Société

La semaine des 4 jeudis : La mince ligne rouge

Écoliers, caissières, employés de dépanneur, policiers, collègues de travail, femmes violentées, journalistes judiciaires, lapins et chevreuils…

La question vous intéressera peut-être, en tant que cibles privilégiées:

Combien y a-t-il d’armes à feu en circulation au Canada?

Entre deux et neuf millions selon les points de vue.

L’estimation la plus conservatrice issue d’un sondage Angus Reid en dénombre plus de 2,2 millions.

Beaucoup de trous de balles en perspective…

Ainsi, selon la coalition pour le contrôle des armes à feu, un ménage canadien sur quatre aurait au moins une arme à la maison. Au Québec, 577 000 citoyens détiendraient 1 386 000 armes, soit une moyenne de 2,4 flingues par famille. C’est deux fois plus que les Ontariens, six fois plus qu’en Angleterre et moitié moins que chez les Américains, imbattables amateurs de pétards en tous genres. Une statistique qui nous classe parmi les premières places des pays industrialisés.

Ces données sont violemment contestées par les amis des armes, manufacturiers, marchands, chasseurs et lobbyistes de toute trempe qui avancent sans crainte le chiffre monumental de neuf millions d’armes en territoire canadien. Dérisoire, leur rétorque les statisticiens. Il y a 11 millions d’hommes au Canada, ce qui voudrait dire que chaque mâle canadien de plus de 10 ans cacherait un flingue sous son matelas.

Mais attendez, n’est-ce pas le monde à l’envers? Ces "pacifistes" qui minimisent le problème, ces lobbyistes qui gonflent des statistiques déjà alarmantes? Que se passe-t-il dans le monde du flingue?

L’enjeu de cette guerre de chiffres n’est rien d’autre que la nouvelle loi qui oblige tous les détenteurs d’armes à s’enregistrer auprès du gouvernement fédéral. Le lobby des armes tient mordicus à en démontrer l’échec. À prouver que les 1 778 761 armes enregistrées depuis le dépôt de la loi ne sont qu’une goutte d’eau dans l’océan. Ils n’ont probablement pas tort.

Déjà, un quart des propriétaires d’armes refusent catégoriquement de les enregistrer.

Parenthèse: Que foutent les Québécois avec toutes ces pétoires? Ben tiens, ils chassent. Flinguent, sous prétexte d’économiser sur la tourtière, tout ce qui vole, grimpe, saute, chante, brame, marche, broute, dort et vit tranquillement.

Faut-il être fondamentalement dérangé pour foutre du plomb dans le corps d’une bête? La position de tout carnivore sur cette question d’éthique étant assez délicate, il ne reste plus aux âmes sensibles qu’à espérer que le plus grand nombre possible de ces abrutis de chasseurs finissent par se tirer maladroitement dans le pied. Le problème ne dépasserait guère le Service canadien de la faune si les statistiques sur la possession d’armes à feu n’étaient si intimement liées à celles concernant l’homicide.

Depuis l’imposition de la loi, près de deux milles demandes jugées "dangereuses" ont été rejetées.

Conscient que ce qui sépare la chicane de la colère et la colère de la violence, lorsqu’on dispose des instruments pour l’assouvir, n’est qu’une mince ligne rouge. Le Centre canadien des armes à feu a mis en place une ligne "épouses" (Spousal Notification Line) pour que les conjointes des demandeurs de permis d’armes qui pourraient se sentir menacées puissent faire part de leurs inquiétudes. Depuis six mois, on y a enregistré 19 776 appels…