Syndicats.com
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Une Porsche Boxter flambant neuve à l’embauche, des parkings pleins de BMW, d’Audi et de Mercedes; des primes sous forme d’actions; des tables de billard et de massage; des entraîneurs personnels dans un gymnase intérieur haut de gamme; sushis bars et cappucinos; terrains de tennis et terrains de golf… Si l’on se fie à l’image que veulent bien nous donner les entreprises de la nouvelle économie, les employés du high-tech vivent dans une sorte de paradis du travail. La société des loisirs, c’est au bureau qu’ils la construisent. La nouvelle économie, c’est une révolution dans le monde du travail, la construction d’un capitalisme coopératif (on vous donne des actions) et zen (on prend soin de votre corps et de votre esprit). Et tout le monde qui se met à rêver…

Mais les magazines de design ont beau nous montrer sur papier glacé les supers lofts de la nouvelle économie, l’image de ces entreprises commence à pâlir. On dirait même que le jeu des miroirs s’est fracassé. Avec les titres boursiers de la nouvelle économie en pleine dégringolade, les employés découvrent une tout autre réalité. Déjà, il y a plusieurs mois, la grogne quant aux heures de travail démesurées (on n’installe pas un jacuzzi pour que les employés travaillent moins, mais pour qu’ils restent plus longtemps au boulot) avait fait son petit bonhomme de chemin. Aujourd’hui, avec les nombreuses mises à pied et des actions qui ne valent plus rien, voilà qu’ils viennent de comprendre à quoi peuvent servir les syndicats.

Ceux qui croyaient que la nouvelle économie demandait un nouveau type de défense des droits des travailleurs (on a même tenté l’expérience des syndicats virtuels, et les employés d’Ubi Soft, entre autres, en ont été les tristes cobayes il y a deux ans) peuvent aller se rhabiller: les bons vieux syndicats, avec force pancartes et appels à la "so-so-solidarité", sont maintenant appelés à la rescousse des techno-travailleurs.

Le réveil aura ainsi été brutal la semaine dernière pour l’américaine E-Town.com et son important site de commerce électronique, lorsqu’elle reçut une demande de syndicalisation en bonne et due forme de la part de ses employés du service à la clientèle de San Francisco. Mais la réponse des patrons d’E-Town.com fut cinglante, déboulonnant du même coup tous les mythes sur le "bonheur du travail dans la nouvelle économie": quelques jours plus tard, E-Town montrait la porte à 127 de ses employés (22 % de son personnel), coupant par le fait même près de la moitié des postes au service à la clientèle.

Amazon.com, symbole ultime du commerce électronique, n’est pas en reste puisqu’un bon nombre de ses employés tentent depuis quelques semaines déjà de former un syndicat. Et ce sont des travailleurs oeuvrant dans des entrepôts, chargeant et déchargeant toutes les marchandises commandées "d’un simple clic" sur Internet. C’est drôle, mais on découvre que la nouvelle économie, c’est aussi un bon lot d’ouvriers, loin des somptueux lofts, travaillant avec leurs bras dans des usines et des entrepôts. Bien sûr, ils ont aussi droit aux actions; mais pour obtenir la sécurité d’emploi, ils n’ont trouvé que les syndicats pour les défendre.

Fuckedcompany.com
Novembre 2000, on le comprendra, s’est transformé en Black November. Et certains ont choisi le cynisme pour révéler au grand jour les inepties des spéculateurs boursiers et des conditions de travail dans ce "nouveau monde". Avec fuckedcompany.com, Philip J. Kaplan, que nous avons joint dans ses bureaux de Manhattan, a fondé un site Web complètement loufoque, mais ô combien révélateur. Fuckedcompany.com se présente comme le grenier des mauvaises nouvelles du high-tech: fermetures d’entreprises, mises à pied et dégringolades boursières, le site les affiche toutes, sans exceptions. Le tout est alimenté par des lecteurs, des employés techno pour la plupart, mais aussi des spéculateurs boursiers et des agents d’immeubles qui pourraient profiter de la fermeture de certaines entreprises.

"Il ne s’agit pas de se concentrer sur les mauvaises nouvelles, mais plutôt de montrer ce qui ne va pas dans cette industrie, explique en entrevue Philip J. Kaplan, qui utilise le surnom de Pud sur fuckedcompany.com. L’idée, ce n’est pas de rire de compagnies en difficulté (bon, d’accord, on rigole bien sur le dos des fondateurs et des spéculateurs), mais il s’agit surtout de défendre mes gens, ceux qui travaillent aux opérations, ces travailleurs qu’on exploite puis qu’on met à pied du jour au lendemain sans hésitation."

Bien plus qu’un site de nouvelles, il s’agit d’un jeu bien orchestré où vous obtenez des points chaque fois que vous prédisez correctement quelles seront les prochaines entreprises à faire faillite ou à licencier du personnel. Une sorte de Bourse à l’envers, où vous pariez sur les pires entreprises de la nouvelle économie.

"La situation boursière des titres de la nouvelle économie ne va qu’empirer, dit Kaplan. Nous allons assister à un véritable bain de sang au courant du premier quart de 2001." Voilà de quoi alimenter son site Web, et réjouir ses membres de plus en plus nombreux!