

English First : Law 101
Martha Sandoval, une immigrante mexicaine vivant en Alabama, va, bien malgré elle, plonger les États-Unis dans une crise constitutionnelle et linguistique dont nous croyions être les seuls à avoir le secret.
Éric Grenier
Photo : Mathieu Bélanger
Martha Sandoval, une immigrante mexicaine vivant en Alabama, va, bien malgré elle, plonger les États-Unis dans une crise constitutionnelle et linguistique dont nous croyions être les seuls à avoir le secret.
Tout ce tohu-bohu juridico-politique parce que l’immigrante a échoué à son examen de conduite requis par l’État. Un examen offert en anglais seulement, comme le stipule la loi de la "langue officielle" de l’Alabama. On s’en doute, la Mexicaine d’origine aurait été plus à l’aise si l’examen avait été en espagnol. C’est le droit qu’elle réclame, et qu’elle a gagné à deux reprises devant les tribunaux.
Mais l’État de l’Alabama ne lâche pas le morceau si facilement, et en appelle maintenant au plus haut tribunal du pays. Ainsi, la Cour suprême des États-Unis devra établir dès janvier prochain si la "loi 101" de l’Alabama brime les droits de madame Sandoval.
"La cause passera à l’histoire, affirmait le procureur de l’État Bill Pryor, tel que rapporté par l’Associated Press en septembre. Elle balisera le droit du fédéral de s’immiscer dans les juridictions des États." Une rhétorique on ne peut plus connue des Canadiens.
"Ce sera notre Super Bowl", déclare pour sa part Jim Boulet Sr., président et directeur général d’English First, un organisme voué à la protection et à la promotion de l’anglais aux États-Unis. "Si l’Alabama gagne son appel, ce sera une chance de faire reconnaître l’anglais comme la langue de tous les Américains. Il est temps: l’anglais comme langue commune perd sans cesse du terrain."
Pardon me? L’anglais menacé aux USA? "En effet, répond Jim Boulet Sr., joint à ses bureaux en Virginie, dans la banlieue de Washington. Pour le moment, la situation n’est pas très grave, mais ça pourrait changer. Une loi imposée en août dernier par l’administration Clinton-Gore oblige les organisations recevant des subventions fédérales à offrir leurs services dans toutes les langues possibles et inimaginables. À notre avis, cette loi marque le début de la fin de l’anglais comme langue commune des Américains. Ça nous mène tout droit vers la balkanisation des États-Unis. C’est pour ça que la cause Sandoval est importante. Une victoire de l’État, et la loi de Clinton deviendrait ainsi inapplicable."
Chacun son ghetto
English First est l’un des plus importants mouvements populaires prônant l’unilinguisme anglais dans les affaires de l’État. Il compte plus de 150 000 membres. Avec le U.S. English, ils forment le lobby "anglophile" le plus important du pays. Au Congrès, au Sénat, dans les États, ces associations pourfendent le bilinguisme, le multilinguisme et l’enseignement bilingue (à ne pas confondre avec l’enseignement d’une langue seconde). "Nous n’avons rien contre l’enseignement d’une langue seconde, de dire Boulet Sr. Si c’est le voeu des parents."
En fait, English First dénonce surtout les services gouvernementaux offerts dans d’autres langues que l’anglais. Et aux États-Unis, les autres langues sont celles des immigrants. Il y en a plus de 300 parlées sur le territoire américain.
Mais English First se défend d’être anti-immigrants. Au contraire! Si l’organisme fait tout ce tapage, c’est, dit son chef, pour sauver des eaux troubles le Great American Melting Pot. "Le gouvernement fédéral se sert de l’argent des contribuables pour les diviser sur une base linguistique, les enfermer chacun dans leur ghetto linguistique. Nous croyons que c’est l’anglais qui nous unit. Par ses lois exigeant des services gouvernementaux offerts dans la langue désirée, Washington n’incite plus les immigrants à apprendre l’anglais."
Vive l’assimilation
English First a vu le jour en 1986, en pleine crise linguistique. À cette époque, plus d’une douzaine d’États étaient engagés dans des processus de reconnaissance de l’anglais comme langue officielle. Et comme au pays de la danse à Saint-Dilon, la langue est un sujet sensible. Elle fait appel aux notions d’identité, d’unité nationale, de droits collectifs, de droits de la personne.
Les débats ont été orageux, alimentés en grande partie par des organismes comme English First et, de l’autre côté de la barricade, English Plus Information Clearinghouse, un organisme favorable aux politiques multilingues.
English First encourage les États à adopter des lois promulguant l’anglais comme langue officielle. Au total, 23 l’ont fait, dont la Californie et la Floride. Le premier État à avoir officialisé l’usage de l’anglais est la très française Louisiane. C’était en… 1811!
Certaines lois n’ont qu’un caractère symbolique. Mais d’autres feraient baver d’envie les sympathisants de la Brigade d’autodéfense du français (BAF). En Arizona, par exemple, une loi adoptée en 1988 stipulait que l’anglais était la seule langue utilisée dans toutes les activités gouvernementales, incluant la justice, l’éducation, ainsi que dans les municipalités. Aucun document de l’État et de ses agences ne pouvait être diffusé dans une langue autre que l’anglais. Et l’État devait faire une promotion active de l’utilisation de l’anglais dans toutes les couches de la société. Mais les tribunaux américains ont ordonné l’abrogation de cette loi.
Paranos, ces anglos amerloques? Dans un excellent reportage sur l’avenir de l’anglais, la revue The Atlantic Monthly d’octobre en venait à la conclusion que l’anglais ne dominerait pas le monde, contrairement aux idées reçues sur le sujet. Vous croyez qu’Internet sera all Anglo-American? Forget it! L’anglais est devenu cette année la langue minoritaire sur la grande toile, dépassé par des dizaines de langues nationales. "Ceux qui croient que l’anglo-américain va dominer le monde demain prennent leurs désirs pour des réalités, dit Boulet Sr. L’anglais n’a pas la force d’attraction qu’on lui accorde."
C’est pour cette raison qu’English First croit que l’anglais doit être déclaré seule langue officielle partout aux États-Unis. L’attraction naturelle ne suffit plus. L’État doit inciter les nouveaux arrivants à parler anglais. Nos voisins du sud seraient-ils inspirés par le Québec? "La grande différence entre les lois linguistiques que nous prônons et celles du Québec, c’est que les nôtres visent à assimiler les nouveaux membres de notre société, alors que les vôtres visent plutôt à contrer l’assimilation de votre nation."
En terminant, monsieur Boulet, z’êtes pas parent avec Gerry, celui qui voyait avec les yeux du coeur? "I don’t think so, but my parents were French Canadians." Ben, coudonc.