Société

La semaine des 4 jeudis : Le chantage

Parti en pleine gloire, parti il y a deux mois, Pierre Trudeau, dépositaire d’une vision idéaliste du Canada, fit tellement recette le jour de ses funérailles que les stratèges du Parti libéral ont parié que ce deuil durerait deux mois.

Et, forts de ce saint martyr sacrifié au centre de l’arène politique, encouragés par les atermoiements de quelques sénateurs, convertis en pèlerins d’Émaüs, nos libéraux sont partis tels des Jésuites reconquérir une nation en perpétuelle crise d’identité.

Exorcisons ce mal nationaliste qui est en nous, disent-ils; Stockwell Day, le Bloc, le NPD, Joe Clark, tous ces revendicateurs d’autonomie provinciale veulent détruire le pays. Rien de moins. De John A. Macdonald à Jean Chrétien, le Parti libéral s’affiche dépositaire des tables de la loi. Hors du parti point de patrie.

Car la croisade libérale est pseudo-mystique. Au centre de cette allégorie, le fantôme chevaleresque du fédéralisme centralisateur valse avec sa superbe épouse dans les couloirs du parlement. Comme dans les poèmes amers de Lorca, il embaume négligemment la trahison et le sang.

Dans quatre jours, vampirisé par ses disciples, Pierre Elliott Trudeau remportera, à titre posthume, son cinquième et dernier mandat.

Mais qu’est-ce que ce pays où ses héritiers peuvent pousser le cynisme et l’opportunisme jusqu’à l’extrême?

Pas besoin d’enquête, pas besoin de comité d’éthique.

Nul besoin de commission sur les subventions et le financement partisan pour accumuler les preuves de crimes contre la… moralité, perpétrés dans les dernières semaines par le gouvernement sortant: ce Parti libéral du Canada qui fait preuve d’un mépris souverain envers les citoyens en multipliant les tentatives de chantage.

Chantage à l’emploi.

Quelques mois après son premier mandat, le gouvernement libéral décide de restreindre l’accès aux prestations d’assurance-emploi afin d’économiser quelques milliards. La mesure a des incidences catastrophiques sur les travailleurs saisonniers employés dans les industries de transformation. Les libéraux laissent ainsi les pêcheurs canadiens crever de faim pendant six ans.

Battu à plate couture en 97 dans les provinces de l’Est, le duo Martin-Chrétien se promet cette année de reprendre les Maritimes. Peu avant le déclenchement des élections, Chrétien s’en va là-bas tête basse proposer une modification opportuniste aux lois du travail. La mesure attendue reste évidemment en suspens durant la période électorale.

Déclaration de Jean Chrétien à Halifax: "Des modifications à l’assurance-emploi seront adoptées lorsque nous aurons été élus."

Chantage…

Chantage municipal.

Profitant de l’hystérie des petits despotes de banlieue qui confondent le champ de bataille avec le champ des compétences, les libéraux fédéraux transportent le bruyant conflit des fusions municipales sur la scène fédérale en tentant de faire porter le poids de cette réforme audacieuse sur l’ensemble du mouvement souverainiste. Délégué en éclaireur vers la capitale, Pierre Pettigrew, dans un vibrant appel à "défaire cet ennemi qui sépare les familles", infantilise les Québécois et s’égare dans la socio-linguistique en assimilant la proche banlieue locale à un "Québec profond". Il a pourtant presque raison. Il faut avoir l’esprit franchement creux et l’inconscient particulièrement profond pour reléguer l’idéal national au niveau d’un chèque ou d’un nom de village…

Délibérément vagues quant aux mesures qu’ils prendraient pour contrer les fusions, les fédés passent la puck à Jean Charest qui, se cherchant toujours une assistance, tire dans son propre filet en promettant de révoquer la loi. On retiendra pour l’anecdote qu’au vu de la campagne antifusion, un conseiller municipal éclairé de l’Ancienne-Lorette soupçonnera les maires de banlieue de faire indirectement la promotion du Parti libéral. Il pose la question: les 200 000 $ engloutis par sa municipalité seront-ils comptabilisés à titre de dépenses électorales fédérales? Belle économie de campagne… Quand l’immobilisme et le statu quo sont de votre côté, tout est possible…

Chantage.

Chantage à l’impôt.

Au Canada, 1 340 000 enfants vivent sous le seuil de la pauvreté. Dans l’Ouest, la prostitution juvénile augmente au même rythme que le nombre de jeunes sans-abri.

Avec les Desmarais, Martin et Gagliano dans les parages, les libéraux de Jean Chrétien sont plus tentés d’organiser de somptueux soupers cinq services au bénéfice du parti, plus enclins à faciliter l’accès des amis aux subventions qu’à se soucier de quantités négligeables qui ne votent pas. Et c’est sans surprise qu’en période électorale les libéraux en dérive se donnent des apparences de social-démocratie, abandonnant un moment le grand capital au profit de la petite bourgeoisie à 40 000 $. Les pauvres resteront aussi pauvres, les démunis aussi démunis, qu’importe, offrir de larges diminutions d’impôt rapportera toujours plus de votes qu’une subvention discrétionnaire à Lauberivière. Les larges mailles du filet social libéral perpétuent la misère.

Chantage.

Chantage encore.

Comment souscrire à cet opportunisme délirant? Y croiriez-vous rien qu’une minute, lundi prochain?