

Falun Gong : Casse-tête chinois
En Chine, le mouvement spirituel Falun Gong a été interdit il y 15 mois. Des milliers de membres ont été arrêtés, peut-être torturés. Selon certains, le combat contre le mouvement s’internationaliserait. Des pratiquants de Montréal et de Québec affirment même être victimes de persécution…
Baptiste Ricard-Châtelain
Menaces, campagnes de diffamation, espionnage… Les adeptes canadiens du mouvement spirituel Falun Gong subiraient des pressions de la part des autorités chinoises.
"Nous ne pouvons être certains qu’il s’agit d’agents secrets. Mais lorsque nous pratiquons, nous voyons des gens prendre des photos." Yumin Yang habite Montréal. Il est ingénieur spécialisé en physique. Il soutient que même en notre contrée de libertés, ses camarades et lui sont victimes de la chasse engagée contre l’organisation Falun Long par le pouvoir chinois.
Pour appuyer ses dires, il détaille quelques autres événements. "Ma femme a reçu un appel provenant d’une femme disant téléphoner depuis Ottawa… Elle a dit: "Vous ne devriez pas pratiquer le Falun Gong. Vous ne devriez pas aller contre le gouvernement chinois."" Puis, elle aurait ajouté: "Vous vivrez avec les conséquences de ce que vous faites."
À une autre occasion, on a invité la communauté du Chinatown à se présenter à une discussion sur le Falun Gong, expose Yumin Yang. "Nous y sommes allés, mais nous n’avons pas été autorisés à entrer." Selon lui, on y a présenté une vidéo de propagande dépeignant, à l’aide d’histoires inventées de toutes pièces, le mouvement comme une secte nuisible et criminelle. On utiliserait également les journaux de langues chinoises, qui publieraient régulièrement des articles calomnieux provenant de l’ambassade de Chine.
Pourquoi tant d’efforts pour mater un mouvement spirituel? "Ils croient que les membres à l’étranger tentent de supporter les groupes en Chine afin qu’ils renversent le pouvoir", évalue Yumin Yang. Mais s’ils disaient vrai? Si le Falun Gong était véritablement une secte dangereuse? "Ce n’est absolument pas le cas, répond Yang. Le Falun Gong, c’est comme le taï chi. Il n’y a aucune règle stricte. C’est très différent d’une religion. Vous n’êtes pas obligé d’être membre pour le pratiquer."
La grande loi
Mais, on ne sait toujours pas exactement ce qu’est le Falun Gong, aussi appelé Falun Dafa, un terme que l’on peut traduire par "la roue de la grande loi"." On n’est pas une religion, réitère une adepte de Québec, la notaire Nicole Milot. C’est un système de croyance fondé sur la vérité, la tolérance et la compassion. Ce sont des valeurs morales qu’on se donne personnellement. On ne veut les imposer à personne." Le tout agrémenté d’une série de cinq exercices qui aideraient à améliorer la forme physique et mentale.
Contrairement à ses "amis", madame Milot ne subit aucune répression. Que ce soit chez elle, ou au pavillon Desjardins de l’Université Laval, elle n’a jamais été embêtée pendant qu’elle pratiquait.
Résidante d’Ottawa, Xun Li, qui est née dans une petite ville située à quelque 130 kilomètres de Beijing, dit qu’en Chine, les adhérents sont tout simplement emprisonnés. "Les autorités chinoises empruntent une voie différente pour nous attaquer ici." En plus de diffuser des articles et des vidéos, l’ambassade de Chine refuserait de renouveler les passeports ou d’octroyer des visas.
On tenterait également d’infiltrer le groupe. Xun Li se souvient d’un homme qui posait beaucoup de questions au sujet des responsables, de la structure. Elle aurait aussi remarqué la présence d’une même voiture à plusieurs occasions.
Mais la pire tentative de dénigrement, selon elle, a été orchestrée au cours de l’été. La semaine du 21 au 27 août avait été déclarée Semaine du Falun Dafa. De nombreux maires, députés et premiers ministres provinciaux auraient appuyé l’initiative. "L’ambassade chinoise a écrit une lettre à chacun d’eux, avance-t-elle. Ils ont demandé aux membres des parlements de ne pas soutenir nos activités."
Politique de persuasion
À l’ambassade d’Ottawa, le porte-parole dans le dossier et responsable de la division politique, Jin Zhenda, ne nie pas que les autorités investissent de grands efforts pour publier un maximum d’articles et présenter des films sur le sujet. "Nous devons expliquer la situation aux Canadiens afin qu’ils connaissent la vérité, lance-t-il. Le Falun Gong est contre l’humanisme, la science et le gouvernement."
Il ne nie pas non plus que de nombreux pratiquants soient arrêtés en Chine. \"Notre politique, c’est la persuasion", expose-t-il. Donc, on tenterait d’ouvrir les yeux aux adeptes et de les convaincre de quitter le mouvement. La méthode fonctionne-t-elle? Le pouvoir réussira-t-il à annihiler le Falun Gong? Terre à terre, monsieur Jin croit que non. Du moins, pas à l’échelle de la planète parce que les appuis seraient trop nombreux. Mais en Chine, les autorités seraient sur la "bonne" voie. Elles auraient persuadé bon nombre des quelque deux millions d’adeptes.
À la suite de notre premier entretien, monsieur Jin nous a transmis plusieurs documents expliquant le point de vue défendu par le gouvernement chinois. Dans ceux-ci, on peut lire que plus de 98 % des membres auraient quitté le mouvement. On y découvre aussi que le Falun Gong serait responsable de la mort de 1 600 personnes. Plusieurs autres auraient perdu la raison.
Dans un texte intitulé Pourquoi nous jugeons que le Falun Gong est un culte, on explique, entre autres, que les pratiquants subiraient des lavages de cerveaux et qu’ils seraient soumis à l’autorité du fondateur, Li Hongzhi. Ce dernier amasserait une petite fortune sur le dos de ses disciples.
L’ambassade invite donc les Canadiens qui seraient tentés par l’expérience et les politiciens qui pourraient soutenir le mouvement à voir clair et à ne pas se laisser berner par les "mots doux". Ainsi, "les relations cordiales et la coopération entre nos deux pays" pourront se développer adéquatement.
Jillian Ye, une pratiquante de Toronto, dément en bloc ces affirmations. "Tout l’enseignement du Falun Dafa est donné par des volontaires. Nous ne pouvons pas demander de l’argent pour les cours. De toute façon, nous n’avons besoin d’aucun argent. Et les membres ne sont pas tenus à quelque obligation…"
Certes, les adeptes publient une multitude de brochures, de publicités, de livres… Mais tout serait fait bénévolement, et chacun investirait de sa poche. Et les locaux utilisés? Ils seraient prêtés gracieusement.
Il est vrai que le fondateur, Li Hongzhi, a publié un livre et qu’il en retire des redevances. "C’est normal, c’est l’auteur", dit madame Ye. De plus, tous les documents écrits, sonores et vidéo seraient disponibles gratuitement sur Internet en dix langues. En passant, le Falun Gong serait un enseignement ancestral transmis d’un maître à un disciple depuis des générations. Li Hongzhi ne l’aurait que couché sur papier pour que tous puissent en récolter le fruit.
Quant aux allégations de calomnie en sol canadien, Jillian Ye ne peut que rappeler qu’ici, "nous sommes tous libres de décider par nous-mêmes de ce qui est bon ou mauvais".
Malgré cela, quelques questions subsistent dans l’esprit du directeur général d’Info-secte, Mike Kropveld. Avant tout, clarifions un point. Il n’est pas question ici d’une secte.
"Ils se présentent comme une organisation pas organisée." Mais, ils disposent de nombreux sites Web et de publications. Aussi, bien que la majorité se joigne au mouvement pour les exercices, qu’advient-il après? Y a-t-il un autre niveau d’implication? se demande monsieur Kropveld.
Là s’arrêtent ses doutes. Ensuite, il ne peut que constater que "dans un État non démocratique, quand vous êtes capable d’organiser beaucoup de monde, je suis certain que pour les représentants chinois, ça représente un danger".
D’ailleurs, la porte-parole d’Amnistie internationale, Anne Sainte-Marie, nous a envoyé un document dans lequel on écrit que "des milliers d’adeptes du mouvement spirituel Falun Gong ont été arbitrairement placés en détention et soumis à des pressions pour qu’ils renoncent à leurs convictions. Certains auraient été torturés ou maltraités".
Il faut toutefois faire attention. Le Falun Gong ne serait pas le seul groupe dont les membres sont arrêtés. Certains catholiques sont aussi des prisonniers d’opinion. En fait, selon madame Sainte-Marie, toutes les minorités risqueraient de subir le même traitement en Chine.