nu. Deux jeunes filles, des jumelles, tenaient une tondeuse en marche. Elles s’approchèrent, j’ai cru qu’elles allaient déposer l’engin sur les parties génitales de mon coéquipier… Elles s’arrêtèrent in extremis, laissant les couteaux tournoyer à peine quelques centimètres au-dessus du membre. Tout autour, d’autres femmes nues se dandinaient. Nguyen essayait de fermer les yeux sans y parvenir. Il fut vite dominé par le désir, son pénis se mit à gonfler et s’éleva vers les couteaux qui tournaient. J’ai fermé la porte de la tente juste à temps pour ne pas recevoir le hachis en pleine face… Je me suis évanoui… Je viens de reprendre mes sens. J’entends du bruit. Je crois que
Au retour des policiers, Claude Gendron a été trouvé mort dans sa tente. Les agents impliqués dans l’opération s’en sont tirés avec un blâme. Nguyen est toujours porté disparu. Les deux jeunes serveuses qui travaillaient chez Tim Horton la nuit du 12 au 13 octobre nient catégoriquement avoir rencontré les étudiants.