Droit de cité : À vos rames
Société

Droit de cité : À vos rames

La dernière fois, la chose avait débuté en mai, six mois avant son dénouement. La suivre sur une aussi longue période équivalait à participer à un triathlon du moral qui aurait consisté à subir en même temps: Maniwaki par un lundi soir de février, la série complète des entrevues de Denise Bombardier, et une rétrospective du cinéma yougoslave sous Tito.

Cette fois-ci, elle lève l’ancre aujourd’hui. Nous sommes le mardi 9 janvier et Pierre Bourque lance sa barque électorale ce matin.

Non, la croisière ne s’amusera pas. Imaginez: 294 jours à se faire monter des bateaux, à débattre des sacs à ordures, à visiter des miséreux. La galère.

Le temps des mercénaires

Quiconque oserait à ce stade-ci émettre une prédiction sur les chances de Bourque à la mairie du nouveau Montréal est un fumiste. La dernière fois, huit mois avant l’élection, Pierre Bourque avait déjà été déposé dans le bac à recyclage (souvenez-vous: en janvier 98, on croyait être capable de mettre tous ses électeurs dans une Volkswagen). On connaît la fin de l’histoire…

Reste que notre homme est déjà à la chasse, la besace en bandoulière, pour établir ses alliances stratégiques en banlieue. En avance sur ses rivaux.

Ces derniers doivent donc se presser et passer à la vitesse grand V, tout en pesant chacun de leurs gestes et chacun de leurs choix, pour éviter les erreurs de 98, tels la dispersion des forces, un casting de candidats des plus douteux, et des programmes alambiqués conçus entre deux bouchées de pain au restaurant.

Bref, c’est comme jouer aux échecs sur un tapis roulant. Écrire le bon programme, choisir les bons candidats le plus rapidement possible, et monter la bonne équipe, en espérant que Bourque n’ait pas déjà tout récolté sur son passage…

Car les ressources humaines en temps électoral sont rares. C’est une loi de la nature: sans être une espèce menacée, les bons stratèges politiques ne courent pas les rues.

Si bien qu’on pratique le recyclage: les travailleurs d’élection sont souvent les mêmes au référendum, à l’élection provinciale, à l’élection fédérale… et à l’élection municipale.

Ces travailleurs d’élection ne sont qu’une poignée, connus de quelques stratèges. Obtenir l’allégeance de l’un de ces stratèges vous ouvre souvent les portes du pouvoir.

Mais lors d’une élection municipale, les allégeances se croisent, s’appuient et se confondent. Des péquistes travaillent côte à côte avec des libéraux, des conservateurs travaillent avec des péquistes, etc. Bref, un candidat à la mairie ne doit pas s’asseoir sur le réseau de contacts qu’il a entretenu lors de son passage à l’Assemblée nationale. Il doit le reconquérir.

Mettons qu’un ancien ministre libéral, très fort en grappes industrielles, préparerait son entrée en politique montréalaise. Eh bien, il ne devrait pas compter sur ses amitiés d’antan pour lui assurer une élection.

La vie politique municipale de la métropole évolue selon le même système que la crevette de l’estuaire du Saint-Laurent, qui a des moeurs sexuelles pour le moins surprenantes: elle peut changer de sexe des dizaines de fois au cours de sa vie, au rythme des besoins de reproduction, afin d’assurer la survie de l’espèce.

Ainsi, tels les célèbres crustacés de Matane (qui viennent en réalité de la Côte-Nord, soit dit en passant), les grenouilleurs de la politique municipale troquent, à la première occasion, leurs allégeances respectives contre la nouvelle saveur du mois, histoire d’assurer leur pérennité. Et de bien servir leurs intérêts.

Déjà qu’à Québec et à Ottawa, certains trouvent le moyen à la fois de pourfendre et de défendre le fédéralisme à l’intérieur de la même semaine; imaginez ce que c’est quand les grands enjeux politiques touchent la hauteur des bancs de neige et la fréquence des passages du camion à ordures!

L’histoire tend à prouver qu’il n’y a pas d’allégeances en politique municipale, seulement des mercenaires.

L’effet Lastman
Une fois le bon général déniché et la bonne équipe en place, la partie n’est toujours pas gagnée pour l’opposition au maire Bourque. Elle doit pouvoir bénéficier de l’effet Lastman.

Il y a quatre ans, quand le gouvernement ontarien avait forcé la fusion des villes du grand Toronto, malgré une opposition quasi unanime de la banlieue, la banlieue avait eu sa revanche en élisant son candidat. C’est l’effet Lastman, le maire de la banlieue de North York, qui avait par la suite remporté la mairie du nouveau Toronto.

Si l’opposition veut profiter d’un effet Lastman, elle aura un autre défi, en plus de celui de s’organiser: garder élevé le niveau d’indignation des banlieusards contre la fusion. Si la colère des banlieusards se maintient jusqu’au 4 novembre, la participation au vote pourrait être élevée en banlieue, en forte majorité contre le promoteur de leur cauchemar, alors qu’elle demeurerait relativement faible dans le Montréal actuel. Bref, Bourque pourrait répéter son exploit de 98 – obtenir la majorité chez les quelques Montréalais qui auraient daigné voter -, sans avoir la majorité suffisante pour contenir la vague de la banlieue.