Société

Rassemblement pour une alternative progressiste : C’est parti!

MICHEL CHARTRAND et ses amis avaient créé un mouvement de revendication sociale. Les membres voulaient plus de force. Depuis peu, le Rassemblement pour une alternative progressiste (RAP) est un parti politique. Un simple joueur de plus dans l’univers de la gauche souverainiste? Une menace pour les partis traditionnels? Qui est-il? Que veut-il? Où va-t-il?

"J’ai mal à mon peuple… On est gravement arriéré. Le gouvernement régresse au Québec… Ça fait 60 ans que je regarde [les politiciens] faire. Je les ai assez vus."

Toujours aussi coloré, le syndicaliste Michel Chartrand rêve déjà de quelques sièges pour le RAP à l’Assemblée nationale. Mais, à 84 ans, il ne veut surtout pas sauter d’étapes. "Je ne suis pas pressé, j’ai un plan de 20 ans!"

Pourquoi les électeurs porteraient attention à une nouvelle formation politique? "Le RAP, il va parler des vrais problèmes… Le rôle du gouvernement, c’est de permettre à chaque individu de venir à sa grandeur." Évidemment, M. Chartrand ne croit pas que c’est ce que font les élus du Parti québécois, du Parti libéral et de l’Action démocratique.

"Dans quel pays on est câlisse… On est cul par-dessus tête partout au Québec." Il fait une envolée sur les thèmes chers au RAP, soulignant au passage qu’il est temps pour les "sans-voix" de se réveiller. Paraphrasant l’auteur Georges Burdeau: "Il ne s’agit pas de surveiller le pouvoir mais de l’exercer."

Celui qui s’est frotté au premier ministre Lucien Bouchard dans Jonquière aux dernières élections discourt beaucoup du système d’éducation et de la pauvreté. "Je me bats pour un revenu de citoyenneté au-dessus du seuil de pauvreté… Les enseignants me disent partout: "Chartrand, il y a des enfants qui ont faim ici.""

Pendant que les intervenants s’obstinent sur la forme que doit prendre le nouveau bulletin scolaire, déplore-t-il également, on abolit les postes de psychologue dans les écoles. "On ne parle pas de former des citoyens."

La santé et la vieillesse sont en outre à l’agenda. Les centres hospitaliers de soins de longue durée pour les personnes âgées, "c’est pire que dans les hospices". Et les hôpitaux qui accumulent les déficits? Que le gouvernement aille chercher les fonds là où ils sont, vitupère M. Chartrand. "Les entreprises, elles en manquent pas, d’argent."

Citant une étude de l’économiste de l’UQAM Léo-Paul Lauzon, il révèle qu’une vingtaine des plus importantes compagnies du Québec ont reporté pour 11 milliards de dollars d’impôt en 1999. Des noms? Bell, Alcan, Canadien National, Seagram… "Quarante pour cent des compagnies les plus riches au Canada n’ont pas payé d’impôt", amplifie-t-il.

Bien réchauffé, M. Chartrand attaque tout aussi vertement les syndicats. Du moins, certaines de leurs actions. "Ici, le gouvernement matraque les infirmières, les camionneurs… La FTQ couche avec quand même. Ce n’est pas tout. Au Sommet du Québec, les grandes centrales ont dit oui au déficit zéro. Mais, quand vient le temps de promouvoir la pauvreté zéro, point de sorties publiques", regrette-t-il.

Assaisonnez le tout d’un idéal indépendantiste et vous avez une bonne idée de la tangente que prendra le RAP.

Diviser le vote
Mais, avec un projet de société social-démocrate, on peut se demander si le nouveau parti ne viendra pas diviser le vote de la gauche souverainiste au profit du PLQ. "Parle-moi pas de diviser le vote. Voter pour le moins pire, ça ne vaut pas la peine; c’est être complice de leur turpitude… Le PQ et le Parti libéral, c’est une paire de fesses, et l’ADQ, c’est le centre de ça." M. Chartrand ne mâche vraiment pas ses mots.

Nouvellement élu au Comité national de coordination et membre de l’exécutif de Québec – Chaudière-Appalaches, Denys Duchêne est beaucoup plus pondéré. Il cogne néanmoins sur le même clou. Selon lui, si désintéressement il y a au PQ, les dirigeants du parti n’ont qu’eux à blâmer. "Le RAP est un parti de gauche davantage que la social-démocratie. C’est plus ce que le Parti québécois faisait il y a 20 ans. Ça n’a plus rien à voir avec la social-démocratie, le PQ, c’est un parti de droite comme les libéraux et l’ADQ."

M. Duchêne rappelle qu’aux dernières élections provinciales, le taux d’abstention a franchit les 20 %. "C’est gens-là, il faut les représenter." Il pense ici aux démunis, aux travailleurs à faible et moyen revenu, aux femmes, aux petits commerçants, etc.

"Il faut donner un coup de barre quelque part… Il faut leur redonner le goût du politique, car, en ce moment, il y a une désaffection, poursuit la porte-parole du RAP, Jacqueline Hekpazo. C’est le PQ lui-même qui a divisé la population par ses politiques."

De plus, au dire de Mme Hekpazo, le projet indépendantiste du RAP se différencie grandement de celui du gouvernement actuel et de son frère fédéral. "Nos politiques sociales sont au coeur des luttes… La souveraineté est un outil supplémentaire dans la réalisation de ces politiques-là." Pour le PQ et le Bloc québécois, ce serait: "La souveraineté d’abord, on verra après."

Vision féminine
Autre grande distinction: l’omniprésence de la gent féminine. En mai prochain, le RAP se réunira en congrès spécial afin d’élire un chef, ou plutôt une chef. Parce que les dés sont pipés. Les membres l’ont déjà décidé, une femme les présidera. Des noms de candidates potentielles? Mme Hekpazo ne s’avance pas trop. Elle indique tout de même que le mandat de la présidente de la Fédération des femmes du Québec, Françoise David, prendra fin en mai ou juin. Disons que la porte lui est ouverte.

Et les postulants dans les comtés? "Nous voulons promouvoir l’émergence d’une nouvelle voix politique." On pense à des personnalités du milieu communautaire et social. Les coordonnateurs du Front commun des personnes assistées sociales du Québec et du Front d’action populaire en réaménagement urbain, Jean-Yves Desgagnés et François Saillant, par exemple, feraient d’excellents candidats, expose la porte-parole.

Mais l’un des fondateurs du RAP aux cotées de M. Chartrand, Paul Cliche, ne veut pas attendre avant de tâter le pouls de l’électorat. Au début de l’année, il y aura des élections partielles dans Mercier, une forteresse péquiste. Voilà un bon test, selon lui. D’ailleurs, l’ancien journaliste-syndicaliste-conseiller municipal, qui vient de publier un bouquin sur le vote proportionnel, ne rechignerait pas si on lui offrait la bataille.

Une seule condition toutefois. Tous les mouvements de gauche devraient s’unir sous la bannière du RAP sinon se diviser la carte électorale. "Il faut s’en aller vers une alliance ou une coalition où les partis vont s’entendre pour ne pas présenter des candidats dans les mêmes comtés." Sans quoi, point de salut puisque notre mode de scrutin est "majoritaire". C’est, du moins, l’avis de M. Cliche.

Pas de panique
Au Parti québécois, on affirme ne pas avoir peur du nouvel ennemi. "Je ne me sens pas menacée par ce parti-là", lance la première vice-présidente, Marie Malavoy. Les idéaux défendus par le RAP n’auraient pas un potentiel de ralliement assez important pour le mener au pouvoir.

Peut-être. Mais est-ce que la grogne qui semble émaner de la base du PQ ne pourrait pas lui profiter? "La grogne? Actuellement, je ne sens pas ça… Je crois que chez nous, les militants savent une chose malgré tout: c’est que pour faire la souveraineté, il faut être au pouvoir."

"Le Parti québécois est un parti au pouvoir, un parti qui doit vivre avec une certaine distance entre ce qu’il peut faire en tant que gouvernement et ce que le programme prône comme idéal… Je n’ai pas honte de ce que le Parti québécois fait, mais je sais bien qu’au sein du parti on voudrait plus", admet pourtant Mme Malavoy, ajoutant que "les militants ne sont pas insatisfaits de tout… Le Parti québécois n’est pas parfait, mais il fait malgré tout des choses bien".

Puis, en politicienne d’expérience, elle assure que le RAP est un ami. "Je veux surtout voir le RAP comme un allié possible vers l’accession à la souveraineté."

Un allié éventuel qui pourrait brouiller les cartes? Mme Malavoy a perdu par 900 votes en 1998. Elle croit que les "gens de la gauche" auraient pu la mener au pouvoir. Encore une fois, elle fait attention à ce qu’elle dit: "C’est à moi de convaincre les gens de mettre leurs oeufs dans mon panier."

Quoi? Souverainiste?
Quant au Parti libéral, nous avons appris au directeur général, Joël Gauthier, que le RAP est indépendantiste. "C’est la première fois que j’en entends parler."

Puis, il nous explique que le nouveau parti pourrait se retrouver sur le même terrain philosophique que le PLQ. "Au plan idéologique, c’est évident que pour nous, c’est quelque chose qu’il faut surveiller… Nous, on est un parti de centre… ils jouent dans nos plates-bandes."

Là s’arrêtent ses craintes. Si craintes il y a. M. Gauthier ressort les résultats des dernières élections. Parti de la démocratie socialiste, Bloc pot, Parti marxiste-léniniste et Parti communiste confondus, on obtient un peu moins de 1 % de la faveur populaire.

Le Parti libéral, s’il est élu, leur permettra malgré cela d’accéder à l’Assemblée nationale, promet M. Gauthier. "Le vote proportionnel, nous, on le prône… il faut trouver un mécanisme pour permettre à ces partis-là d’être dans l’enceinte et d’avoir voix au chapitre." C’est vrai, le PLQ va réformer le mode de scrutin? Notre interlocuteur prétend qu’il y a consensus sur la question.