Sortez jupons et noeuds papillon, et cirez-moi ça, ces belles chaussures-là! On va danser le mambo ce soir, sur la musique du Louise Harel Ballroom Orchestra.
Un, deux, trois pas en avant. Quatre, cinq, six pas en arrière. Et à gauche, et à droite.
La ministre des Affaires municipales commence à faire des pas de danse pour atténuer la grogne. Elle dilue déjà son projet de loi sur les fusions municipales. La grande révolution, appréhendée ou souhaitée selon le cas, n’aura donc pas lieu. Pas tout à fait. Il y aura certes une grande réforme, mais pas de révolution. Déjà, les premiers amendements au projet de loi 170 apparaissent, et ils ne seront pas les derniers.
La ministre envisagerait d’ajouter une clause pour interdire aux conseils municipaux des nouvelles villes de réduire les pouvoirs des arrondissements. Par exemple, le conseil municipal de Montréal ne pourrait enlever au futur arrondissement de Westmount la gestion de sa spectaculaire bibliothèque.
Appelons ça, un dispositif anti-Bourque. Car, on le sait, le maire Bourque a passablement écorché les pouvoirs intermédiaires depuis son arrivée à la tête de la Ville: ceux de l’opposition et des comités de consultation publique, notamment. Le risque de récidive, avec les arrondissements où son pouvoir ne serait pas absolu, existe.
Des fissures sont également apparues quant à la question du partage des dettes. Les résidants de l’ancien Montréal doivent-ils être les seuls à supporter la dette de la Ville? La ministre avait déjà commencé à répondre non, avant de reculer, puis d’avancer à nouveau. En fait, sur cette partie particulièrement sensible du débat, on ne sait plus où loge la ministre Harel. On sent qu’elle cherche une sortie élégante, une façon de permettre à la chèvre et au chou de prospérer dans le respect de l’intégrité physique de l’un et de l’autre. Ce n’est pas chose faite.
Bref, pour le moment, Louise Harel ne dilue son projet qu’à petites gouttes. Mais ce ne sont peut-être que des hors d’oeuvre, pour inciter les maires de la banlieue à participer activement à "l’amélioration" du projet de loi. Autrement dit, pour qu’ils se commettent: s’ils participent, s’ils soumettent des propositions par la suite adoptées en commission parlementaire, leur opposition aux fusions en sera d’autant délayée.
L’insistante invitation de la ministre des Affaires municipales aux maires de la banlieue pour qu’ils participent à la commission parlementaire laissait déjà entrevoir un certain recul du gouvernement. Un recul stratégique.
C’est souvent le cas avec les projets de loi. Ils représentent parfois l’opinion du gouvernement, d’autres fois, ils ne sont qu’une position de négociation.
Le gouvernement menace de vous priver de souper, dans le but de vous priver seulement de dessert, et que vous trouviez ça juste. Bref, à la demande des maires de la banlieue, la réforme municipale pourrait épargner les identités et les services locaux. Louise Harel semble déjà prête au compromis. Aux maires d’en tirer profit.
Cachotteries
Il y a de ces conversions que la science n’arrive pas à éclaircir. Un peu comme celle de Guy Bertrand, qui, l’espace d’une longue nuit, est passé de redoutable guerrier de l’indépendance à gladiateur au service du fédéralisme canadien.
Il n’y a pas de raison pour expliquer pareil revirement. Ou au contraire, il y en a plein, et elles se valent toutes. Dans le cas de Guy Bertrand, certains ont évoqué la maladie mentale. J’opte plutôt pour le rapt extraterrestre.
Dans le cas de Lucien Bouchard, il ne sculpte peut-être pas de montagnes dans ses patates pilées, mais quand même: comment expliquer, autrement que par un phénomène paranormal, son virage à 180 degrés au sujet des fusions de l’île? Comment est-il passé du refus catégorique de choisir le modèle d’une île-une ville, pour, six mois plus tard, l’adopter sans hésitation?
En réfléchissant en silence, le gouvernement s’est considérablement compliqué la tâche. Devant une si soudaine et spectaculaire volte-face, les citoyens concernés ne peuvent qu’être soupçonneux. En jouant les cachottiers, le gouvernement a raté une occasion d’expliquer, avant que la fureur n’éclate, pourquoi il fallait cette réforme, quels étaient ses buts et ses attentes. Car ce n’est pas tout d’annoncer que la Terre est ronde, encore faut-il en faire la démonstration.
Aujourd’hui, le gouvernement en est réduit à s’expliquer par la publicité dans les journaux, une façon de procéder aux allures trop propagandistes, qui suscite plus la méfiance que la compréhension.
Résultat, beaucoup de Québécois ne savent pas pourquoi il y a cette réforme. Ils cherchent l’"agenda caché". Certains évoquent le spectre de l’anglophobie. Bouchard serait pour la fusion, afin de punir les anglos d’avoir voté Non au référendum en 95. L’hypothèse s’est même retrouvée lundi dernier à la une du Boston Globe, le grand quotidien de la ville qui sert de modèle tant aux péquistes qu’aux libéraux. Fort heureusement, le maire de Westmount, Peter Trent, farouche opposant aux fusions et digne représentant de la communauté anglophone, l’a formellement rejetée devant le journaliste américain.
Mais le débat sur l’équité et la démocratie n’a pas lieu. Il est enterré sous les huées des mécontents.