

Journée mondiale du sida : Une bombe à retardement
Depuis 1995, le nombre de décès causés par le sida au Québec a chuté radicalement. Dans l’actualité, la maladie n’est plus un sujet aussi chaud qu’avant. Mais le sida pourrait bien être une bombe à retardement…
Daphné Bédard
Photo : Paul Bordeleau
"Il n’y a presque plus personne qui a le sida au Québec", lance Mario Fréchette, coordonnateur général chez MIELS-Québec (Mouvement d’information et d’entraide dans la lutte contre le sida). Depuis l’apparition de la trithérapie, il y a cinq ans, le nombre de sidéens est à la baisse. Mais après une période de latence, le sida pourrait bien reprendre le dessus. Car ce traitement, qui prend la forme d’un cocktail de 20 pilules par jour, ne guérit pas la maladie. Il ne fait que retarder le moment où le sida se développe. "Quand je suis arrivé chez MIELS, il y a six ans, c’était la fin de la crise, de la situation dramatique du nombre de décès, se rappelle le coordonnateur. La trithérapie a eu un impact important, radical. Dans une période de deux ou trois ans, le taux de décès a baissé de façon spectaculaire."
Selon un rapport du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec publié récemment, le taux de mortalité associé au sida avait augmenté chaque année avant 1995, alors qu’entre 1995 et 1996, il diminuait de près de 29 %, et de 47 % l’année suivante. Au 30 juin 2000, 5678 personnes avaient le sida au Québec. Montréal demeure la région la plus touchée avec près de 77 % des cas. Suivent Québec et Laval. Au Canada, après l’Ontario, le Québec est la province où il y a le plus de sidéens.
La baisse du nombre de cas de sida ne serait toutefois pas reliée à une diminution du nombre de porteurs du virus. Au Québec, le nombre de séropositifs est difficile à déterminer puisque, contrairement au sida, cette infection n’est pas une maladie à déclaration obligatoire. Le même rapport nous apprend, tout de même, que près de 14 000 adultes vivant au Québec étaient infectés par le VIH à la fin de 1996. En plus d’atteindre les hommes homosexuels, qui restent la majorité des cas, l’infection s’étend de plus en plus chez les hétérosexuels, les femmes et les toxicomanes qui utilisent des seringues. "Depuis trois ou quatre ans, chez MIELS, on voit une hausse importante du nombre de séropositifs, constate Mario Fréchette. Les hommes sont encore les plus touchés, représentant environ 80 % des personnes qui nous consultent. Et le nombre de femmes, après avoir connu une hausse, plafonne depuis un an ou deux."
Nouvelle réalité
Avec un taux de décès moins dramatique, le sida est un peu tombé dans l’oubli. Selon le coordonnateur, banaliser la maladie a un effet pervers. "Tout le monde pense que le problème est réglé. Mais il est loin de l’être. Il y a toujours des personnes qui contractent le virus et qui sont malades."
Une des difficultés en ce moment est que de nombreuses personnes infectées par le VIH sont confrontées aux limites de la trithérapie. On découvre de plus en plus de cas de résistance à son action et ses effets secondaires (nausées, engourdissements, hausse du niveau de cholestérol) sont importants. "On a vécu une période de grâce, admet Mario Fréchette. Aujourd’hui, c’est le brouillard. Les traitements ne font plus effet sur certaines personnes. On vit une stagnation et même un recul."
De plus, après avoir pratiquement écarté la menace de mort à court terme, les séropositifs veulent à présent retrouver une vie active, retourner au travail ou aux études. "Jusqu’à maintenant, à moins d’être touché dans sa famille ou dans ses proches, on ne se sentait pas concerné par le VIH, fait remarquer le coordonnateur. Maintenant que les personnes porteuses sont vivantes, il faut se questionner sur leur place dans la société et sur leur qualité de vie. Le sida n’est plus une réalité homogène. Les séropositifs vivent plus longtemps et ça crée de nouveaux besoins, plus complexes. Ils doivent faire face aux problèmes sociaux, à la pauvreté et à l’isolement."
Car malgré toute l’information qui circule sur la maladie, les séropositifs se heurtent toujours à des préjugés. "Il y en a encore et c’est tannant, avoue Donald Briand, porteur du VIH depuis 20 ans. Les gens ne parlent pas, mais leur regard en dit beaucoup. Certains sont méchants. Il est vrai qu’ils sont plus ouverts qu’avant, mais il reste encore du travail à faire." Donald Briand, aujourd’hui au début de la cinquantaine, a appris sa séropositivité à sa famille il y a seulement quatre ans. "Je ne savais pas comment leur dire et j’avais peur de leur réaction, se souvient-il. Moi, quand je l’ai su, ça m’a évidemment donné un choc. J’ai vécu deux ou trois ans de révolte. À un moment donné, je me suis ouvert les yeux et j’ai décidé de faire ma vie avec. Ma famille a aussi eu un coup. Après une petite période de silence, mes proches l’ont finalement accepté. J’ai été surpris. Ça m’a rapproché d’eux." La peur de la réaction des autres mais aussi une certaine honte, freinent les séropositifs à parler de leur état. "Ils ne veulent surtout pas que leur maladie prenne toute la place et qu’on ne les voit que comme des personnes séropositives", précise Mario Fréchette. Bénévole chez MIELS depuis cinq ans et conférencier à ses heures auprès d’adolescents, Donald Briand dit avec un brin de fierté n’avoir jamais pris de médicaments et se sentir "en pleine forme". Comme plusieurs séropositifs, il vit dans l’attente de la découverte d’un vaccin. "Il est certain qu’ils espèrent un vaccin thérapeutique, puisque le vaccin préventif ne sera pas découvert demain matin, souligne Mario Fréchette. Mais leur premier réflexe est de ne pas s’accrocher à des rêves. Ils vivent le moment présent. Ils doivent développer un sens critique face aux miracles, aux nouvelles découvertes et à tout ce qu’on trouve dans Internet. Ils sont immunisés contre les trucs qu’on leur fait miroiter."
Quand on se compare…
Au Canada, entre 45 000 et 53 000 personnes sont atteintes du virus, selon Santé Canada. Dans le monde, chaque minute, six jeunes de moins de 25 ans sont infectés. Plus de 34 millions d’individus vivaient avec le VIH/sida en 1999. Sur ce nombre, 5,4 millions étaient nouvellement infectés et 2,8 millions en sont morts. Depuis le début de l’épidémie, près de 19 millions de personnes ont été victimes du sida. L’Afrique subsaharienne occupe encore le haut du pavé du nombre de cas de VIH/sida. Actuellement, 71 % des porteurs du virus y habitent. Les progrès de la science accroissent encore plus l’écart entre les pays riches et les pays pauvres, qui n’ont pas les moyens de se payer les nouveaux traitements. L’information déficiente serait aussi en cause.
À preuve, lors de la 13e Conférence internationale sur le sida, qui se tenait en juillet dernier, à Durban, en Afrique du Sud, le président sud-africain, Thabo Mbeki avait même remis en question le lien entre le sida et le VIH, pourtant identifié depuis 1984. À en croire les "révisionnistes", d’autres facteurs telles la pauvreté, la malnutrition et les maladies tropicales mèneraient à des déficiences immunitaires comparables à celles du sida. À la suite des propos de Mbeki, plus de 5000 médecins des quatre coins du globe ont signé la Déclaration de Durban pour remettre les pendules à l’heure et pour réaffirmer le lien bien réel entre le virus et la maladie. On peut y lire: "L’évidence de la causalité entre le VIH et le sida est nette et sans équivoque." Les paroles de Mbeki ne surprennent guère Mario Fréchette. "Cette théorie revient de façon récurrente. C’est pourtant clair que le lien entre le VIH et le sida existe." La clé de la solution reste toujours l’information et la prévention.
La Journée mondiale du sida a lieu le 1er décembre. Le thème cette année: le rôle des hommes dans la lutte contre le sida (AIDS: Men make a difference).