José Bové : Astérix contre les Romains
Société

José Bové : Astérix contre les Romains

Avec sa grosse moustache, le Français JOSÉ BOVÉ a la bouille d’Astérix. Un peu à l’image du héros de bande dessinée, il défend son village traditionnel et ses produits agricoles de qualité contre l’envahissement des méchants Romains et leurs mauvais aliments transgéniques. Entrevue avec un paysan militant devenu célèbre.

Nouvelle alerte à la Frankenbouffe. Selon l’Agence canadienne d’inspection des aliments, les Canadiens friands de tacos ont peut-être mangé du maïs génétiquement modifié qui n’était pas destiné à la consommation humaine. Au cours des dernières semaines, des tacos ont été rappelés d’urgence aux États-Unis parce qu’ils contenaient du maïs utilisé pour… nourrir les bêtes! Aïe, aïe, aïe…

Ces tacos étaient préparés par le géant de l’alimentation Kraft à l’intention de la chaîne d’établissements de restauration rapide Taco Bell. Les tacos contenaient une variété de maïs jaune appelée Starlink, modifiée afin de résister aux insectes nuisibles, mais destinée uniquement aux animaux. Ce maïs n’a jamais été voué à la consommation humaine, les autorités craignant qu’il puisse provoquer des réactions allergiques graves. La compagnie américaine est passée à un taco de la catastrophe. Comme quoi le contenu des assiettes n’offre plus aucune garantie.

"C’est vraiment inquiétant et frustrant! Si ces erreurs continuent, des morts seront bientôt à déplorer." Dans une salle de cours de l’UQAM, dimanche dernier, le célèbre paysan français José Bové s’insurge contre ce nouveau cas de "bidouillage alimentaire" devant une poignée d’auditeurs, déjà convaincus et conquis, tous réunis pour une rencontre-causerie informelle. Bon vivant au verbe facile, ce militant écologiste passe une main sur sa moustache rousse proéminente avant de continuer sur sa lancée: "Il y a des problématiques majeures dans l’alimentation actuellement: des boeufs dopés aux hormones, des poulets contaminés à la dioxine, des aliments bourrés de pesticides, la vache folle, les organismes génétiquement modifiés, etc. Le problème, c’est que nous pensions tous que la qualité alimentaire était un combat gagné depuis très longtemps. Ce n’est pas le cas. Maintenant, il faut cesser d’être insouciant."

Grâce à ses discours dénonciateurs qui sonnent l’alarme de la sécurité alimentaire, Bové est devenu une star. Ou plutôt une anti-star. Un événement marquant l’aura voulu ainsi. Parti en tracteur de sa maison du Larzac avec d’autres modestes éleveurs de brebis comme lui, Bové se rend à Millau, le 12 août 1999, pour perturber la construction d’un McDonald’s, marteaux et tournevis à l’appui. Il proteste ainsi contre la décision des autorités américaines d’imposer des taxes sur les fromages français (dont son très cher roquefort), mesure de rétorsion engagée après le refus de l’Union européenne d’ouvrir ses marchés à la viande de boeuf aux hormones américaine.

Pour ce geste d’"éclat", José Bové est emprisonné pendant trois semaines avec quatre complices de la Confédération paysanne, un groupe de défense agricole. "C’est la criminalisation du mouvement social", crache-t-il alors. Une simple photo, où il apparaît les bras levés et les mains menottées, consacre sa célébrité mondiale. Le 13 septembre dernier, Bové a finalement été condamné à trois mois de prison ferme pour le démontage du restaurant. Il a décidé d’interjeter la décision en appel. "Il n’est pas question que je lâche, souligne-t-il. L’action contre McDo, la mondialisation à tout-va et l’insécurité alimentaire, c’est pour moi comme la prise de la Bastille."

À l’image des événements de 1789, l’affaire Bové secoue le pays, puis le monde. José ceci, José cela. José par-ci, José par-là. Le paysan se retrouve sur toutes les tribunes, et même à la une du New York Times. "José, le Berger rouge du Larzac", le surnomme Le Monde. C’est en lui que la lutte antimondialisation trouve à la fois un porte-parole infatigable et un interlocuteur crédible. À tel point que Bové livre son message jusque dans les rues de Seattle pour manifester contre l’Organisation mondiale du commerce ("des crapules", selon lui). En compagnie de son ami François Dufour, son discours est maintenant traduit dans un nouveau recueil d’entretiens intitulé Le monde n’est pas une marchandise: des paysans contre la malbouffe (La Découverte), Et pour couronner tout cela, il entreprend une tournée mondiale qui l’a conduit en Turquie et, cette semaine, à Montréal.

Rats de laboratoire
José Bové ne lutte pas égoïstement pour le règne du fromage traditionnel, ni pour les intérêts des agriculteurs, ni même pour ceux de ses 550 brebis. Il s’en prend globalement à la malbouffe, une expression qu’il a lui-même inventée… après avoir rejeté "bouffe de merde" par souci de politesse. "Ce mot vise à dénoncer l’alimentation standardisée sous des cellophanes, l’agriculture industrielle, les aliments produits à la chaîne ou en laboratoire, affirme-t-il. À travers le concept de la malbouffe, j’accuse l’agrobusiness qui entraîne dans la pauvreté des paysans et qui ne pense qu’en termes de productivité, sans se soucier de la qualité. Il faut remettre en cause ce productivisme, qui force les agriculteurs à utiliser des pesticides et des insecticides dangereux pour l’environnement."

Au banc des accusés se retrouve au premier plan la prolifération des OGM, "l’une des plus grandes expérimentations jamais réalisées sur l’homme", comme le dit José Bové. "Au Brésil, on a relevé une augmentation des allergies au soja avec l’augmentation de la part de soja transgénique dans l’alimentation, déplore-t-il dans son livre. Dernière inquiétude en date: des rats de laboratoire ayant mangé des pommes de terre transgéniques souffrent de problèmes immunitaires graves." Devant ces constats, Bové s’inquiète. "Quand on pense que des aliments disponibles sur le marché sont faits à partir d’OGM, sans tests préalables, il faut se demander si l’on prend les êtres humains pour des rats de labo."

Malgré ses inquiétudes, et celles d’une partie de la communauté internationale, la production d’OGM va bon train. "Il nous faut convaincre le consommateur que cela est bon pour lui", aimait bien répéter Hendrick Verfaillie lorsqu’il était à la tête de Monsanto, le géant américain producteur d’OGM. En septembre dernier, José Bové a justement participé à Bangalore, en Inde, à une manifestation pour dénoncer les actions des multinationales telles que Monsanto. "L’industrie agroalimentaire veut s’installer dans des pays où les coûts sont moins grands et les règlements, moins attentifs à la protection sociale, note-t-il. Elle exploite les richesses d’un pays, les exporte et laisse crever tout un pan de la population mondiale."

Vachement fou
L’Europe tremble devant la saga de la vache folle. Jamais un steak n’aura soulevé autant d’émoi et de colère. Sévère à l’égard de la Grande-Bretagne, José Bové accuse l’usage massif et irréfléchi des farines animales. "Depuis longtemps, les risques étaient connus, les études montraient qu’il fallait cuire les farines pour qu’il n’y ait aucun risque. Mais pour être toujours plus compétitif [les farines animales sont beaucoup moins chères que le soja], on n’a pas respecté les normes et nous voyons où cela nous a menés: l’épidémie d’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) et sa transmission, mal élucidée, à l’homme." Car pour lui, "la vache folle est responsable de plusieurs maladies qui ont été transmises à l’homme, comme possiblement la maladie de Creutzfeldt-Jacob".

Et ce n’est pas tout. Bové cloue également au pilori l’agrobusiness pour l’usage des hormones de croissance, ces cas de dopage animal "dignes des plus minables Jeux olympiques", selon lui. "L’exemple de la somatotropine bovine (BST) est très intéressant, souligne-t-il dans son bouquin. Monsanto […] a investi des sommes considérables pour mettre au point une hormone permettant d’augmenter jusqu’à 20 ou 25% la production lactée d’une vache sans lui donner davantage de nourriture. Cette pratique entraîne des risques de déséquilibres et de carences dans le lait."

Si José Bové rejette bien souvent la faute des maux alimentaires sur les multinationales et la mondialisation, il refuse de condamner systématiquement le commerce international. Il désire même profondément l’existence de l’OMC, l’Organisation mondiale… de la citoyenneté! "Il faut créer un organisme international pour imposer de véritables règles alimentaires aux multinationales, tout en respectant les droits humains, explique-t-il. Il faut aussi mettre en oeuvre un dépistage sanitaire pour bien s’assurer de la qualité des aliments qu’elles produisent. C’est nécessaire."

Liens:

Le procès de José Bové vu par un fermier américain (texte en anglais, avec liens)

Pure Food organisme défendant la nourriture organique

La Confédération paysanne

Texte sur José Bové paru dans le Time Magazine

L’arrestation de José Bové (ABC News)

Appuis à José Bové

Liste exhaustive de liens concernant José Bové

Discours de José Bové

Long entretien avec Bové

Dossier hyper complet sur les OGM (Libé)

La bataille de la mondialisation: MacDo contre Roquefort (Libé)