Médias : La méthode Frankenstein
Société

Médias : La méthode Frankenstein

On a beaucoup parlé de la surspécialisation des médias. Eh bien, en voici un exemple flagrant: Cosmetic Surgery Magazine, une publication britannique qui vient de faire son apparition sur les tablettes des kiosques à journaux. Comme son nom l’indique, CSM traite de chirurgie plastique. Et uniquement de cela. Pendant 122 pages!

De la perte des cheveux jusqu’aux broches, en passant par la réduction mammaire, la liposuccion et les traitements veineux, ce magazine s’intéresse au moindre recoin du corps des femmes. En éditorial, on explique qu’en Angleterre, au moins 100 000 femmes souhaiteraient changer quelque chose à leur apparence. On ne dit cependant pas d’où vient ce chiffre.

La lecture de ce magazine est tout simplement déprimante. Même Naomi Campbell n’en sortirait pas intacte: cuisses, seins, fesses, visage, on refait tout. Il ne manque que la chirurgie esthétique du gros orteil! Et on ne parle même pas des reconstructions du vagin (de plus en plus populaires aux États-Unis). On doit garder ça pour le deuxième numéro…

On ne traite pas seulement de chirurgies majeures dans CSM. On suggère également une foule de petites chirurgies d’un jour (quick-fix) qu’on peut aisément s’offrir "pour être à son meilleur pour le temps des Fêtes": injections au Botox (pour effacer le petit pli soucieux entre les sourcils), maquillage semi-permanent, remplissage de l’espace entre les dents, peeling à l’acide – c’est l’esprit Frankenstein dans toute son horreur.

Les publicités du magazine sont à l’avenant: cliniques privées, traitements au laser, solutions anticellulite (avec des photos à faire frémir n’importe quelle femme); on a définitivement quitté le domaine plutôt inoffensif de la beauté. L’amélioration de l’apparence extérieure relève ici du domaine médical. On laisse les pinces à sourcils et on sort le scalpel…

On se questionne beaucoup sur le clonage par les temps qui courent, mais à regarder ce magazine, on se dit qu’il existe déjà. Si l’on se fie aux publicités, les femmes qui sortent des bureaux des chirurgiens plastiques arborent toutes la même paire de seins sortis du même moule, et elles ont toutes reçu la même quantité de collagène dans la lèvre supérieure (le look Emmanuelle Béart). Il ne manque plus que la signature ou le copyright du médecin, en bas à gauche du nombril. Pourquoi pas?

Le magazine se vend 10,99 $, à peine moins cher qu’une petite séance d’électrolyse…

TVA: le départ de Daniel Lamarre
Il y avait quelque chose d’indécent (je dirais même de violent) à voir Daniel Lamarre, tout sourire, annoncer en conférence de presse qu’il quittait la présidence de TVA pour joindre l’équipe "fantastique, extraordinaire, géniale…" du Cirque du Soleil. Je dis indécent parce que monsieur Lamarre n’a même pas attendu que le choc soit absorbé par les employés de TVA pour se montrer devant les caméras, vêtu d’une veste arborant un logo gros comme ça du Cirque du Soleil.

De la part d’un homme qui connaît l’importance de l’image et des symboles, voilà l’équivalent d’une gifle pour "la belle grande famille TVA" et pour ses employés.

Une chose est évidente: dans le merveilleux monde des affaires, à l’heure des fusions et des méga-transactions, il n’y a plus de fidélité et encore moins de période de transition.

Ce matin, mon coeur bat pour TVA; cet après-midi, je donnerais ma vie pour le Cirque du Soleil. Demain? Demain est un autre jour…

En entrevue chez René Homier-Roy mardi matin (et en conférence de presse la veille), Daniel Lamarre a répété la même chose: "Je réalise un rêve. Ma décision n’est pas du tout liée à l’arrivée d’un nouvel actionnaire." Comment le croire?

Il est vrai qu’à titre de dirigeant et nouvel actionnaire du Cirque, Daniel Lamarre a tout intérêt à entretenir de bonnes relations avec TVA (et Quebecor Média), puisque les deux entreprises doivent coproduire des émissions de télévision. Émissions qui bénéficieront peut-être de crédits d’impôt au même titre que celles produites par les indépendants (dixit le reportage de Sophie Langlois au Téléjournal lundi soir dernier). Le cabinet de Bernard Landry doit annoncer ses couleurs à ce sujet bientôt. Pour reprendre les paroles d’une publicité de peinture Sico: "Le vois-tu, comme c’est beau?…"

Pour justifier son départ (que plusieurs qualifient d’abandon), monsieur Lamarre a déclaré que c’était le côté international de l’aventure qui l’avait tenté au Cirque du Soleil.

Or, dans les pages économiques de La Presse du 15 septembre dernier, on pouvait lire qu’au lendemain de la transaction qui a fait passer Vidéotron (et TVA) dans le giron de Quebecor, "Daniel Lamarre flottait sur un nuage".

"Vous avez devant vous un type extrêmement heureux, lançait-il devant les membres du conseil des directeurs médias du Québec. Avec Quebecor Média, on va avoir une chance extraordinaire, un levier pour aller à l’international. C’était un rêve depuis trois ans. Maintenant, ça va se faire à un rythme exponentiel."

On ne connaîtra jamais les véritables raisons du départ de Daniel Lamarre (dans les milieux d’affaires, la langue de bois atteint des raffinements extrêmes); mais gageons que les employés de TVA se souviendront longtemps de la manière dont ce départ leur a été annoncé.

Il sera intéressant de voir l’évolution de cette entreprise au cours des prochains mois. Ses dirigeants-clés (André Provencher, Marc Blondeau) ont quitté le navire, on se demande maintenant si tous ces chambardements vont se voir à l’écran. N’ajustez pas votre appareil…

La radio de Radio-Canada
Un mot sur les récents résultats BBM concernant l’écoute de la radio. Voilà une belle occasion de parler de l’excellente programmation de la Première chaîne de Radio-Canada, une programmation plus solide et plus cohérente que jamais.

"Les chiffres indiquent une stabilité avec des pointes intéressantes, notamment le matin, où l’émission C’est bien meilleur le matin occupe le troisième rang dans le marché montréalais", souligne, modeste, Sylvain Lafrance, vice-président de la radio française de Radio-Canada.

Au top 10 des émissions les plus écoutées, on retrouve en première position C’est bien meilleur le matin, suivi des Radiojournaux de la semaine, de Samedi et rien d’autre et Pourquoi pas dimanche? (les deux émissions matinales du week-end animées par Joël Le Bigot) et, en cinquième position, Indicatif Présent. Le magazine animé par Marie-France Bazzo a subi quelques changements cette année (ajout d’une heure, reportages, ajout de chroniqueurs) et le résultat satisfait la direction. "Cette émission répond parfaitement à l’idée qu’on se fait d’une émission généraliste dans le cadre d’une radio publique." On pourrait ajouter que le rythme de l’émission ne s’en est pas trouvé perturbé, au contraire. L’émission demeure un rendez-vous incontournable.

En neuvième position (exaequo avec Dimanche Magazine), on retrouve l’excellent Sans frontières. Cette émission est devenue aussi indispensable dans ma journée que la lecture des journaux le matin. Voilà une émission d’actualité qui réussit à faire un tour d’horizon des grands événements internationaux de la journée sans tourner les coins ronds. Il faut souligner le travail des recherchistes qui réussissent toujours à trouver LE bon spécialiste, l’observateur privilégié qui viendra nous vulgariser une situation complexe. Sans compter les petits exploits, comme cette entrevue avec un journaliste français en direct de Nice qui s’entretenait avec Michel Desautels tout en étant poursuivi par des policiers anti-émeutes. De la grande radio.

Au-delà des chiffres, le vice-président de la radio française note certains phénomènes sur lesquels il faudra peut-être se pencher plus sérieusement, comme la désertion des auditeurs âgés de 65 ans et plus. Sylvain Lafrance parle de l’effet Jasmin (Michel Jasmin anime une émission d’entrevues sur les ondes de TVA le midi) qui les attire beaucoup.

Monsieur Lafrance remarque également que la radio d’information et de contenu est une espèce en voie de disparition. À Montréal, par exemple, les chiffres montrent que la grande majorité des gens écoutent des émissions de retour à la maison presque entièrement musicales!

Un phénomène qui nous fait d’autant plus apprécier la radio de Radio-Canada, il va sans dire.

Jean Leloup
Après bien des crises et des remaniements, Radio-Canada présente enfin Les Aventures d’Herbert au pays de Kunderwald, un conte signé Jean Leloup qui fait beaucoup jaser depuis deux ans. Radio-Canada trouvait entre autres qu’il y avait trop de scènes de suicide. L’émission a donc été amputée de 30 minutes. À quoi ça ressemble? À jeun, c’est assez déroutant. Une sorte de fable sur l’ère des communications où les gens ne se parlent plus, où la télé a remplacé les rapports humains et où le voyeurisme est devenu une véritable religion. C’est ponctué des chansons du dernier album de Leloup (toujours aussi bon) et certains effets de réalisation (je pense entre autres aux fondus psychédéliques) sont assez audacieux. Présentée dans le cadre d’une série vouée à l’expérimentation télévisuelle, cette production surréaliste aurait peut-être trouvé son sens, mais garrochée comme ça un samedi soir, une semaine avant Noël, c’est un peu n’importe quoi. À découvrir tout de même, samedi 16 décembre à 22 h 30, à Radio-Canada.