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Médias : Le petit blond chez le grand
Nathalie Collard
Photo : Roger Cantin
Jean Charest songerait-il à une carrière à la télévision? Le chef du Parti libéral du Québec figurait au générique de la première émission d’Infoman (vendredi, 19 h, Radio-Canada) et descendait jeudi soir dernier la mini-montagne russe de Marc Labrèche au Grand blond avec un show sournois (lundi au jeudi, 22 h 30, TVA). Fier du vote de confiance de son parti (95 % des membres du PLQ ont réitéré leur foi en leur chef. Normal: personne ne veut hériter de ce job ingrat), Johnny est allé causer avec Labrèche, le maître de l’inattendu. L’entrevue se déroulait bien (Charest affichait son air pogné habituel), on a évoqué le congrès, Michou et les enfants, lorsque Marc Labrèche a posé une question que je qualifierais de sournoise: "Monsieur Charest, vous suivez sans doute la campagne présidentielle américaine? Êtes-vous davantage Bush ou Gore?"
Charest, qui n’était visiblement pas sur ses gardes, a répondu candidement: "Je suis plutôt Bush…" Boum! En coulisses, son attachée de presse est tombée dans les pommes. Marc Labrèche, lui, essayait de replacer ses yeux dans leurs orbites. Il avait l’air à la fois estomaqué et triomphant (Ah! Ah! Je l’ai eu…) Il faut dire que la réponse de Jean Charest a de quoi surprendre: appuyer un sombre idiot qui adore la chaise électrique et qui ne connaît rien à la politique internationale, c’est une chose. Le clamer à la télévision, c’est, disons-le, plutôt maladroit.
Les électeurs retiendront-ils cet aveu contre lui?
Chaque année, on se questionne sur l’impact de la présence des politiciens dans les émissions de variétés. Les premières expériences québécoises (on pense à Kim Campbell chez Julie Snyder ou aux émissions politiques de MusiquePlus) avaient fait couler beaucoup d’encre. Le presse traditionnelle, un peu frustrée, digérait plus ou moins que de simples animateurs de télé (pour ne pas dire des clowns) aient un accès aussi privilégié aux politiciens. Pourtant, ces entrevues menées dans un contexte plus relax en disent souvent beaucoup sur l’être humain qui se cache derrière le politicien.
L’humour et le divertissement sont désormais indissociables de la politique. Aux États-Unis, le Centre for Media and Public Affairs paie un étudiant sept dollars de l’heure, une vingtaine d’heures par semaine, pour comptabiliser et classer les blagues sur chacun des candidats à la présidence américaine (les élections ont lieu le 7 novembre prochain).
On sait ainsi que depuis le début de la campagne, George W. Bush a été l’objet de 465 blagues contre 322 à l’endroit d’Al Gore. Ce qui n’empêche pas les candidats d’accepter toutes les invitations, en particulier celles de David Letterman et de Jay Leno.
La semaine dernière, Bush en était à sa deuxième visite au Late Show. La performance de Letterman a laissé la presse politique pantoise: selon le webzine Salon et le New York Times, Letterman a conduit une entrevue sans faille avec des questions directes sur la peine de mort, les politiques de Bush, son style de gestion, etc.
Pendant que les humoristes mènent des entrevues sérieuses, les médias d’information dits sérieux, eux, allègent leur contenu. Chaque semaine, Dan Rather, le chef d’antenne de CBS, anime une table ronde sur les blagues politiques de la semaine. Le New York Times, l’Associated Press, ainsi que le site politique Hotline publient eux aussi un répertoire des blagues en circulation, régulièrement mis à jour.
Comme le premier ministre Chrétien, lui-même objet de nombreuses blagues, vient de déclencher des élections, il faut s’attendre au même phénomène de ce côté-ci de la frontière. À surveiller, Les Petites Vites du grand blond (la revue de l’actualité de Marc Labrèche), Infoman et, surtout, This Hour Has 22 Minutes (qui en est à sa huitième saison), une satire mordante de l’actualité présentée le lundi soir à 20 heures sur CBC. Politicians, beware…
Le Roman d’un menteur
C’est le fait divers le plus incroyable du vingtième siècle. Jean-Claude Romand, un monsieur bien en vue dans sa communauté, un petit village français en bordure de la Suisse, est arrêté et soupçonné du meurtre de ses parents, de sa femme et de ses deux jeunes enfants. On découvre rapidement que cet homme admiré et respecté de tous est un fraudeur chronique. Pendant dix-huit ans, il a fait croire à son entourage qu’il était chercheur à l’Organisation Mondiale de la Santé, à Genève. En réalité, Romand (pourtant un élève brillant) n’avait jamais terminé ses études de médecine! Il n’avait même pas de boulot. Il passait ses journées dans son auto, et devait son train de vie de petit-bourgeois à l’argent qu’il extorquait à ses proches. Et le pire, c’est que personne, pas même sa femme et son meilleur ami, ne s’est jamais rendu compte de cette supercherie.
On soupçonne aussi Romand d’être à l’origine de plusieurs autres morts suspectes (des personnes âgées, pour la plupart), dont celle de son propre beau-père. Une seule personne s’en est tirée: sa maîtresse, qui lui avait confié une grosse somme d’argent. Elle a fait des pressions pour le récupérer, Romand a paniqué (il avait pratiquement tout dépensé) et, plutôt que de tout avouer, il a décidé d’éliminer tout le monde. Il prétend qu’il a voulu en finir lui aussi mais voilà, il s’est manqué.
Jean-Claude Romand a été condamné à la prison à perpétuité. Le romancier Emmanuel Carrère (La Classe de neige ) a écrit un excellent livre sur cette affaire, L’Adversaire, que Nicole Garcia portera bientôt à l’écran. En attendant, Télé-Québec présente ce reportage réalisé par France 2 et la télévision belge dans lequel témoignent la belle-mère et les beaux-frères de Romand. Le témoignage le plus fort demeure sans aucun doute celui de son meilleur ami dont la vie a complètement basculé à la suite de cette affaire. Essayez seulement d’imaginer ce qu’il a ressenti quand il a appris la vérité: ça donne le vertige. Le reportage est un peu linéaire et laisse certains détails de l’affaire en plan, mais l’histoire est tellement incroyable que ça vaut la peine d’être vu. Dimanche 29 octobre à 21 h 30. Télé-Québec.
Bob Morane chez les hackers
La nouvelle série Haute Surveillance va peut-être faire la joie des tripeux d’ordinateurs et des paranos mais, pour le commun des mortels, elle risque de ne pas vouloir dire grand-chose. Quant aux vrais amateurs de films ou de séries d’espionnage, ils risquent de trouver la toute nouvelle série de Radio-Canada très amatrice.
La prémisse de départ: nous vivons à une époque où la protection des renseignements personnels ne veut plus rien dire ; où tout le monde, des grandes entreprises aux gouvernements, sait ce que nous mangeons, lisons et avec qui nous couchons. Quand vous vous appelez madame Chose et que vous payez votre épicerie par Interac une fois par semaine, vous ne risquez pas grand-chose. Mais dans l’univers de Haute Surveillance, où l’on jongle avec des données hautement confidentielles qui peuvent mettre en danger la sécurité d’une nation, on ne s’intéresse pas à madame Chose. On parle plutôt d’un univers parallèle où les jeunes whizkids de l’informatique s’amusent à pénétrer dans les banques de données de la NASA, des institutions financières et des gouvernements. Là, on ne rit plus.
Haute Surveillance est un croisement entre Nikita, Bob Morane et un roman de Robert Ludlum. Il y a la poupoune de films d’action (air bête obligatoire, ça fait plus sérieux), le policier macho, et le petit jeune idéaliste qui rêve de faire sauter le système. Il y a des caméras partout; et quand les suspects ne veulent pas parler, on sort une seringue grosse comme ça (souvenez-vous de la méchante infirmière dans l’annonce des gâteaux Vachon: "On pique ou on pique pas?").
Bref, on s’emmerde un peu en regardant Haute Surveillance. Les dialogues sont simplistes et les personnages, plus superficiels que dans Diva. Mais la série (du moins, le premier épisode) vaut la peine d’être vue pour une chose: la réalisation de George Mihalka (qui porte également le titre de producteur créatif), une réalisation qui colle vraiment au sujet: des images tournées en 16 mm se mêlent aux images vidéo pour donner l’impression de regarder dans une caméra de surveillance. Les prises de vue sont originales et le générique est tout simplement superbe (avec musique de l’incontournable Michel Cusson). Un beau contenant pour un contenu décevant. Début mercredi 1er novembre à 21 heures. Radio-Canada.
Une enfance perdue
En terminant, un mot sur Rockdale County: une enfance perdue, un documentaire produit par l’équipe de Frontline (PBS). En 1996 (année des Olympiques), dans une banlieue cossue d’Atlanta, deux cents adolescents de douze à dix-sept ans sont frappés par une épidémie de syphilis. Laissés à eux-mêmes par des parents trop occupés pour s’intéresser à eux, ils organisent des orgies, se défoncent, se détruisent. Bref, ils essaient d’attirer l’attention de leurs parents – qui, de leur côté, blâment la télé et la société en général pour justifier le comportement de leurs enfants.
Un portrait assez brutal de la réalité qui se termine toutefois sur une note moralisatrice (les méchants jeunes se droguent; les bons prient Jésus et protègent leur virginité). Un sujet d’actualité puisqu’on s’interroge beaucoup ces jours-ci sur le peu de temps que nous consacrons à nos enfants. Dimanche 29 octobre, 20 h. Canal Vie.