Les nouveaux indépendantistes : Bonnet bleu et blanc bonnet
Société

Les nouveaux indépendantistes : Bonnet bleu et blanc bonnet

À l’heure où l’option souverainiste semble endormie, pour ne pas dire comateuse – Gilles Duceppe et Lucien Bouchard s’obstinent même sur la pertinence de discutailler d’un éventuel référendum -, que les vieux "séparatistes" semblent frustrés et sombres, un bilan s’impose. Que sont devenus les militants? Et surtout, y a-t-il une relève engagée prête à se battre comme l’ont fait ses aînés? Instantané d’un mouvement  meurtri.

S’il y a un clan qui a laissé tomber les odes à la souveraineté, c’est bien celui des artistes. Pas vendeur? Ce constat est moribond. Une toute nouvelle race est en émergence…

Membre de Loco Locass, coqueluche naissante du hip-hop, Biz est on ne peut plus indépendantiste. Ça lui sort des pores de la peau. "La souveraineté, c’est le projet québécois qui nous mobilise et qui nous tient le plus à coeur."

Autant oublier tout de suite les discours sur la jeunesse décrochée et centrée sur son nombril. "Ce qu’on dit des jeunes, ce ne sont pas les jeunes qui le disent." Quand il monte sur scène avec ses comparses, Chafiik et Batlam, il ne peut que se réjouir d’entendre la marmaille québécoise réciter leurs paroles. Elle se les approprie. Biz adore ça. C’est d’ailleurs pour "ses enfants" qu’il lutte, qu’il tente de fonder un pays.

Cet engouement démontré par les jeunes, Biz aimerait qu’on l’alimente. Selon lui, il faut expliquer, détailler l’histoire du peuple québécois et les esprits s’ouvriront à une soif de liberté nationale. D’ailleurs, il nous récite, tel un livre, les dates marquantes de la conquête de 1760 jusqu’au référendum de 1995. Il a bien assimilé sa leçon. "Je tente d’éveiller les jeunes et les Québécois à la politique."

Le rappeur en convient toutefois. Les leaders indépendantistes ne sont pas l’apanage des benjamins de la société. Quand un Gilles Duceppe tasse un jeune candidat, l’image projetée est ambiguë. "Ce ne sont pas Duceppe et Bouchard qui vont la faire, la souveraineté… Donc, c’est au peuple de bouger", lance-t-il tel un appel à l’exaltation.

Alors, il y aura un autre référendum, selon lui? "Ce sont des cycles. Les après-référendums sont toujours pathétiques. Mais le projet n’est pas mort… Le Canada fait une erreur de penser qu’il l’est."

Même invitation à l’action pour le guitariste-auteur-compositeur des Cowboys Fringuants, Jean-François Pauzé. "Aujourd’hui, on s’est tous écrasé et on ne fait plus rien… J’aimerais ça qu’il y ait encore de grands soulèvements sociaux."

Mais, les Québécois, particulièrement les jeunes, ne souffrent-ils pas "d’écoeurite aiguë"? N’est-il pas temps de passer à autre chose? Piqué, M. Pauzé réplique. "C’est bon d’en reparler. Ça va conscientiser les gens… Il y a tellement rien qui se dit que je suis sûr que les jeunes ne savent probablement rien [par exemple] sur comment les Patriotes se sont fait fourrer par les Anglais. Il y a une grande carence au niveau de l’histoire."

Au fait. Pourquoi un jeune comme vous milite pour l’indépendance? "[Hors Québec], je ne sens pas que je suis chez moi. Je ne les haïs pas [entendre les Canadiens anglais], mais ce n’est pas mon pays à moi."

Vision partagée par les membres de Guérilla, né au lendemain de "l’échec" de 1995. Ils ont, entre autres, repris le texte d’un manifeste du FLQ dans une de leurs chansons. "Il faut que les gens s’intéressent à la politique… il faut être au courant pour donner nos opinions", philosophe le batteur, Normand Desrochers, qui a sa petite idée sur le comment désembourber le clan souverainiste.

Selon lui, on doit s’ouvrir les yeux, le combat a évolué, les mentalités ont changé. Les récentes générations ne vivraient plus avec les Anglos, les Indiens, les ethnies et les pure laine. "Le discours ne s’est jamais rajeuni… Les jeunes ne sont plus comme ça… Il faut inclure tous les Québécoises et les Québécois. Et ce n’est pas juste les francophones."

Radicaux libres
Presque tous l’admettent. Le Front de libération du Québec (FLQ) a commis de grandes, voire de graves erreurs et n’a pas aidé la cause indépendantiste. Alors pourquoi se définir en tant que milicien de la souveraineté en 2000… lorsqu’on a 21 ans?

"On pense qu’il est temps que le Québec se dote d’une force armée." Pierre-Luc Bégin est à l’aube de la majorité. Il n’y a pas de doute. Il veut la souveraineté coûte que coûte et dit être prêt à "aller jusqu’au bout". Pierre-Luc Bégin est président depuis trois ans et demi de la section de la capitale du Mouvement de libération nationale du Québec (MLNQ).

"On est des indépendantistes radicaux… Notre rôle n’est pas de promouvoir les scénarios harmonieux, même si on souhaite que l’indépendance se fasse de façon pacifique." Qu’est-ce que cela implique au jour le jour? "Faire des choses concrètes sur le terrain, pas seulement du verbiage à la PQ." Éduquer la masse sur l’histoire de la lutte souverainiste, sur le rôle de la violence dans le mouvement et former les appelés.

Formation. Le terme est lancé. Celui-ci invite à la digestion-assimilation du constat suivant: il serait nécessaire de défendre le territoire en cas d’invasion ennemie ou de partition. À qui s’adresse-t-elle, cette formation? Aux Québécois qui ne sont pas assez naïfs pour croire que la souveraineté va se faire selon un scénario idéaliste, explique M. Bégin. On parle donc, entre autres, de techniques de guérilla urbaine, de théorie de l’art militaire. Et les sujets abordés peuvent être très précis. Un exemple? L’armement utile.

Un des grands desseins du MLNQ est de bâtir une milice populaire. Notre interlocuteur insiste sur un point. Il n’y a rien d’illégal à posséder un camp de chasse. Dans le meilleur des mondes, selon lui, le PQ l’aurait financée. Mais, ses membres auraient trop peur. C’est d’ailleurs cette attitude qui a poussé M. Bégin à claquer la porte des grands partis politiques, lui qui a milité au sein du Bloc et du Parti québécois. "Je me suis vite rendu compte que ces gens ne sont pas totalement indépendantistes."

Pour éclairer un peu plus nos lanternes, nous avons contacté son mentor, le fondateur du MLNQ, l’ex-felquiste Raymond Villeneuve. L’homme est coloré. Très coloré. "Nous, on réplique au plan B… [Les Canadiens] nous menacent en permanence… face à ça, il y a les trouillards, la majorité, et il y a une minorité qui se tient debout. On dit à nos ennemis qu’il y a des Québécois qui sont prêts à se battre."

Puis il clarifie. Pour l’instant, le MLNQ attend un référendum. Mais s’il n’y en a pas: "On va la faire, notre souveraineté." Et vous pensez que les jeunes vont vous suivre? "Si on dit aux Québécois: "Vous allez rester dans la plus meilleure prison du monde", je pense que la jeunesse va dire: "On va s’en occuper, de l’indépendance"."

Déjà, le MLNQ pourrait compter sur environ 300 membres. C’est ce que prétend M. Villeneuve. En plus, des dizaines d’amis, de sympathisants resteraient dans l’ombre en attendant l’appel aux armes. Et les armes en question, selon lui, vont de la bombe au couteau de cuisine. "Tous les moyens sont bons."

Pas de panique
Ne partez pas en peur, a envie de crier le cinéaste Pierre Falardeau. "Je nous trouve assez angéliques au Québec… Je n’ai aucun problème avec quelque moyen que ce soit de faire l’indépendance." Attention! Pas d’apologie de la violence dans cette affirmation. Seulement une observation. Tous les peuples opprimés luttant pour leur émancipation sur la planète ont recours, à un moment ou l’autre, à la force. "Il n’y a rien d’extrémiste pour un peuple conquis… Pourquoi, si c’est normal pour les Lettons, ce ne le serait pas pour nous?"

"La violence, c’est de la politique par d’autres moyens", lance-t-il, paraphrasant un auteur dont le nom lui échappe.

Ce discours s’insère dans la ligne de pensée de M. Falardeau. "Il n’y a aucun groupe politique quel qu’il soit que je rejette, les jeunes péquistes, les vieux bloquistes, la Société Saint-Jean-Baptiste ou le MLNQ… Tous ceux qui se battent pour l’indépendance sont mes frères."

N’empêche qu’il se demande bien où s’en va le mouvement. "Tous les jours je suis déprimé, car ça n’avance pas… Depuis cinq ans, on n’a pas réussi à mettre un pied devant l’autre. On leur a juste laissé le terrain… Eux autres, ils font de la politique, eux autres, ils sont sérieux. Jean Chrétien, on a beau rire de lui, la machine en arrière de lui marche."

"[Mais,] ce n’est pas juste le PQ qui est responsable de ça… Si l’idée d’indépendance n’avance pas, nous en sommes tous responsables." Où sont les artistes, les intellectuels, les ménagères pour la souveraineté? clame-t-il.

Inévitablement on en arrive aux jeunes. "Il y a une criss de job de conscientisation à faire." Par exemple, poursuit-il, en Palestine, il y a un peuple qui se fait assassiner. "Les étudiants québécois sont où?"

Voilà le noeud du problème, selon lui. Sans une conscience politique, une formation, une certaine connaissance, il serait impossible de décoder ce qui se dit. En comprenant ce qui motive les luttes d’autres nations, on pourrait mieux concevoir celle du Québec. Alors, il y va de son interprétation: "C’est quoi, le Québec? C’est un pays qui a vécu sous le colonialisme britannique puis sous le néocolonialisme canadien."

La belle et les bêtes
Elle n’a que 20 ans, milite activement au sein de l’aile jeunesse du Parti québécois. Eux ont vu plusieurs printemps, militent depuis belle lurette dans une multitude de mouvements indépendantistes et se demandent bien où sont les jeunes. Le choc des générations…

Pascale Saint-Antoine est l’image même des jeunes qui nagent dans un idéal souverainiste jour après jour et dont la foi semble inébranlable. Première vice-présidente de la section de la capitale du Conseil national des jeunes du PQ, elle passe ses temps libres à promouvoir son rêve. Concurremment, elle étudie.

Ne lui dites surtout pas que son chef a délaissé la "mise en marché" de la souveraineté au profit de la gestion étatique. Encore moins que le président du PQ n’aborde la question une fois de temps en temps que pour alimenter la flamme des purs et durs. Elle est certaine du contraire. "S’il parlait juste de souveraineté, on dirait qu’il n’est pas bon administrateur", rétorque-t-elle vivement.

Ne lui dites pas plus que les jeunes ont d’autres chats à fouetter et que l’option est malade. Vous l’agacerez. "Ça, c’est faux!… Il y a beaucoup de gens qui viennent nous voir." Quand? Lorsqu’elle installe son stand dans les cégeps ou les universités par exemple.

Et si vous voulez poursuivre sur la lancée et vraiment la froisser, dites-lui que les jeunes ne semblent pas écoutés au sein du parti. M. Bouchard les rencontrerait tous les mois et les positions qu’ils défendent auraient un poids certain sur l’agenda gouvernemental ou lors des congrès.

Mais, après tant d’années d’efforts qui semblent infructueux, pourquoi militer pour un parti politique à 20 ans? "Ça, c’est une bonne question qu’on se pose souvent." Elle réfléchit. La réponse: parce que le Québec est capable de s’autogouverner, de se gérer. "La souveraineté du Québec, c’est un avancement à l’international", ajoute-t-elle.

Alors, si ce projet est bénéfique pour le Québec, pourquoi la population ne veut pas en entendre parler? "S’il y avait vraiment un goût de passer à autre chose, ce serait les libéraux qui seraient au pouvoir." À quand la prochaine consultation "gagnante"? "On va avoir la souveraineté quand les gens vont la vouloir et qu’ils vont la demander."

Oiseau rare
Mme Saint-Antoine a beau représenter un certain absolu du militantisme jeunesse, il n’en demeure pas moins qu’elle fait office d’oiseau rare, du moins, pour les vieux de la vieille. Certes, il n’y a pas que "des têtes blanches" dans l’essaim souverainiste mais la grisaille est omniprésente.

Dans la quarantaine, la présidente du Mouvement national des Québécoises et des Québécois, Louise Paquet se souvient avec nostalgie de son passage au cégep. La politique intéressait tout le monde. "Les temps ont changé, il n’y a pas de doute là-dessus. Il y a moins de politisation."

"C’est dur de mobiliser des gens en l’an 2000. Les temps ne sont pas à l’engagement social… Il y a des questions de survie qui deviennent prioritaires et qui accaparent une bonne partie de la population." D’autant plus que l’individualisme gagnerait en popularité.

Mais ce ne serait une raison pour commettre l’irréparable. "On prend trop les jeunes pour acquis. Je trouve que c’est un peu primaire. Je pense qu’il y a un effort à faire pour [les] rejoindre."

Hors PQ, le salut
Ancien membre du comité d’action stratégique du PQ dans la capitale et président intérimaire du Rassemblement pour l’indépendance du Québec, Marcel Lefebvre est d’avis, quant à lui, que le salut ne passe pas par le parti.

"Il faut arrêter de tout remettre entre les mains d’un parti politique." On aura compris que son passage au PQ ne l’a pas marqué favorablement. Son expérience lui aurait démontré que la gouverne de l’État ne laisse pas de place à la promotion de la souveraineté. De toute façon, que l’on soit jeune ou non, un constat s’imposerait, selon lui: le discours sur le partenariat mène à un cul-de-sac.

"Beaucoup nous traitent de purs et durs parce que nous sommes de vrais indépendantistes. Nous sommes beaucoup plus clairs dans nos démarches que, par exemple, le PQ… On pense que la seule façon de faire l’indépendance, ce n’est pas de rester au Canada."

Qu’est-ce qui lui déplaît tant dans l’attitude du gouvernement? La propension à demeurer sur la défensive. Toujours répliquer aux attaques, en instaurant des états généraux sur la langue par exemple, plutôt que de foncer.

Mme Saint-Antoine indique que le parti patiente jusqu’à ce que la population demande la souveraineté. Qu’en pense-t-il? Plus de 49 % de la population a voté oui en 1995. Des milliers de personnes. "Ces gens-là attendent le message du chef et le chef attend qu’ils se soulèvent!" Un cercle vicieux, selon lui.

Je me souviens
– Le récit de l’arrestation en octobre 1970 du couple formé d’Alonzo LeBlanc et Kristiana Kristiansen a fait l’objet d’un film primé à Cannes: Les Ordres.

Trente ans après que les militaires aient pointé des mitraillettes sur ses quatre jeunes filles et sa femme, M. LeBlanc est très amer. Historien, juriste devenu commissaire d’école, il se demande bien pourquoi on ne propage pas "notre véritable histoire" aux Québécois en devenir. "Tous ceux qui ont été arrêtés en ont souffert continuellement… Ce qui me blesse et me chagrine le plus, c’est que dans les écoles, on enseigne seulement la version anglaise… Le gouvernement ne comprend rien. En 14 ans de pouvoir, qu’a-t-il fait?"

Serge Mongeau aussi avait été arrêté. Huit jours de détention sans que sa femme ne soit avertie. Pour ne pas oublier, il a écrit un bouquin: Kidnappé par la police. Marqué, il vit maintenant sans journaux ni télévision. "Je me suis détaché de l’actualité spectacle au jour le jour." Il a fondé une petite maison d’édition et présente des conférences.

Croit-il à la ranimation des jeunes? Croit-il encore à la cause pour laquelle il s’est jadis battu? "Actuellement, il y a un réveil qui est en train de se faire." Rien de fulgurant selon lui, mais un mouvement de fond qui sera plus durable. M. Mongeau n’a pas perdu la foi en son ambition.

Réginald Chartrand, fondateur des Chevaliers de l’indépendance, également arrêté en 1970. Son mouvement est à l’agonie. Il ne dispose plus des fonds nécessaires et la relève se fait attendre. "Je trouve que les jeunes sont endormis." Néanmoins, il ne perd pas espoir. "Je trouve qu’on a bien fait de faire ça. Le peuple québécois a évolué beaucoup." Et sa quête d’indépendance? "On a commencé à 2-3 %. Aujourd’hui on est à 49,4 %. Tout ce qu’on a à faire, c’est de continuer et on va leur briser les reins!"