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Debout! : Heidi Rathjen, 33 ans
Vous trouvez que le monde ne tourne pas rond? Participez à son redressement! Toutes les deux semaines, afin de vous inspirer, nous vous présentons un activiste qui remue ciel et terre pour changer les choses et améliorer la vie.
Tommy Chouinard
Photo : Benoit Aquin
vice-présidente de la Coalition pour le contrôle des armes à feu
Sa cause: le contrôle des armes
Ces jours-ci, le mois de décembre fait frissonner bien des gens. Heidi Rathjen la première. Mais pas pour les mêmes raisons que tout le monde. Elle frissonne plutôt devant le souvenir du 6 décembre 1989, triste jour de la tuerie de l’École polytechnique.
Étudiante à l’époque, elle avait frôlé la mort de près. C’est à partir de ce moment qu’Heidi Rathjen a endossé l’habit de militante. Elle a mis de côté sa carrière d’ingénieure et créé, en compagnie de collaborateurs, la Coalition pour le contrôle des armes à feu, afin de resserrer les règles régissant la possession de fusils… et empêcher que se reproduise un drame sanglant.
Sa lutte fait rapidement les manchettes. En décembre 1995, la vice-présidente du groupe savoure une importante victoire. À la suite de pressions exercées sur le gouvernement, ce dernier adopte le projet de loi C-68: une nouvelle législation qui restreint la possession d’armes et oblige l’entreposage sécuritaire de même que l’enregistrement de celles-ci. "Tous les propriétaires auront leur permis de port d’armes d’ici le 31 décembre, affirme-t-elle fièrement. Puis, toutes les armes devront être enregistrées d’ici 2003. C’est la prochaine grande étape."
Cette année, Heidi Rathjen et son équipe ont réalisé un autre gain. L’Alberta et quatre autres provinces contestaient la nouvelle loi sur le contrôle des armes à feu, arguant qu’elle était inconstitutionnelle. En juin dernier, la Cour suprême a plutôt décrété le bien-fondé de la législation. "La loi est là pour rester", note la militante.
Le combat est-il gagné pour autant? "Pas du tout, répond-elle. Le lobby des armes ne lâchera jamais. Pour l’instant, il se cache derrière l’Alliance canadienne qui a promis d’abolir la loi." La machine contre laquelle se bat Heidi Rathjen est d’ailleurs puissante. Très puissante. Le lobby des armes, la National Firearm Association en tête, représente une industrie de un milliard de dollars au pays.
Pourtant, David a finalement pris le dessus sur Goliath. "Ça n’a pas été facile, parce qu’affronter un lobby quand on est un groupe de citoyens, ce n’est pas simple, admet-elle. Nous avons toutefois défendu le bien-être collectif, contre l’intérêt personnel et égoïste du lobby des armes. Le bon sens a gagné. Et militer, c’est ça: persévérer, malgré l’adversaire qu’il y a devant toi."
Sa vision du militantisme
Avant les événements de décembre 1989, Heidi Rathjen n’avait rien d’une militante. "C’est cet événement qui m’a poussée à le devenir", souligne-t-elle. L’expérience s’est donc acquise sur le tas. "Au début, je ne savais pas ce qu’était un projet de loi. J’étais déconnectée de la vie publique. Mais aujourd’hui, je dis à tous et à toutes: ça s’apprend! Au début, on fait des erreurs. Puis, on se reprend."
C’est à coups de statistiques et d’arguments factuels que Heidi Rathjen a décidé de se battre. Non seulement les chiffres sont-ils nécessaires pour défendre solidement une position, croit-elle, mais ils le sont également pour convaincre les gens. "Si tu n’as rien pour prouver aux citoyens que ton point de vue est le meilleur, c’est presque inutile de te battre. D’ailleurs, je crois beaucoup à la valeur d’un groupe bien structuré grâce à un plan de match et à des objectifs précis. Il existe aussi une panoplie de moyens pour faire valoir son opinion: inviter des experts, faire des communiqués, rassembler des gens pour une manifestation. Aussi, l’apport des médias est-il important, car les politiciens regardent beaucoup les journaux et s’en inspirent pour faire leur programme."
Alors que certains groupes de militants préfèrent bouder le jeu politique, Heidi Rathjen a plutôt décidé d’en apprendre les règles. "Selon moi, on n’a pas le choix de convaincre le gouvernement pour faire avancer une cause, affirme-t-elle. Il faut donc jouer le jeu politique. Ce qui ne veut pas dire devenir des valets et des partisans politiques! Il s’agit plutôt d’attaquer le gouvernement quand il le faut et le forcer à bouger sur une question. Après tout, chialer dans son coin n’a jamais servi à quoi que ce soit."
De plus, Heidi Rathjen a en horreur le défaitisme qui fait dire à plusieurs: "Bof, ça ne sert à rien!" "L’apathie des gens est souvent grave, se désole-t-elle. Combien de fois faudra-t-il répéter que tout geste revêt une importance? D’après ce que certains politiciens m’ont dit, une lettre envoyée par un citoyen à un député équivaut à l’opinion de trois cents citoyens, car ce geste est rarement posé. Il faut donc convaincre les gens d’écrire, de manifester, de se lever debout, quoi. Tout ça sert à quelque chose. Nous en sommes la preuve."
Heidi Rathjen maîtrise si bien l’art du militantisme qu’elle a transporté, l’année dernière, son histoire dans un livre (6 décembre: de la tragédie à l’espoir, Éditions Libre Expression). Aujourd’hui, elle exporte son expérience par le biais de conférences, ici et ailleurs dans le monde. "Il faut montrer aux gens que ce n’est pas impossible de militer et de gagner une bataille. Personne n’a besoin d’un doctorat en sciences politiques! Il faut juste avoir la foi en ce qu’on croit, et défendre son opinion jusqu’au bout."
La Coalition pour le contrôle des armes à feu: 598-5533